Le quintette de Stephan est un groupe de cinq galaxies qui est une cible de choix pour tous les astronomes amateurs. Mais c'est aussi une jolie cible pour les télescopes les plus performants des astronomes professionnels, comme par exemple avec le télescope Webb en infra-rouge ou le télescope FAST en ondes radio. Une équipe franco-chinoise publie aujourd'hui ses résultats concernant l'hydrogène atomique entourant le quintette de galaxies et découvre son étendue très vaste... L'étude est parue dans Nature.
Dans l’Univers, on peut trouver l’hydrogène sous plusieurs formes : des atomes isolés (neutres ou ionisés) (on parle d'hydrogène atomique) ou des atomes assemblés en molécules de dihydrogène (on parle alors d'hydrogène moléculaire). les observations permettant de détecter l'hydrogène atomique dans et autour des galaxies sont fondamentales pour étudier la formation et d’évolution des galaxies, car ce gaz atomique est une composante clé pour la production des étoiles.
Ce n'est pas un hasard si le quintette de Stephan a été l'une des premières cibles du télescope spatial Webb, du fait de la complexité apparente du système de galaxies, qui est en plus relativement proche de nous. Le quintette de Stephan (situé à 85 ± 6 Mpc) est assez unique parmi les groupes compacts de galaxies. Il doit son nom à son découvreur, l'astronome français Edouard Stephan, qui fut directeur de l'observatoire de Marseille à la fin du 19ème siècle. Les observations ont montré précédemment que les interactions entre les galaxies membres, y compris une intruse à grande vitesse qui entre actuellement en collision avec le milieu intragroupe, ont probablement généré des débris de marée sous la forme de multiples filaments gazeux et stellaires, voire la formation de flambées d'étoiles dans le milieu intragroupe, ainsi qu'un gaz intergalactique choqué étendu. Mais les détails et le moment des interactions et des collisions restent encore mal compris en raison de leur nature multiple.
Une méthode efficace pour explorer le gaz atomique, c'est l’observation de l’émission de la raie de structure fine de 21 cm de l’hydrogène atomique (dans le domaine radio). Le radiotélescope chinois FAST de 500 mètres (Five-hundred-meter Aperture Spherical Radio Telescope) est actuellement le plus grand radiotélescope du monde à une seule antenne, depuis la disparition du radiotélescope d'Arecibo. FAST, permet de cartographier le gaz diffus à faible densité loin des galaxies. Cong Xu (NAOC) et ses collaborateurs, dont le strasbourgeois Pierre-Alain Duc (CNRS, Observatoire astronomique de Strasbourg), ont utilisé FAST pour effectuer une cartographie profonde de la région entourant le quintette de Stephan. Les chercheurs ont découvert que le gaz atomique s’étendait sur 2 millions d’années-lumière (ce qui correspond à environ 20 fois la taille de la Voie Lactée). Il s’agit tout simplement de la plus grande structure de gaz atomique jamais découverte autour de galaxies.
Xu et ses collaborateurs ont comparé la carte du gaz diffus avec la composante stellaire diffuse qui est visible sur des images du quintette de Stephan obtenues à l’aide de la caméra MegaCam du télescope Canada-France-Hawaii (CFHT). Ils montrent que la structure de gaz atomique s’étend bien au-delà des halos d’étoiles étendus qui enveloppent les galaxies du groupe et qui avaient été révélés par le CFHT. Les astrophysiciens se demandent maintenant d'où peut bien provenir tout ce gaz atomique, car avec une aussi faible densité, on s'attendrait à ce qu'il ne survive pas très longtemps à l'ionisation intense du rayonnement UV des jeunes étoiles peuplant ces galaxies, guère plus de 500 Mégannées, or les chercheurs estiment que ce gaz est présent autour des galaxies de ce groupe depuis environ déjà 1 gigannée...
Un scénario hypothétique pour la formation de la caractéristique diffuse qui est observée est que NGC 7320a (qui a une vitesse de 6702 km s-1 et située actuellement à environ 300 kpc du centre du quintette) serait passée par le centre du quintette il y a environ 1,5 Ga (en supposant une vitesse transversale relative de 200 km s-1) et aurait arraché à l'une des galaxies membres du noyau du groupe une queue de marée, qui se serait développée dans la caractéristique diffuse que nous voyons aujourd'hui. Une autre possibilité selon les auteurs est que, comme dans le cas du grand anneau du Lion (situé à environ 0,25 Mpc), la caractéristique diffuse pourrait être le produit d'une collision frontale à grande vitesse entre un autre ancien intrus et l'un des membres centraux du quintette de Stephan. Dans ce scénario, la collision déclenche une onde de densité en expansion qui pousse le gaz du disque d'hydrogène étendu de la galaxie cible vers l'extérieur pour former un très grand anneau, dont la caractéristique diffuse est la partie à haute densité. Un candidat pour un tel intrus pourrait être la galaxie Anon 4 (qui arbore une vitesse de 6 057 km s-1, et une masse d'hydrogène neutre de 1,1 milliard de M⨀), et qui coïncide spatialement avec la galaxie optique LEDA 141041. Elle a une vitesse radiale relative d'environ 600 km s-1 et une distance projetée d'environ 0,2 Mpc du centre du groupe galactique. Si la vitesse transversale relative est d'environ 200 km s-1, il aurait fallu environ 1 Gigannée à Anon 4 pour se déplacer jusqu'à la position actuelle après la collision. Les deux scénarios proposéspar Xu et ses collaborateurs suggèrent un temps de formation de la caractéristique gazeuse diffuse de plus de 1 Gigannée. Ils sont tous deux basés sur des analogies avec des cas étudiés par des simulations dans la littérature, qui démontrent que de telles masses de gaz diffuses sans composante stellaire peuvent être produites dans des interactions galaxie-galaxie. Cependant, les astrophysiciens relèvent deux questions qui restent à résoudre :
(1) L'élément de marée dans l'un ou l'autre des scénarios peut-il survivre aux interactions ultérieures qui ont déclenché la formation des queues intérieure et extérieure du quintette de Stephan il y a environ 500 Mégannées
(2) Les structures de gaz avec une densité aussi faible peuvent-elles exister sur des échelles de temps d'environ 1 Gigannée ?
Ces questions ne peuvent trouver de réponse que dans des modèles plus sophistiqués, construits à partir des simulations existantes décrivant la formation et l'évolution du quintette de Stephan. Une solution plausible pour résoudre le problème de la survie du gaz neutre face à l'irradiation ionisante des UV pourrait résider dans le mécanisme physique impliquant la transition entre les phases ionisées et neutres en raison d'instabilités thermiques dans le gaz de faible densité. De nouvelles simulations et de nouvelles observations permettront d'explorer ce mécanisme.
Source
A 0.6 Mpc H i structure associated with Stephan’s Quintet,
Xu et al.
Nature volume 610 (19 octobre 2022)
Illustration
Le quintette de Stephan imagé par NIRCam et MIRI de Webb et son enveloppe d'hydrogène atomique (en rouge), et l’image optique couleur obtenue à l’aide de la caméra MegaCam du CFHT (Télescope Canada-France-Hawaï). (Image du JWST : NASA/ESA/CSA)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci !