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jeudi 26 janvier 2023

Découverte d'un 6ème pulsar en couple avec une étoile massive


La collaboration canadienne CHIME a découvert un rare pulsar, en couple avec une étoile massive. C'est seulement le 6ème cas de ce genre à être observé. L'étude est parue cette semaine dans The Astrophysical Journal.

Sur les plus de 3000 pulsars radio actuellement connus, seuls environ 300 sont dans des systèmes binaires, et parmi ceux-ci, seuls cinq d'entre eux sont constitués de jeunes pulsars avec des étoiles compagnes massives. 
On pense aujourd'hui que les binaires pulsar-étoile massive représentent une étape intermédiaire dans l'évolution binaire de deux étoiles de masse élevée, où l'étoile initialement plus massive a déjà subi une supernova à effondrement du cœur pour former une étoile à neutrons. Si l'étoile reste liée suite à cette explosion, et si l'étoile à neutrons résultante est observable comme un pulsar radio, cela donne une telle binaire pulsar/étoile massive. Ces systèmes peuvent être riches à étudier, car le pulsar et les vents stellaires peuvent interagir, et l'émission radio du pulsar peut être affectée par une dispersion, une diffusion et une éclipse en fonction de la phase orbitale. En tant que tels, ces systèmes sont de rares laboratoires pour l'exploration des vents d'étoiles massives et de pulsars, des disques circumstellaires et de la dynamique orbitale.
Le premier système binaire de ce type avait été découvert en 1992, il se nomme PSR B1259−63 et consiste en un jeune pulsar radio de 47 ms de période sur une orbite très excentrique de 3,4 ans en couple avec une étoile ∼8 M⊙ Be (Johnston et al.). L'émission radio du pulsar s'est montrée fortement dispersée et subit une éclipse aux passages du périastre, et l'interaction entre les vents des deux composants entraîne une émission à haute énergie de rayons X  jusqu'aux énergies du TeV. Cette source a été utile pour étudier les interactions pulsar/vent stellaire massif et a aidé à élucider la nature d'autres binaires visibles en rayons gamma dans lesquels aucune pulsation radio n'a encore été observée. Le deuxième système pulsar/étoile massive, PSR J0045−7319, a été découvert en 1994 (Kaspi et al.), il s'agit d'un pulsar de 0,9 s de période, sur une orbite hautement excentrique de 51 jours avec une étoile de type B, situé dans le Petit Nuage de Magellan. Dans son cas, le vent stellaire est faible, et aucune diffusion ou éclipse n'est observée malgré la proximité des deux composantes au périastre (seulement 25 R⊙). Mais il a la particularité d'avoir un fort couplage dynamique spin-orbite, résultat du désalignement entre le spin de l'étoile B et le plan orbital. Le troisième pulsar en couple avec une étoile massive a été découvert en 2001 (Stairs et al.) Il est connu sous le nom de PSR J1740−3052, et consiste en un pulsar de 0,57 s de période sur une orbite binaire très excentrique de 231 jours avec une étoile B. Cette source montre des variations de mesure de dispersion et de diffusion vraisemblablement dues au vent de la compagne, ainsi que des effets dynamiques également intéressants comme le couplage spin-orbite. Le quatrième chronologiquement est PSR J1638−4725, qui est un pulsar de 0,76 s de période dans un système binaire de 5,3 ans de période orbitale, avec une compagne encore inconnue. Il a été découvert en 2006 par Lorimer et al. (le découvreur du premier FRB...). Peu de choses ont été publiées sur ce système. Et enfin, le cinquième pulsar binaire en couple avec une étoile massive a quant à lui été découvert en 2015 (Lyne et al.). Nommé J2032 + 4127, c'est un pulsar de 0,14 s de période sur une orbite hautement excentrique de 45 à 50 ans de période orbitale avec une étoile Be massive. Il a la particularité de produire une émission à large bande des ondes radio aux rayons gamma jusqu'au TeV, en raison de l'interaction du vent pulsar avec le flux de masse de l'étoile compagne. 
