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jeudi 8 décembre 2022

Découverte d'une kilonova associée à un sursaut gamma long


Le 10 juin dernier, je vous avais relaté l’observation d’un sursaut gamma (GRB) de courte durée qui avait pourtant toutes les caractéristiques d’un GRB de longue durée, ceux produits par des collapses d’étoiles massives lors de supernovas. Aujourd’hui, c’est l’inverse : pas moins de quatre articles parus dans Nature se penchent sur le cas de GRB 211211A, un sursaut gamma qui a duré plusieurs dizaines de secondes, mais qui possède toutes les caractéristiques d’une kilonova suivant la fusion de deux étoiles à neutrons, typique des GRB courts. Les familles sont définitivement brouillées chez les GRB… 

Des flashs brefs et intenses de rayons gamma, appelés sursauts gamma (GRB, gamma ray bursts) apparaissent chaque jour à des endroits aléatoires du ciel. Ces sursauts ont été classés en fonction de leur durée. Les sursauts gamma courts, qui durent moins de deux secondes, proviendraient de la fusion de deux étoiles à neutrons dans un système binaire, tandis que les sursauts gamma longs (plus de 2 secondes) sont actifs pendant quelques secondes ou plus, et résultent de l'effondrement d'une étoile massive. Mais ce paradigme a commencé à vaciller il y a quelques mois, et est aujourd’hui à terre. Quatre articles publiés dans Nature par Troja et al., Rastinejad et al., Mei et al. et Yang et al. fournissent en effet la preuve qu'un GRB de longue durée a été produit par la fusion d'un système binaire compact et non de l’effondrement d’une étoile massive. 

Au cours des 25 dernières années, les astrophysiciens ont étudié les émissions rémanentes des GRB afin de localiser la source de ces sursauts, et ils ont déduit que les deux catégories de sursauts (courts et longs) proviennent de systèmes progéniteurs distincts. Les sursauts longs ont préférentiellement lieu dans des galaxies à géométrie irrégulière ou en forme de spirale, se produisant surtout dans des régions de formation d'étoiles brillantes dans la partie centrale de la galaxie. Les spectres de ces émissions rémanentes de GRB contiennent des caractéristiques compatibles avec les supernovas, qui sont considérées comme une preuve indiscutable du lien entre les sursauts gamma longs et l'effondrement d'étoiles massives. En revanche, les GRB courts peuvent provenir aussi bien de galaxies de forme spirale que de galaxies elliptiques, mais ils ont toujours pour origine des régions isolées, souvent éloignées du centre de leur galaxie hôte. Ces propriétés sont cohérentes avec l'idée que les GRB courts prennent naissance dans de vieilles populations stellaires à partir de progéniteurs binaires comprenant soit deux étoiles à neutrons, soit une étoile à neutrons et un trou noir. L'orbite de ces systèmes se rétrécit pendant des dizaines ou des centaines de millions d'années, en raison de la perte d'énergie due aux ondes gravitationnelles, jusqu'à ce que les deux corps finissent par fusionner. Le vestige est alors un trou noir, ou peut-être une étoile à neutrons en rotation rapide, qui accrète rapidement de la matière à partir d'un disque de débris, ce qui alimente le sursaut gamma. C’est l’impulsion natale fournie par l'explosion de la supernova qui a formé l'étoile à neutrons qui est responsable de la projection de ces systèmes à la périphérie de la galaxie hôte ou même au-delà.
Ce scénario a été brillamment confirmé en août 2017 lorsque des ondes gravitationnelles provenant de la fusion de deux étoiles à neutrons (l’événement GW170817) ont été détectées en même temps qu'un sursaut gamma court a été observé, révélant une suite d’émissions dans toutes les longueurs d’ondes, connues sous le nom de kilonova, qui est l'empreinte électromagnétique d'une telle fusion. Dans ce type d’événement, la matière riche en neutrons qui est éjectée lors de la fusion génère des éléments radioactifs lourds, dont la désintégration alimente un flash dans le spectre visible et infrarouge qui dure quelques jours. Ainsi, de la même manière qu'une supernova relie les GRB longs à l'effondrement d'étoiles massives, une kilonova est la preuve irréfutable d'une fusion binaire compacte.

