Est-ce que vous voyez la Voie Lactée là où vous vivez ? Il est fort probable que vous répondiez "non" à cette question, comme de plus en plus d'Homo Sapiens et d'autres animaux sur cette planète... Une étude parue cette semaine dans Science montre que la pollution lumineuse qui empêche de voir les étoiles dans le ciel nocturne s'aggrave de plus en plus. L'augmentation de la luminosité du ciel est plus rapide que ne le suggèrent les mesures par satellite des émissions de lumière artificielle sur Terre...
C'est la conclusion alarmante que font Christopher Kyba (Ruhr-Universität Bochum) et ses collègues du NOIRLab de la National Science Foundation américaine. Les chercheurs ont analysé plus de 50 000 observations à l'œil nu effectuées par des scientifiques citoyens du monde entier de 2011 à 2022 dans le cadre du projet de science citoyenne "Globe at Night". Sur une grande partie de la surface émergée de la Terre, le ciel continue de briller d'un crépuscule artificiel encore longtemps après le coucher du soleil. Cette lueur du ciel est une forme de pollution lumineuse qui a de graves effets sur l'environnement, en plus d'effacer définitivement les étoiles du ciel. Le changement de luminosité du ciel au fil du temps n'a jamais été mesuré à l'échelle mondiale. Alors qu'il pourrait en principe être mesuré par des satellites, les seuls capteurs actuels qui surveillent l'ensemble de la Terre n'ont pas une précision ou une sensibilité suffisante. Kyba et ses collaborateurs ont donc eu l'idée simple d'utiliser le pouvoir d'observation des citoyens, en utilisant le meilleur capteur qui soit pour cette étude : l'œil humain. Le principe est on ne peut plus simple : plus le ciel nocturne est brillant, plus une étoile doit être brillante pour être vue par l'œil humain non assisté. Le projet "Globe at Night", qui a été initié par le NOIRLab de la US National Science Foundation, est en cours depuis 2006. Les participants au projet doivent simplement regarder leur ciel nocturne lorsqu'il n'a pas de couverture nuageuse et sans lune, et signaler, parmi un ensemble de huit cartes du ciel, laquelle correspond le mieux à ce qu'ils voient, en remplissant un formulaire en ligne. Les chercheurs ont ainsi pu analyser les données issues de 51351 participants du monde entier prises entre 2011 et 2022. Ces données ont été obtenues à partir de 19262 sites différents dans le monde, dont 3 699 sites en Europe et 9 488 sites en Amérique du Nord.
Afin de calculer un taux de variation de la luminosité du ciel à partir de ces données et de tenir compte du fait que les observateurs se trouvaient également à différents endroits au fil des ans, Kyba et son équipe ont utilisé un modèle global de luminosité du ciel basé sur des données satellitaires de 2014.
Et les chercheurs constatent avec effarement que la vitesse à laquelle les étoiles deviennent invisibles pour les gens dans les environnements urbains est dramatique. Les chercheurs ont découvert que le changement du nombre d'étoiles visibles peut s'expliquer par l'augmentation de la luminosité du ciel nocturne. En Europe, ils constatent que les données correspondent à une augmentation de 6,5 % de la luminosité par an. Et en Amérique du Nord, c'est encore pire, avec +10,4% par an!
L'augmentation moyenne sur l'ensemble des sites des participants à l'étude est de 9,6% par an... Pour illustrer l'impact de cette dégradation très rapide de la qualité du ciel nocturne, les chercheurs indiquent que si le développement de la pollution lumineuse devait se poursuivre à ce rythme, un enfant né dans un endroit où 250 étoiles sont visibles (un nombre déjà pitoyable) ne pourra plus en voir que 100 à son 18ème anniversaire...