Bridget Andersen (Université McGill) et ses collaborateurs viennent donc de découvrir  à l'aide du télescope CHIME (Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment), le sixième pulsar binaire de ce type. Il est nommé PSR J2108 + 4516, c'est un pulsar qui montre des pulsations de période de 0,577 s (sa période de rotation propre) et qui évolue sur une orbite de 269 jours de période orbitale, avec une excentricité de 0,09. L'étoile autour de laquelle il évolue à une masse minimale de 11 M ⊙ d'après les paramètres orbitaux.
Les chercheurs montrent que le pulsar subit des périodes d'éclipse substantielle, disparaissant de la bande d'observation de CHIME (entre 400 et 800 MHz) sur une grande partie de son orbite, et d'autre part, il affiche des variations importantes de mesure de dispersion et de diffusion tout au long de son orbite, ce qui peut être un indice de la présence d'un disque circumstellaire ou bien d'un vent stellaire très dense associé à l'étoile compagne. 
La nature de l'étoile compagne a ensuite été investiguée après l'avoir identifiée. Il fallait pour cela déterminer très précisément la position du pulsar pour voir quelle étoile se trouvait au même emplacement. Les astrophysiciens ont alors utilisé un instrument plus approprié, en l'occurence, le Karl G. Jansky Very Large Array qui permet de faire de l'imagerie à haute résolution (subarcseconde). A partir de la position exacte de la source radio, les chercheurs ont pu déterminer sans ambiguïté que la compagne est une étoile brillante de type OBe, nommée EM* UHA 138, qui est située à une distance de 3,26 kpc. Et les observations optiques archivées de EM * UHA 138 suggèrent approximativement une masse comprise entre 17,5 M⊙ et 23 M⊙. Cette plage de masse permet à son tour de déterminer des limites pour l'angle d'inclinaison orbitale : 50,3° ≲ i ≲ 58,3°. 
Au total, l'équipe de Andersen a acquis près de trois ans d'observations avec le radiotélescope CHIME/Pulsar, des observations quasi quotidiennes de PSR J2108 + 4516 entre le 20 octobre 2018 et le 3 septembre 2021. Outre les paramètres orbitaux du système binaire, cela leur a permis de déterminer l'âge caractéristique du pulsar, estimé à environ 2,1 millions d'années, ainsi que son champ magnétique de surface qui a été mesuré à environ 1,2 milliards de Gauss. 
Un élément qui différencie PSR J2108 + 4516 de ses cinq prédécesseurs est sa faible excentricité, qui est remarquable parmi les binaires pulsar/étoile de type B. Pour Andersen et ses collaborateurs, cette faible excentricité (une orbite presque circulaire) pourrait résulter de deux scénarios possibles de formation de pulsar : premièrement, le pulsar n'aurait reçu par hasard qu'une faible impulsion lors de la supernova qui lui a donné naissance, ou bien cette impulsion de faible amplitude pourrait provenir non pas d'un hasard, mais de la nature de la supernova, une supernova par capture d'électrons, précédée d'une période de transfert de masse du progéniteur du pulsar vers l'étoile compagne.

Bridget Andersen et ses collaborateurs estiment pour finir que PSR J2108 + 4516 pourra servir de laboratoire unique pour l'exploration des vents stellaires massifs et des disques circumstellaires. Ils proposent de futures observations spectroscopiques optiques de ce pulsar afin de déterminer le type de compagne et de déterminer s'il y a un disque de gaz, mais aussi des études en rayons X et gamma pour inspecter les interactions entre le disque et le vent de l'étoile. Avec un tel suivi supplémentaire à plusieurs longueurs d'onde, PSR J2108+4516 promet de belles avancées qui complèteront ce qui avait déjà pu être acquis dans les études des cinq premiers rares spécimens du même type.

Source

CHIME Discovery of a Binary Pulsar with a Massive Nondegenerate Companion
Bridget C. Andersen et al.
The Astrophysical Journal, Volume 943, Number 1 (24 january 2023)


Illustration

Le radiotélescope CHIME (Université McGill)

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