Il existe au coeur des étoiles une réaction nucléaire qui est essentielle pour comprendre l'origine et l'abondance des éléments plus lourds que le fer. Il s'agit de la réaction 13C(α,n)16O qui produit un noyau d'oxygène-16 et un neutron à partir d'un noyau de carbone-13 et d'un noyau d'hélium. Jusqu'à aujourd'hui, la probabilité de cette réaction était très mal connue, mais des chercheurs chinois ont réussi à mesurer cette très faible section efficace grâce à leur accélérateur de particules enfoui dans le laboratoire souterrain de Jinping. Ils publient leurs résultats dans Physical Review Letters.
La collaboration Jinping Underground Nuclear Astrophysics (JUNA) a réalisé la mesure la plus précise de la section efficace de cette réaction aux énergies astrophysiques, ce qui permet de résoudre des divergences de longue date sur les données précédentes de cette réaction.
L'origine des éléments plus lourds que le fer possède une clé sous la forme des neutrons qui sont disponibles dans le coeur de l'étoile. La vitesse de la réaction source de neutrons détermine combien de ces éléments les plus lourds peuvent être produits dans les étoiles.
La réaction 13C(α,n)16O, a été proposée pour la première fois comme la principale source de neutrons dans les étoiles par les théoriciens Cameron et Greenstein en 1954. Elle fournit les neutrons nécessaires à la synthèse d'environ la moitié de tous les éléments plus lourds que le fer dans l'univers. C'est la principale source de neutrons pour le processus de capture de neutrons lent (processus s) et pour le processus intermédiaire (processus i) dans les étoiles de la branche géante asymptotique. L'astrophysique nucléaire expérimentale a depuis longtemps pour objectif de mesurer avec précision cette réaction à des énergies astrophysiques (entre 0,15 et 0,54 MeV). Mais la section efficace de la réaction correspondante est extrêmement faible, ce qui la rend très difficile à mesurer. Les mesures directes dans les laboratoires en surface sont quasi impossibles du fait des sections efficaces extrêmement faibles et du bruit de fond induit par les rayons cosmiques. C'est pour cette raison que les expériences doivent être effectuées en milieu à ultra-bas bruit de fond, là où le rayonnement cosmique est divisé par plus d'1 million, dans un laboratoire souterrain très profond comme le laboratoire de Jinping ou celui du Gran Sasso.
Au cours des sept dernières années, la collaboration JUNA a développé divers équipements au China Jinping underground Laboratory (CJPL), qui est aujourd'hui le laboratoire souterrain le plus profond du monde (2400 m de roche, équivalent à 6720 m d'eau, ce qui donne un flux de muons résiduel de 0,2 muon/m²/jour !, contre 11,2 millions muons/m²/jour au niveau de la mer). Parmi ces grands instruments, on trouve un accélérateur délivrant le faisceau de particules α le plus intense des laboratoires souterrains (l'autre étant l'accélérateur LUNA installé au laboratoire du Gran Sasso). L'accélérateur d'ions de JUNA est accompagné par un réseau de détecteurs des neutrons à haute sensibilité et à faible bruit de fond, qui va notamment détecter les neutrons produits lors de cette réaction d'un noyau d'hélium impactant un noyau de carbone-13 avec une très petite probabilité. L'équipe de Bingshui Gao a réalisé avec succès la mesure directe de cette probabilité (la section efficace) de la réaction 13C(α,n)16O dans la gamme d'énergie allant de 0,24 à 0,59 MeV. Et la gamme d'énergie mesurée a ensuite été étendue à 1,9 MeV grâce à l'accélérateur tandem de 3 MV de l'université du Sichuan (cette fois à peu près au niveau de la mer).
Les mesures couvrent ainsi la quasi-totalité de la fenêtre de Gamow du processus de capture neutronique intermédiaire, dans laquelle la grande incertitude qui existait dans les expériences précédentes a été réduite, pour passer de 60 % à 13 %. Et cette incertitude n'est plus que de 16% pour le processus s, le processus de capture neutronique lent. Ce qu'on appelle la "fenêtre de Gamow" ou "pic de Gamow", c'est la plage d'énergie assez restreinte dans laquelle peut avoir lieu une certaine réaction nucléaire dans le coeur d'une étoile.
Cette mesure directe élimine aussi une importante incertitude systématique induite par les extrapolations généralement utilisées, en résolvant l'incohérence entre les ensembles de données plus hautes énergies. Elles fournissent ainsi un taux de réaction beaucoup plus fiable en donnée d'entrée pour les études du processus s (la capture neutronique lente) et du processus intermédiaire. Les données précises de cette section efficace de réaction nucléaire fournissent donc désormais une base solide pour développer des modèles de nucléosynthèse afin de construire une nouvelle image de l'évolution chimique galactique en noyaux lourds.
Source
Deep Underground Laboratory Measurement of 13C(α,n)16O in the Gamow Windows of the s and i Processes
B. Gao et al.
Physical Review Letters 129, 132701 (23 september 2022)
Illustration
L'accélérateur JUNA produit des neutrons par bombardement de noyaux d'hélium sur du carbone-13 pour expliquer la formation des noyaux lourds dans les étoiles (IMP)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci !