Une équipe d'astrophysiciens suisses, français et espagnols ont découvert un indice de l'existence d'étoiles supermassives au sein d'amas globulaires lors de leur formation., grâce à l'observation d'une anomalie chimique sur une des plus lointaines galaxies avec le télescope Webb. Ils publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.
Les amas globulaires sont les groupes d’étoiles les plus anciens de l’Univers. Ils peuvent contenir jusqu’à 1 million d'étoiles liées gravitationnellement entre elles. La composition chimique de ces étoiles, qui sont pourtant nées au même moment à partir du même nuage de gaz, présente le plus souvent des anomalies que l’on ne retrouve dans aucune autre population d’étoiles. La proportion d’oxygène, d’azote, de sodium ou d’aluminium y est très différente d’une étoile à l’autre. Les astrophysiciens parlent d’«anomalies d’abondance». Après avoir imaginé que des étoiles supermassives pouvaient être à l’origine de ces anomalies, Corinne Charbonnel (université de Genève) et ses collaborateurs sont partis à la recherche de données d'amas globulaires vus au moment de leur naissance, ce qu'on peut appeler des proto-amas. Ils ont pour cela exploité une observation de la galaxie GN-z11 avec le télescope Webb, effectuée par Andrew Bunker et al. très récemment. GN-z11, c'est la galaxie qui était la détentrice du record de distance avant l'avènement de Webb.... Il s'agit d'une galaxie qui se trouve à un redshift de presque 11 (10,6 en fait) comme son nom le laisse supposer, ce qui correspond à une époque située 440 millions d'années après le Big Bang seulement.
En 2018, Charbonnel et ses collaborateurs avaient mis au point un modèle démontrant que des étoiles supermassives auraient pu polluer le nuage de gaz originel lors de la formation des amas globulaires, ce qui peut enrichir les étoiles en certains éléments chimiques de manière hétérogène. Quand on parle d'étoiles supermassives, on parle bien de la toute première génération d'étoiles qui pouvaient être effectivement très massives, jusqu'à 10000 masses solaires, et avec une durée de vie très courte.
La durée de vie de ces étoiles supermassives est au maximum de deux millions d’années. Il n'y a pas aujourd'hui de réel consensus sur la formation de telles étoiles, mais un scénario attrayant dans le contexte des amas globulaires est celui d'une formation via des collisions stellaires. Gieles et al. avaient par exemple montré en 2018 que les proto-amas hébergeant un grand nombre d'étoiles (plus d'un million) et accrétant du gaz à un taux élevé (plus de 100 000 M⊙ par million d'années) peuvent connaître des collisions d'étoiles incontrôlables conduisant à la formation d'étoiles supermassives avec des masses pouvant atteindre entre 1000 et 100 000 M⊙ en 1 à 2 millions d'années, avant que la relaxation à deux corps arrête la contraction du système. De plus, ces étoiles supermassives peuvent être continuellement "rajeunies" par des collisions stellaires successives et ainsi brûler de l'hydrogène à très haute température tout en maintenant leur faible teneur en hélium.
L'avantage de GN-z11, c'est son âge, qui est estimé à seulement quelques dizaines de millions d’années, même si le canal de formation d'étoiles supermassives décrit pourrait se produire à n'importe quel décalage vers le rouge dans des amas d'étoiles massifs suffisamment compacts. Observer ce qui se passe dans une galaxie qui est avant tout peuplée d'étoiles de population II fraîchement produites permet de séparer les différentes sources de pollutions chimiques.
Les spectres obtenus sur GN-z11 avec le télescope Webb ont permis de montrer la présence d'une proportion d'azote anormale, via un rapport N/O très élevé (4 fois plus élevé que la valeur solaire), associé à une très forte densité d'étoiles. Pour les chercheurs, c'est très probablement la signature de plusieurs amas globulaires qui doivent être en cours de formation dans cette galaxie et qui abriteraient encore au moins une étoile supermassive en vie. En effet, une forte proportion d'azote de ce niveau ne peut s'expliquer que par la combustion de l'hydrogène à très haute température. Or, des températures de plus de 50 millions de Kelvins ne sont atteignables que dans des étoiles supermassives.
Pour modéliser la nucléosynthèse dans les étoiles supermassives à croissance rapide, Charbonnel et ses collaborateurs ont calculé des modèles d'évolution pour trois valeurs de métallicité. Ils sont partis d'une graine de faible masse (0,7 M⊙) et ont appliqué des taux d'accrétion de masse élevée et ils arrivent à atteindre 10 000 M⊙ seulement 0,15 Mégannées après le début du processus de collision, comme prévu dans le cas d'un proto-amas hébergeant 10 millions d'étoiles. Dans ces conditions, de l'hydrogène frais remplit l'étoile en permanence et la fraction de masse d'Hélium reste proche de sa valeur d'origine pendant que le cycle CNO fonctionne à l'équilibre. La température centrale augmente donc très lentement tandis que la masse stellaire croît : pour la métallicité la plus faible considérée, T passe de 67 à 73 MK tandis que la masse stellaire passe de 3000 à 10 000 M⊙. Les chercheurs constatent que les étoiles supermassives satisfont les contraintes de nucléosynthèse sur une large gamme de masses.
Après avoir comparé les rapports d'abondance de C, N et O dans la galaxie GN-z11 avec des données d'amas globulaires de notre galaxie et fait leur estimation quantitative de la nucléosynthèse dans les étoiles supermassives qui peuvent se former lors de collisions incontrôlables dans les proto-amas, Charbonnel et ses collaborateurs montrent que les modèles d'étoiles supermassives "pollueuses" peuvent bien expliquer simultanément les observations de GN-z11 et des amas globulaires galactiques. Leur modèle prédit que des rapports N/O et C/O similaires, voire supérieurs, pourraient être observés dans les proto-amas globulaires à z élevé dans des galaxies avec une métallicité plus faible que GN-z11, mais que des rapports C/O inférieurs seraient attendus pour des métallicités plus élevées. De quoi pouvoir tester le modèle par des observations.
Charbonnel et ses collaborateurs indiquent également que le gaz enrichi en N et appauvri en O dans GN-z11 et les galaxies à un redshift similaire devrait également être enrichi en Na et en Al, si les observations montrent bien des amas globulaires en formation. Un autre moyen de tester le modèle... Cependant , les chercheurs remarquent dans leur conclusion qu'un scénario qui impliquerait des vents d'étoiles massives en rotation pourrait également expliquer les modèles d'abondance chimique particuliers qui sont observés dans GN-z11, mais dans une fenêtre de temps assez courte. Compte tenu de la rareté de l'échantillon d'observation, cette option ne peut pas être totalement exclue à l'heure actuelle, selon eux.
Si le scénario des étoiles supermassives est confirmé par des études futures, cela constituerait une étape importante pour la compréhension des amas globulaires et la formation des étoiles supermassives en général, avec des implications importantes. La prochaine étape, pour les astrophysiciens, va consister à tester la validité de ce modèle sur d’autres amas globulaires en formation au sein de galaxies lointaines, en utilisant certainement toujours les données du télescope Webb.
Source
N-enhancement in GN-z11: First evidence for supermassive stars nucleosynthesis in proto-globular clusters-like conditions at high redshift ?
C. Charbonnel et al.
Illustration
L'amas globulaire M92 imagé par la télescope Hubble (NASA/ESA)
Bonjour,
RépondreSupprimerEst-ce que cela n'impliquerait pas de trouver des trous noirs de masse intermédiaire au sein de nombreux amas globulaires ?
Si tout à fait. Ces trous noirs ne sont pas faciles à débusquer néanmoins.
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