Kyba et ses collaborateurs ont été surpris par les différences qui sont obtenues entre l'observation humaine et les mesures de la lumière artificielle par satellite. En effet, pour les emplacements des observateurs, la luminosité artificielle mesurée par satellite avait légèrement diminué sur la période (de 0,3 % par an en Europe, et de 0,8 % en Amérique du Nord). Christopher Kyba et ses collaborateurs estiment que la différence entre l'observation humaine et les mesures satellitaires est probablement due à des changements dans les pratiques d'éclairage. Les satellites sont plus sensibles à la lumière qui est dirigée vers le ciel. Or, c'est la lumière émise horizontalement qui représente la majeure partie de la lueur du ciel. Si les écrans lumineux publicitaires et l'éclairage des façades deviennent plus fréquents, plus gros ou plus lumineux, ils pourraient avoir un impact important sur la lueur du ciel sans faire beaucoup de différence sur l'imagerie satellitaire. Un autre facteur cité par les auteurs est le passage généralisé des lampes à vapeur de sodium orange aux LED blanches, qui émettent beaucoup plus de lumière bleue. Nos yeux sont plus sensibles à la lumière bleue la nuit, et la lumière bleue est plus susceptible d'être dispersée dans l'atmosphère, ce qui contribue davantage à la lueur du ciel. Mais les seuls satellites qui peuvent imager toute la Terre la nuit ne sont pas sensibles dans la gamme de longueurs d'onde de la lumière bleue.
Cependant, l'approche de la science citoyenne a aussi ses limites. Par exemple, le nombre de participants de différentes régions du monde détermine l'importance des tendances spatiales et temporelles. Jusqu'à présent, les personnes d'Amérique du Nord et d'Europe ont été les plus nombreuses à participer à l'expérience, et la moitié des contributions asiatiques proviennent d'un seul pays : le Japon. La plupart des données proviennent de régions de la Terre où la lueur du ciel est actuellement la plus étendue. On ne peut donc pas dire grand-chose sur le changement de la lueur du ciel dans les régions avec peu d'observations, surtout dans les pays en développement, où des changements rapides dans la lueur artificielle du ciel sont pourtant suspectés, car une tendance croissante de la pollution lumineuse y est déjà observée avec les satellites, mais où y a eu peu d'observations humaines de masse jusqu'à présent.
La conclusion principale que tirent les chercheurs est que les politiques d'éclairage actuelles, telles que l'utilisation des LED, n'ont pas encore apporté d'amélioration, malgré une prise de conscience croissante de la pollution lumineuse. En regardant les images et les vidéos de l'hémisphère nocturne de la Terre prises depuis la Station spatiale internationale, le grand public est généralement frappé par la « beauté » des lumières des villes. Ils ne perçoivent malheureusement pas que ce ne sont que des images de pollution. La prise de conscience doit fortement augmenter pour que la lumière artificielle la nuit soit perçue non pas comme une chose positive, mais comme le polluant qu'elle est réellement.
La plupart des gens associent la lumière artificielle à la sécurité routière et à la sécurité personnelle. Or ces liens n'ont jamais été étayés par des preuves solides. Ainsi, année après année, de plus en plus de lumières sont installées. Les astronomes ont certes rapidement réalisé le pouvoir néfaste des lumières et ont déplacé les observatoires loin des villes. Mais, malheureusement, à mesure que l'utilisation de l'éclairage extérieur se répand, cette stratégie est devenue moins efficace, même pour les professionnels. De plus, à mesure que l'efficacité de la technologie d'éclairage s'améliore, plus d'éclairage devient possible pour le même coût, et ça se traduit par une floraison de nouvelles lumières pour éclairer les routes, les bâtiments, tout et n'importe quoi...
Pour aggraver les choses, des milliers de satellites sont lancés par quelques sociétés sur des orbites basses. Cela empêchera l'humanité entière d'admirer un ciel vierge n'importe où sur la planète. La perte de la nuit étoilée est clairement une perte sans précédent pour toutes les cultures humaines.
Et il ne faut pas oublier que la pollution lumineuse est aussi, et principalement, un problème environnemental. La vie sur Terre a évolué avec la lumière du soleil pendant la journée et la lumière des étoiles et de la Lune pendant la nuit. On s'attend à ce que l'introduction de lumière artificielle dans les écosystèmes à des niveaux supérieurs à la quantité de lumière naturelle ressentie dans des conditions naturelles déclenche des changements dans le comportement des animaux. Certaines espèces, y compris les prédateurs, peuvent profiter de plus de lumière. D'autres espèces seront en danger d'extinction locale ou globale, ce qui réduira la biodiversité. De plus, les animaux, y compris les humains, diminueront leur production de mélatonine en réponse à la lumière artificielle la nuit. La mélatonine est une hormone fondamentale qui contrôle l'horloge circadienne interne des animaux, et donc leur physiologie. Un manque de cette hormone pourrait avoir de nombreuses conséquences négatives sur la santé.