Le 11 décembre 2021 à 13h59m09s (UT), le télescope spatial Swift a détecté un sursaut gamma lumineux et long, avec une forte impulsion de 13 secondes suivie d’une impulsion de plus faible intensité durant 55 secondes. Le sursaut a aussi été observé indépendamment par les satellites Fermi, INTEGRAL et CALET. La source se trouvait à une distance relativement proche de 346 mégaparsecs de la Terre. La lumière visible et infrarouge émise juste après le sursaut gamma dépassait de loin celle attendue de la rémanence standard d’un GRB de cette durée. Cette rémanence est produite par l’interaction d’un jet de particules relativistes avec le milieu environnant.
Après analyses, Eleonora Troja (Université de Rome) et ses collaborateurs et Jillian Rastinejad (Northwestern University) et collaborateurs attribuent chacun de leur côté cet excès de l’émission rémanente à une kilonova, car elle est très cohérente avec les modèles théoriques de fusions, et sa luminosité, sa durée et ses couleurs sont tout à fait similaires à celles de GW170817. Les deux équipes montrent que ce sursaut ressemble à un GRB court dans tous les aspects, sauf sa durée. Troja et ses collaborateurs montrent qu’à la distance de 346 Mpc, GRB 211211A se trouve dans l'horizon de distance des prochaines séries d'observations d’ondes gravitationnelles et, que si le réseau LIGO/Virgo/KAGRA avait été en ligne au moment du sursaut, cet événement aurait probablement donné lieu à une détection conjointe des ondes gravitationnelles et du rayonnement électromagnétique, à l’instar de GW170817 Ils notent aussi que certaines de ses propriétés électromagnétiques sont très différentes de GW170817 ; alors que les contreparties électromagnétiques de GW170817 seraient difficiles à localiser au-delà d'environ 150 Mpc, GRB 211211A serait visible jusqu'à z ≈ 1 par la plupart des détecteurs de rayons gamma spatiaux. De plus, un suivi rapide en rayons X et UV/optique permettrait de le détecter jusqu'à z ≈ 0,2 en supposant une sensibilité comparable à celle de Swift. Les chercheurs ont ensuite examiné le catalogue Swift GRB à la recherche de sursauts similaires à GRB 211211A en se focalisant sur les faibles redshifts (< 0,3) où une signature observationnelle claire de ces événements est l'absence de supernova. Ils trouvent un total de 19 autres GRBs de plus de 2s qui avaient des caractéristiques atypiques dans les 17 ans d’archives de Swift. Parmi ceux-ci, huit sont associés à une supernova, trois n'ont pas de contraintes significatives, et huit ne semblent avoir aucune supernova associée. De plus, trois d'entre eux (GRB 060614, GRB 060505, et GRB 191019A) ont des contreparties UV qui limitent leur échelle de distance. Troja et son équipe concluent que ces trois sursauts de longue durée devaient être du même type que GRB 211211A, produits par des fusions binaires compactes.

