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vendredi 25 novembre 2022

GW190521: la fusion de 2 trous noirs qui venaient de se rencontrer


Le 21 mai 2019, les interféromètres gravitationnels LIGO et Virgo ont détecté un train d’ondes gravitationnelles pas comme les autres. Il était de très courte durée et a conduit à déterminer qu’il s’agissait de la fusion de deux très gros trous noirs stellaires qui ont formé un trou noir de plus de 140 masses solaires. Aujourd’hui, une équipe réanalyse ces signaux et montre qu’il pourrait s’agir d’une rencontre inopinée de deux trous noirs qui n’étaient pas en couple… L’étude est parue dans Nature Astronomy.  

Rossella Gamba (Friedrich-Schiller-Universität à Jena en Allemagne) et ses collaborateurs ont analysé le signal de GW190521 sous l'hypothèse qu'il a été généré par la fusion de deux trous noirs sans rotation, et sur des orbites hyperboliques, c’est-à-dire qui n’étaient pas liés entre eux avant de se rencontrer. Les premières analyses qui avaient été effectuées considéraient le cas classique des autres fusions de trous noirs, à savoir une fusion en spirale d’orbites circulaires. Elles avaient conduit à déterminer les masses des deux trous noirs à environ 85 et 66 M, qui auraient produit un trou noir d’environ 150 masses solaires, qui serait donc le premier trou noir de masse intermédiaire, détecté de cette façon. Les masses estimées des deux trous noirs initiaux se situent dans une gamme de difficile à expliquer pour des trous noirs formés directement à partir d’un effondrement stellaire et remettent en question les scénarios standards sur la formation des trous noirs, suggérant la possibilité de la formation par des fusions répétées. Et la courte durée (~0,1 s) de GW190521 et l'absence d'un signal de précurseur à la fusion, également identifié par des analyses sont aussi des aspects critiques pour le choix des modèles de forme d'onde dans les analyses de filtrage et donc pour l'interprétation de la source. Dans l'hypothèse d'une fusion quasi-circulaire, la correspondance de la morphologie du signal nécessite des composantes dans le plan assez importantes des spins des deux trous noirs et aboutit à une précession dans le plan orbital. Les excentricités orbitales élevées sont également compatibles avec la morphologie de GW190521, mais les formes d'onde de fusion excentrique les mieux adaptées nécessitent toujours une précession du spin. Or, les fusions de trous noirs binaires avec précession de spin sont connues pour être dégénérées avec des collisions frontales. La nature exacte de la fusion GW190521 est donc question ouverte.

Gamba et son équipe analysent GW190521 dans le cadre du scénario d'une capture dynamique de trous noirs, et comparent cette hypothèse à celle d'une fusion quasi-circulaire pour voir celle qui colle le mieux au signal détecté. Les captures dynamiques sont radicalement différentes des fusions quasi-circulaires. Le passage rapproché et la capture des deux objets sur des orbites hyperboliques sont très rapides, avec un processus de fusion qui n’est pas associé à plusieurs orbites. Il se trouve qu’une capture dynamique explique naturellement la morphologie de la forme d'onde de courte durée, semblable à un sursaut, de GW190521, même en l'absence de rotation intrinsèque des trous noirs. De plus, les explications possibles des masses élevées des deux trous noirs indiquent qu’il pourrait s’agir de trous noirs de seconde génération, issus de fusions stellaires dans des jeunes amas d'étoiles ou des fusions de trous noirs dans les disques de noyaux actifs de galaxies, des environnements où des captures dynamiques sont possibles. Bien que les preuves observationnelles d’ondes gravitationnelles provenant de captures dynamiques manquaient avant cette étude, les chercheurs précisent que de tels événements ne sont pas incompatibles avec les taux de détection actuels d’ondes gravitationnelles, bien que ces taux nécessitent des corrections pour prendre en compte les grandes masses de GW190521.

Gamba et ses collaborateurs montrent que la configuration qui correspond le mieux aux données avec leur hypothèse, correspond à deux trous noirs de masses 81 (+62 -25) M⊙ et 52 (+32 -32) M⊙ qui auraient subi deux rencontres avant de fusionnant en un trou noir de masse intermédiaire. L'hypothèse de la fusion hyperbolique est favorisée par rapport à une fusion quasi-circulaire avec des spins précessifs avec des facteurs de Bayes supérieurs à 4 315 contre 1. Ces résultats suggèrent donc que GW190521 pourrait être la première détection d'ondes gravitationnelles provenant de la capture dynamique de deux trous noirs de masse stellaire.

Ces résultats montrent que les formes d'onde en forme de sursaut provenant d'une collision de trous noirs fortement excentrique ou même frontale peuvent être confondues avec des binaires quasi-circulaires légèrement précessives, et vice versa. Gamba et ses collègues confirment cette dégénérescence dans une certaine mesure, mais ils montrent que la préférence qu’ils obtiennent pour le modèle non circulaire (donc de capture dynamique) est incompatible avec un signal de fusion quasi-circulaire qui serait noyé dans un bruit gaussien. En ce qui concerne les autres scénarios possibles, les chercheurs précisent qu’une comparaison quantitative est actuellement impossible car ils n'ont pas été analysés avec des études bayésiennes complètes ou des modèles de formes d'onde complets.

Au-delà des hypothèses conservatrices qui sous-tendent cette analyse de Rossella Gamba et son équipe, leurs travaux futurs exploreront l'impact du spin des trous noirs et devraient permettre d’encore mieux comprendre la nature de GW190521.

 

Source

GW190521 as a dynamical capture of two nonspinning black holes.

R. Gamba et al.

Nature Astronomy (17 November 2022)

https://doi.org/10.1038/s41550-022-01813-w

 

Illustration

Schéma du meilleur ajustement des orbites des deux trous noirs avant leur fusion et signal gravitationnel détecté (R. Gamba et al.)


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