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06/01/23

Un modèle plus précis pour les naines blanches ultra-massives


La prise en compte des effets de la Relativité Générale dans l'évolution des étoiles naines blanches très massives, proches de leur limite de stabilité, indique des différences notables par rapport au cas classique. La masse limite se révèle notamment être un peu inférieure au classique 1,4 masse solaire. L'étude est parue dans Astronomy&Astrophysics.

Les naines blanches dites "ultra-massives" (M ≳ 1,05 M) sont de la plus haute importance compte tenu du rôle qu’elles jouent dans les explosions de supernovas de type Ia, les événements de fusion, l’existence de naines blanches à champ magnétique élevé, et les processus physiques qui apparaissent dans la phase d'évolution stellaire de la branche géante asymptotique. L’évolution théorique des naines blanches ultra-massives de masse allant jusqu’à 1,29 M a été étudiée en détail par Camisassa et al. (2019, 2022), des études qui fournissent les séquences évolutives de naines blanches avec une composition chimique de noyau oxygène-néon (ONe) et carbone-oxygène (CO), en tenant compte des profils chimiques initiaux réalistes qui sont le résultat de l’évolution complète des étoiles progénitrices. Cet ensemble de modèles évolutifs fournit un outil approprié pour étudier la population de naines blanches ultra-massives dans notre galaxie, mais à condition que les masses des naines blanches ne dépassent pas 1,29 M.
Au cours des dernières années, des observations de naines blanches ultra-massives ont été rapportées dans plusieurs études. En particulier, Gagné et al. ont calculé en 2018 une masse de 1,28 ± 0,08 M pour la naine blanche GD 50. Le nombre de naines blanches ultra-massives avec des déterminations de masse supérieures à 1,29 M augmente régulièrement avec les observations actuelles. Pshirkov et al. ont découvert en 2020 une naine blanche ultra-massive en rotation rapide, WD J1832+0856, avec M = 1,33 ± 0,01 M; puis Caiazzo et al. ont signalé en 2021 l’existence d’une naine blanche ultra-massive hautement magnétisée en rotation rapide, ZTF J1901+1458, d’une masse entre 1,327 et 1,365 M. En 2021, Kilic et ses collaborateurs ont étudié les naines blanches les plus massives du voisinage solaire et ont conclu que 22 autres naines blanches pourraient également avoir des masses supérieures à 1,29 M, si elles avaient des enveloppes d'hydrogène pures et des noyaux Carbone-Oxygène. 
Le nombre croissant de naines blanches ultra-massives détectées avec des masses supérieures à 1,29 M ainsi que la perspective immédiate de détecter des naines blanches pulsantes avec de telles masses, exigent de nouveaux modèles évolutifs théoriques appropriés pour les analyser. En 2021, Schwab et al. avaient étudié l’évolution des naines blanches plus massives que 1,29 M en mettant l’accent sur le refroidissement des neutrinos via le processus Urca, montrant que ce processus est important pour la détermination de l’âge des étoiles naines blanches Oxygène-Néon. Mais ces modèles ont été calculés en utilisant l’ensemble des équations standard pour résoudre la structure stellaire et l’évolution sous l’hypothèse de la gravité newtonienne. Or, l’importance de la Relativité Générale pour la structure des naines blanches les plus massives ne peut plus être complètement ignorée. Cela a par exemple été évalué par Carvalho et al. en 2018, qui ont résolu l’équation d’équilibre hydrostatique relativiste pour un gaz d’électrons de Fermi idéal complètement dégénéré. Ils démontraient que pour des valeurs fixes de masse totale, de grands écarts (jusqu’à 50%) dans le rayon de la naine blanche newtonienne sont attendus par rapport au rayon de naines blanches relativiste.
C'est donc à partir de ce constat, tant observationnel, avec un nombre croissant de naines blanches ultra-massives, que théorique, que Leandro Althaus (Université de La Plata en Argentine) et ses collaborateurs ont cherché à évaluer l'évolution de naines blanches ultra-massives, cette fois avec des masses supérieures à 1,29 M et qui prenne pleinement en compte les effets de la relativité générale sur leurs propriétés structurelles et évolutives. Pour cela, ils ont calculé les séquences d’évolution complètes de naines blanches de 1,29, 1,31, 1,33, 1,35 et 1,369 M avec le code d’évolution stellaire de La Plata nommé LPCODE.Pour cette étude inédite, les équations standard de la structure stellaire et de l’évolution ont été modifiées pour inclure les effets de la relativité générale. Plus précisément, les équations aux dérivées partielles relativistes  régissant l’évolution d’une étoile à symétrie sphérique sont résolues de manière à ressembler aux équations newtoniennes standard de la structure stellaire. À des fins de comparaison, les chercheurs ont calculé également les mêmes équations d'évolution pour le cas newtonien.