Et puis, les processus nécessaires pour produire, installer et faire fonctionner l'éclairage artificiel extérieur libèrent des gaz à effet de serre dans l'atmosphère et contribuent évidemment au dérèglement climatique. L'année dernière, le rapport du groupe de travail Dark and Quiet Skies coordonné par NOIRLab estimait que 200 millions de tonnes de dioxyde de carbone sont générés pour produire les ∼400 térawattheures d'énergie électrique nécessaires aux éclairages extérieurs (environ la production d'énergie électrique annuelle de la France).
Les tentatives de contrôle de la pollution lumineuse menées au cours des dernières décennies, notamment en dirigeant la lumière sous le plan de l'horizon s'avèrent très insuffisantes car toute nouvelle lumière, même partiellement masquée, ajoutera de la pollution à l'environnement nocturne après avoir été réfléchie sur les surfaces éclairées. De nouvelles approches qui traitent la lumière comme un véritable polluant pourraient par exemple inclure l'introduction de plafonds totaux et de limites sur sa production, basés sur le contrôle d'indicateurs de pollution lumineuse, tels que la luminance zénithale du ciel nocturne ou l'éclairement au sol provenant du ciel entier. On pourrait imaginer un analogue à la réduction de la plupart des contaminants atmosphériques qui a été obtenue grâce à des interventions législatives, comme la Clean Air Act aux États-Unis. La pollution lumineuse est un problème environnemental et en tant que tel doit être affronté et résolu.
Kyba et son équipe constatent en tout cas que les données de la science citoyenne représentent un complément important aux méthodes de mesure classiques précédemment utilisées, et ils lancent un appel à toutes les bonnes volontés car le projet est toujours en cours aujourd'hui, et vous pouvez vous aussi y participer, surtout si vous vivez en Afrique ou en Asie. Avec une participation plus large, il pourrait être possible d'identifier les tendances à plus grande échelle, mais aussi à plus petite échelle , au niveau des États et des villes...
Projet Globe at Night : https://www.globeatnight.org/
Source
Citizen scientists report global rapid reductions in the visibility of stars from 2011 to 2022
Christopher Kyba et al.
Science Vol 379, Issue 6629 (19 January 2023)
Illustration
NOIRLab/NSF/AURA, P. Marenfeld
Bonjour !
RépondreSupprimerC'est une équipe de recherche américaine qui a eu des financements de recherches pour ne parler que de la pollution lumineuse (en sachant que les lumières peuvent être éteintes pour un événement spécial) et pas des débris spatiaux (dont le nettoyage n'est toujours pas planifié tandis-que de plus en plus de satellites sont lancés sans concertation) ?
Qu'entendez-vous par "des financements de recherches pour ne parler que de"
RépondreSupprimerLa recherche scientifique n'a pas pour objet de "parler de" mais de soumettre une hypothèse, l'étudier, puis en tirer des conclusions qui seront soumises à réfutation. Et les financements servent à faire ces études. Des financements qui peuvent être partisans, certes, et orienter l'analyse de façon plus ou moins neutre (cas général dans une recherche réellement faite pour la connaissance du monde) ou plus ou moins fallacieux (cas particulier qui concerne des groupes industriels voulant trouver dans les conclusions un intérêt pour leur business)... mais il ne servent pas à "parler de".
Alors je ne vois pas bien ce que vous entendez par "des financements de recherches pour ne parler que de".
Quant au nettoyage des débris spatiaux, avant de le planifier il faudrait déjà commencer par avoir la certitude que les techniques (et les méthodes) sont au point afin de ne pas faire courir un risque à qui que ce soit (ou empirer la situation) par destruction involontaire du satellite ou par une chute incontrôlable. Or on n'en est encore loin. On ne capture pas un satellite aussi facilement qu'on attrape un frisbee. Avant de planifier une campagne d'interception de satellites il y a encore pas mal d'étapes à faire pour s'assurer que tout (techniques et méthodes) sera bien au point et sans risque incontrôlé.
Jacques
Biologiste à la retraite