Une équipe de deux astrophysiciens se penche sur le sursaut gamma le plus brillant détecté à ce jour : GRB 221009A pour tenter d'expliquer pourquoi son signal rémanent post-sursaut contenait des photons gamma d'une énergie supérieure à 10 TeV (jusqu'à 18 TeV !). Ces photons pourraient avoir été produits par des rayons cosmiques à très haute énergie accélérés par l'onde de choc du GRB. Ils publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.
L'origine des rayons cosmiques d'ultra-haute énergie (UHECRs ; E > 1017 eV) est un problème de taille en astrophysique. Les GRB sont considérés comme des candidats de choix pour accélérer les particules à des énergies ultra-hautes mais jusqu'à aujourd'hui, aucune signature directe d'UHECRs provenant des GRBs n'a été observée. Et la non-détection de neutrinos de haute énergie en provenance de GRBs par IceCube ces dernières années a imposé des contraintes sévères sur l'accélération des rayons cosmiques pendant la phase d'émission rapide. Des GRBs proches peuvent néanmoins être utilisés pour étudier l'accélération potentielle des rayons cosmiques d'ultra-haute énergie dans les jets ultra-relativistes associés.
GRB 221009A a été détecté le 9 octobre 2022 par les télescopes Swift-BAT et Fermi-GBM, c'est la sursaut gamma le plus brillant connu à ce jour. Par la suite, le télescope Fermi-LAT a détecté des rayons γ de plus de 100 MeV entre 200 et 800 s après le déclenchement du GBM. Le photon de plus haute énergie avait une énergie de 99,3 GeV et a été détecté à T0+240 s. Il s'agit du photon le plus énergétique détecté par Fermi-LAT à partir d'un GRB. Une demi-heure plus tard, le détecteur chinois LHAASO (Large High Altitude Air Shower Observatory) a détecté plus de 5000 photons provenant du GRB 221009A dans la gamme énergétique de 0,5 à 18 TeV, faisant de GRB 221009A le premier GRB détecté au-dessus de 10 TeV. À T0+4536 s, Carpet2, un détecteur Cherenkov au sol, a signalé la détection d'un photon de 251 TeV dans la direction du sursaut. La détection de photons aussi énergétiques à partir d'un GRB même proche, comme le GRB 221009A qui se trouve à z = 0,15 est extrêmement intéressante étant donné que l'opacité de l'Univers pour la propagation des rayons γ est très grande en raison de la production de paires e± lors de leurs interactions avec les photons optiques, UV et IR de la lumière de fond extragalactique. Cela a conduit à quelques spéculations sur une violation de l'invariance de Lorentz ou une oscillation avec des particules de type axion qui serait responsable du fait que les rayons γ de très haute énergie (VHE) échappent à la création de paires e+e-. La rémanence de GRB 221009A a également été détectée par plusieurs télescopes X, tels que Swift-XRT, INTEGRAL, STIX sur Solar Orbiter, IXPE, NICER et NuSTAR, ainsi que par de nombreux télescopes optiques dans le monde, et par des radiotélescopes tels que VLA, MeerKAT, et ATCA.
GRB 221009A offre une opportunité sans précédent pour comprendre les processus à haute énergie qui ont lieu dans les phénomènes transitoires extrêmes. Seulement, les modèles leptoniques conventionnels pour l'émission rémanente de cette source, via les processus synchrotron et synchrotron-self-Compton (SSC), ont du mal à expliquer l'observation de rayons γ jusqu'à 18 TeV qui ont été détecté par le détecteur chinois LHAASO. Saïkat Das (université de Kyoto) et Soebur Razzaque (université de Johannesburg) ont modélisé le spectre de rayons γ qui est estimé dans la gamme d'énergie de 0,1 à 1 GeV par le détecteur Fermi-LAT. Le flux prédit par leurs modèles leptoniques apparaît fortement atténué au dessus de 1 TeV en raison de la production de paires de photons lors de leur interaction avec la lumière de fond extragalactique, et donc un composant supplémentaire doit être nécessaire à plus de 10 TeV.