Les résultats montrent que les propriétés évolutives des naines blanches les plus massives sont fortement modifiées par les effets de la relativité générale. En particulier, le rayon stellaire résultant se trouve être nettement plus petit dans le cas relativiste général, étant jusqu’à 25% plus petit que prévu par le traitement newtonien pour les cas les plus massifs. L’impact des effets relativistes sur la relation masse-rayon a été étudié à plusieurs températures effectives différentes. A une masse stellaire de 1,369 M, le rayon stellaire n'est que de 1050 km, ce qui est 25% plus petit que celui prévu par le traitement newtonien. Et comme dans le cas newtonien, l’effet de la température sur le rayon stellaire est toujours pertinent dans les naines blanches très massives. Chose intéressante : les corrections relativistes sont importantes seulement au dessus de 1,29 M. Elles deviennent négligeables pour les masses stellaires inférieures. Les chercheurs montrent que pour les masses stellaires inférieures à 1,29 M, le rayon est inférieur de 2% seulement lorsque les effets de la relativité générale sont pris en compte.
Althaus et ses collaborateurs constatent que les naines blanches de type oxygène-néon plus massives que 1,369 M⊙ deviennent gravitationnellement instables, et lorsque la distribution chimique du noyau due à la séparation de phase lors de la cristallisation est considérée, l'instabilité se produit à des masses stellaires encore légèrement inférieures : 1,36 M. Pour le modèle de naine blanche de 1,369 M, la densité centrale dans le cas de la relativité générale atteint 2,11 × 1010 g cm−3. Une telle densité est proche du seuil de densité pour les désintégrations β inverses (l'absorption d'un électron par un proton qui donne un neutron). Les astrophysiciens s’attendent à ce que les naines blanches O ou Ne deviennent instables face au processus de désintégration β inverse à une masse proche de la masse critique résultant des effets de la relativité générale, de l’ordre de 1,37 M.
Pour un modèle de naine blanche aussi massive, Althaus et ses collaborateurs montrent que les effets de la relativité générale modifient fortement la structure stellaire, ce qui rend la matière beaucoup plus concentrée vers le centre de l’étoile et la densité centrale plus grande que dans le cas newtonien. L’impact reste perceptible vers les masses stellaires inférieures, bien que dans une moindre mesure. L'intensité du champ gravitationnel en fonction des coordonnées radiales pour le cas de la relativité générale diffère ainsi nettement de celle résultant du cas newtonien. 
De plus, ils observent également que les temps de refroidissement des naines blanches les plus massives sont environ un facteur 2 plus petits que dans le cas newtonien à des stades avancés de l’évolution. L’énergie gravothermique est la principale source d’énergie des naines blanches, sauf à des températures effectives très élevées où l’énergie libérée lors du processus de cristallisation contribue au bilan de l’étoile. Comme l’avaient remarqué Camisassa et al. en 2021, les naines blanches ultra-massives O-Ne évoluent extrêmement rapidement vers de faibles magnitudes. Les effets de la relativité générale font que les naines blanches ultra-massives évoluent en effet plus rapidement que dans le cas newtonien à des stades avancés de l’évolution. Althaus et son équipe montrent qu'une naine blanche de  1,369 M atteint une luminosité log(L/L)= − 4,5 en seulement 0,5 gigannées, contrairement aux 0,9 gigannées nécessaires dans le cas newtonien. Ce sont les densités internes plus importantes infligées par la relativité générale qui rendent la phase de refroidissement de Debye plus pertinente que dans le cas newtonien à une masse stellaire donnée, entraînant ainsi un refroidissement plus rapide pour les cas qui incluent des effets de relativité générale.
Le refroidissement rapide de ces objets, ainsi que leur faible luminosité et leurs taux de formation rares, les rendraient difficiles à observer. Les chercheurs notent également que la tendance du comportement de refroidissement se retrouve inversée aux premiers stades de l’évolution, où les naines blanches calculées dans le cas de la relativité générale évoluent alors plus lentement que leurs homologues newtoniennes. Ceci est dû au fait que les naines blanches calculées dans le cas de la relativité générale cristallisent à des luminosités plus élevées (en raison de leurs plus grandes densités centrales), avec l’augmentation conséquente des temps de refroidissement à ce stade.
Pour tester ces effets de la Relativité Générale sur l'évolution des naines blanches très massives, Althaus et son équipe proposent un échantillon de naines blanches à même de démontrer par l'observation ce qu'ils viennent de montrer sur le papier. Il s'agit d'une population de naines blanches détectées par Gaia, toutes situées à moins de 100 pc, qui a été nommée la "branche bleue pâle" et qui est formée par 60 objets ultra-froids et ultra-massifs, qui ont été vérifiés et validés astrométriquement et photométriquement. La grande majorité des naines blanches de la branche bleue pâle semblent avoir des masses supérieures à 1,29 M. Cet échantillon serait idéal pour tester le modèle, et en particulier les objets qui présentent les plus grandes masses ou, de manière équivalente, les plus petits rayons. 

Pour les astrophysiciens théoriciens, la conclusion est que les effets de la Relativité Générale devraient être pris en compte pour une évaluation précise des propriétés structurelles et évolutives des naines blanches les plus massives. Ne pas tenir compte de tels effets conduirait à une surestimation de leur masse et à une estimation incorrecte de leurs temps de refroidissement. Ces nouveaux modèles de naines blanches ultra-massives constituent une amélioration considérable par rapport à ceux calculés dans le cadre de la théorie newtonienne standard des intérieurs stellaires.

Source

Structure and evolution of ultra-massive white dwarfs in general relativity
Leandro G. Althaus
A&A Volume 668 A58 (december 2022)


Illustration

1. Vue d'artiste d'une naine blanche (WD Project)
2. Evolution de la fonction Masse-Rayon pour deux températures dans le cas Newtonien et relativiste (Althaus et al.)

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