En supposant que la binaire progénitrice est constituée de deux étoiles à neutrons et en utilisant les prévisions des simulations de fusion, Rastinejad et son équipe calculent quant à eux la masse des étoiles à neutrons qui en seraient responsables : 1,4 + 1,3 M⊙, avec la masse des éjectas d’environ 0,02 M⊙. Ils remarquent que l'adaptation de la luminosité du premier jour après le sursaut nécessite, pour arriver à ces valeurs, un chauffage supplémentaire par le jet du GRB, dont la durée serait de l’ordre d’une minute, ce qui correspond justement à la durée du sursaut. Une des possibilités avancées pour expliquer comment un fusion d’étoiles à neutrons peut produire un GRB aussi long est qu'un vestige compact de la fusion, un trou noir, ait alimenté un jet en accrétant de la matière provenant d'un disque temporaire de débris de la collision. Mais plus le disque est grand, plus le sursaut est long, or les fusions d'étoiles à neutrons produisent de petits disques compacts qui sont incapables de soutenir des GRB de plus d'une seconde.
L’équipe de Jun Yang (université de Nanjing) propose quant à elle que la durée de la première impulsion serait longue parce qu'elle serait associée à un grand disque d'accrétion entourant non pas un trou noir, mais une étoile à neutrons qui serait en rotation rapide avec un champ magnétique très fort (ce qu’on appelle un proto-magnétar). Il se serait formé lors de la fusion d'une naine blanche avec une étoile à neutrons, et non pas deux étoiles à neutrons. Le scénario proposé par Yang et ses collègues suggère que l'émission de la kilonova est alimentée par une grande quantité d'énergie provenant du proto-magnétar, car les fusions entre étoiles à neutrons et naines blanches ne devraient pas produire beaucoup de matière riche en neutrons. Toute énergie supplémentaire devrait augmenter l'émission radio à long terme d'une manière qui pourrait bientôt être détectable. Un autre moyen de distinguer le scénario le plus plausible concerne l'efficacité du disque d'accrétion à soutenir un GRB long. Et les chercheurs montrent que l'émission étendue présente un spectre qui suggère qu'elle a été alimentée par un vent relativiste qui aurait pu extraire l'énergie de rotation du proto-magnétar. Ce scénario avait déjà été proposé dans le passé pour expliquer l'émission étendue observée dans une fraction substantielle GRB courts. On se souvient que l'idée qu'un proto-magnétar soit impliqué dans GW170817 n'a pas été écartée...
La quatrième étude consacrée à GRB 211211A s’intéresse plus particulièrement à l’émission gamma de la kilonova après le sursaut proprement dit. Auparavant, la seule signature électromagnétique connue d'une kilonova était le flash infrarouge. Mais Alessio Mei (INFN) et son équipe ont découvert que la kilonova associée à GRB 211211A se manifeste également par l'apparition d'un plus grand nombre de photons gamma que prévu dans la gamme d'énergie des gigaelectronvolts. D’après eux, cet excès serait produit par la même population d'électrons relativistes qui émettent la rémanence du sursaut et qui transfèrent les photons visibles ou infra-rouges de la kilonova à des énergies élevées par diffusion Compton inverse. Les chercheurs italiens et indiens montre qu’après une phase initiale avec un flux à peu près constant (environ 5 × 10-10 erg par seconde par centimètre carré) d'une durée d'environ 20000 secondes, le flux a commencé à diminuer et a rapidement disparu ensuite. Ce comportement est attribué par les chercheurs à une émission Compton inverse due à l'interaction d'un jet tardif de faible puissance avec une source externe de photons, et ils montrent comment l'émission optique de la kilonova peut fournir les photons qui pourront subir la diffusion des électrons très énergétiques du jet et être boostés aux énergies gamma. Ces résultats comme les autres, ouvrent des nouvelles perspectives pour l'observation des fusions d'étoiles à neutrons.
La compréhension des signatures des kilonovas à différentes longueurs d'onde permettra in fine d'augmenter le nombre de fusions détectées à la fois par les ondes gravitationnelles et les signaux électromagnétiques. Ces efforts permettront d'affiner les nombreux modèles de fusion utilisés pour estimer la masse, la composition et la vitesse des éjectas, des données essentielles pour les théories présentant les fusions d'étoiles à neutrons comme la principale source de métaux lourds dans l'Univers. Les données rapportées par les quatre articles de Nature cette semaine constituent une preuve indiscutable que les GRB longs peuvent aussi être le signe d’une kilonova, donc liés à des fusions d'objets compacts, plutôt qu'à l'effondrement d'étoiles massives. 
La prochaine campagne de mesure des interféromètres gravitationnels LIGO, Virgo et KAGRA, est prévue pour la période 2023 - 2026, elle devrait permettre de découvrir des dizaines à des centaines de fusions d'étoiles à neutrons. Les chercheurs estiment maintenant qu’environ 10 % de ces fusions pourraient être associées à des GRB longs. 

Sources

A nearby long gamma-ray burst from a merger of compact objects 
Eleonora Troja, et al.
Nature volume 612, pages228–231 (7 december 2022) 
A kilonova following a long-duration gamma-ray burst at 350 Mpc
Jillian C. Rastinejad, et al.
Nature volume 612, pages 223–227 (7 december 2022) 
A long-duration gamma-ray burst with a peculiar origin
Jun Yang et al.
Nature volume 612, pages232–235 (7 december 2022) 
Gigaelectronvolt emission from a compact binary merger 
Alessio Mei et al.
Nature volume 612, pages 236–239 (7 december 2022)

Illustrations

1. Schémas des deux processus de production d'un GRB long (Nature)
2. Evolution temporelle du sursaut gamma mesurée par Swift (Rastinejad, et al.)
3. Localisation de GRB 211211A par le télescope Hubble (Troja, et al.)
4. Observation de l'émission gamma rémanente de GRB 211211A par Fermi-LAT (Mei et al.)

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