Les deux chercheurs en arrivent à penser que des rayons cosmiques à très haute énergie peuvent être accélérés dans l'onde de choc du GRB. Leur propagation induirait ensuite une cascade électromagnétique dans le milieu extragalactique. Ils montrent que la composante de ce flux qui arrive dans notre ligne de visée peut expliquer à elle seule l'émission vue à plus de 10 TeV détectée par LHAASO. Pour les deux chercheurs, cela pourrait être une indication qu'il existe une accélération des rayons cosmiques à très haute énergie dans les GRB.
Dans ce modèle de l'onde de choc, les éjectas en expansion relativiste ralentissent, après une émission rapide, en interagissant avec le milieu ambiant. Cela produit un choc avant dans l'onde de choc décélérante, par lequel les protons peuvent être accélérés à des énergies ultra-hautes. Le site d'émission retardée de rayons γ à haute énergie observée dans le GRB à des énergies de plus de 1 TeV peut ensuite être expliqué par l'interaction des rayons cosmiques d'ultra-haute énergie lors de leur propagation extragalactique. Dans le cas de GRB 221009A, Das et Razzaque montrent que l'origine leptonique due à l'émission synchrotron et SSC est difficile à étendre jusqu'à des énergies de plus de 10 TeV. L'émission de type SSC aux plus hautes énergies devient en effet inefficace à cause de l'effet Klein-Nishina et le flux est également atténué en raison de la production de paires γγ avec les photons de la lumière de fond extragalactique. Leur analyse montre que le spectre du processus SSC chute fortement au-delà de 220 GeV, mais il reste tout de même cohérent avec l'observation d'un photon de ∼100 GeV par Fermi-LAT. Au-delà de 10 TeV en tous cas, en raison de l'atténuation par l'EBL, le flux provient très probablement des interactions des rayons cosmiques d'UHE dans la ligne de visée. Les chercheurs ont ajusté l'intensité du champ magnétique extragalactique pour reproduire le délai temporel de 2000 secondes environ qui existait entre le sursaut et l'arrivée des photons de plus de 10 TeV : ils trouvent une valeur B ≈ 1,82×10-14 G.
Das et Razzaque précisent aussi qu'il peut y avoir un délai supplémentaire pour les UHECRs à cause de la propagation dans la galaxie hôte, qui pour GRB 221009A peut être une galaxie compacte, et le champ magnétique de telles galaxies est inconnu. Pour une galaxie de type Voie Lactée, un délai temporel de l'ordre de 1000 s nécessiterait un champ magnétique de la galaxie aussi faible que 1 nG, une valeur similaire à ce qui existe dans les protogalaxies... Alternativement, pour que le modèle soit
valide, le GRB devrait être positionné à la périphérie de la galaxie hôte ou loin de la région du disque, de sorte que le champ magnétique soit naturellement diminué. Des hypothèses un peu similaires ont également été formulées dans d'autres études (par exemple par Alves Batista et al. 2022), qui montraient que l'émission en cascade induite par des noyaux plus lourds peut s'étendre jusqu'à des énergies supérieures à celles que LHAASO a détectées pour ce GRB
L'observation de GRB 221009A par LHAASO à des énergies de plus de 10 TeV ont offert une occasion unique de sonder l'accélération des particules et les mécanismes d'émission des GRBs. En expliquant le signal gamma observé, Das et Razzaque trouvent, pour la première fois, une signature d'accélération de rayons cosmiques à ultra-haute énergie dans un GRB.
Source
Ultrahigh-energy cosmic-ray signature in GRB 221009A
Saikat Das and Soebur Razzaque
Illustration
Vue d'artiste de GRB 221009A (NASA/ Swift / Cruz deWilde)
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