Pages

jeudi 1 juin 2023

Le panache d'eau de Encelade analysé par le télescope Webb


Encelade est une cible privilégiée dans la recherche de la vie dans notre système solaire, en raison de son océan liquide et chaud caché sous sa croûte de glace. Mais cette croûte étant fissurée, comme l'a révélé la sonde Cassini, des panaches d'eau s'en échappent et ont été partiellement caractérisés par la sonde. Une équipe de chercheurs a voulu effectuer de nouvelles observations des panaches de Encelade, mais depuis la Terre, ou plus exactement depuis le point de Lagrange L2, en utilisant le télescope spatial Webb. Les résultats nous apprennent de nouvelles choses sur le système Saturne-Encelade... Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

Geronimo Villanueva (Goddard Space Flight Center) et ses collaborateurs ont utilisé le télescope Webb et plus particulièrement son spectrographe NIRSpec le 9 novembre 2022 pour explorer la composition et la structure des panaches de Encelade, à la recherché notamment de composés organiques. 
En analysant les émissions moléculaires sur de grandes distances d'Encelade, ils ont pu cartographier la distribution de l'eau dégazée, comparer le niveau d'activité à celui déterminé par Cassini, et établir un lien direct entre le panache et le nuage de matière étendu qui s'est accumulé sur l'orbite de Encelade au cours de plusieurs orbites.
Ces premières observations n'ont pas duré très longtemps (quelques minutes) et se sont concentrées sur les émissions de fluorescence de la molécule H2O. Les spectres de Webb révèlent un panache extraordinairement étendu, jusqu'à 10 000 km de la surface du petit satellite, ce qui fait 40 fois le rayon d'Encelade, bien plus grand que ce qu'avait pu imagé la sonde Cassini en 2005. La température mesurée du panache étendu est de l'ordre de 25 K. Et Villanueva et ses collaborateurs, à partir de l'image du panache d'eau et de sa densité, peuvent en déduire le taux de dégazage de Encelade : 300 kg/s! Cette valeur est cohérente avec celle qui avait pu être déduite à partir des observations rapprochées de Cassini il y a 15 ans et la densité d'eau dans le voisinage de Encelade, autour de Saturne est également cohérente avec des mesures non résolues réalisées avec le télescope Herschel il y a 13 ans. Cela suggère que l'éjection d'eau d'Encelade a été relativement stable sur une échelle de temps décennale.  
Villanueva et ses collaborateurs montrent que cette eau qui s'échappe de Encelade forme un vaste tore autour de Saturne, qui suit l'orbite du petit satellite. Encelade se révèle être la principale source d'eau du système saturnien, selon les chercheurs. 
Ce qui les mène à cette conclusion c'est le fait qu'ils observent également une émission d'eau relativement constante sur l'ensemble du champ de vue avec une densité de colonne moyenne de (1,7±0,1)×1018 m-2. Cette émission provient très probablement de molécules d'eau à l'intérieur d'un tore, qui est observé sur la trajectoire orbitale d'Encelade avec une inclinaison de 15,2°, selon les chercheurs. En supposant une densité moyenne constante à l'intérieur du tore et une densité nulle à l'extérieur, et en tenant compte du fait que le rayon mineur du tore est considérablement plus petit que son rayon principal (~237 000 km, centré sur l'orbite d'Encelade), alors sa densité de colonne peut être estimée à ~ 4,5×1017 m-2  (=1,7×1018 m-2 × sin (15,2°)). Et cette mesure de Villanueva  et son équipe est remarquablement cohérente avec celle qui avait déduite d'observations submillimétriques obtenues il y a 13 ans qui indiquaient une densité de colonne équatoriale de 4×017 m-2 et un rayon mineur du tore 25 000 km.


Les fuites d'eau de Encelade produisent donc une accumulation d'eau sous la forme d'un tore autour de Saturne. Et les chercheurs notent que comme Encelade orbite rapidement autour de Saturne avec une période de seulement 1,37 jours, la vapeur d'eau éjectée se répand le long et autour de son orbite, et si l'on considère que la durée de vie photochimique de l'eau près de Saturne est relativement longue (~94 jours), avant de se dissocier en O + OH, en combinant cette valeur avec le taux de production dérivé du panache (300 kg/s), on peut estimer que le tore d'eau contient à tout moment  8×1034 molécules. Alternativement, Villanueva et ses collaborateurs calculent ensuite la quantité d'eau à partir de la densité de colonne des panaches et de la densité de colonne du tore, et ils trouvent un total de 2,5×1034 molécules d'eau disponibles à un moment donné dans le tore, ce qui correspond à environ un tiers des molécules d'eau éjectées par Encelade. Cela signifie qu'une grande partie des molécules de H2O éjectées (et ses produits OH et O) se répandent au-delà du tore et à travers le système saturnien. 
Exprimés en masses, cette quantité d'eau contenue dans le tore de l'orbite d'Encelade correspond à 750 000 tonnes d'eau. 
Villanueva et ses collaborateurs ont aussi recherché d'autres signatures spectrales que l'eau dans les spectres de NIRSpec. Ils ont recherché des émissions moléculaires de CO2, CO, CH4, C2H6 et CH3OH à travers le panache, mais aucune n'a été détectée. Cela leur permet de fixer des limites supérieures pour leurs abondances par rapport à l'eau : CO2 : <1%, CO : <10%, CH4, : <4%, C2H6 : <6% et CH3OH : <20%. Ces limites se situent dans les limites des abondances qui avaient été rapportées par les mesures de Cassini dans la région du panache  d'Encelade (CO: 0,3-0,8%, CO <0,05%, CH4 : 0,1-0,3%, C2H6<0,2%, et  CH3OH<0,01%). Pour les chercheurs, la limite supérieure du rapport CO2/H2O, qui se trouve être très proche de la valeur de Cassini, apporte un soutien supplémentaire à l'idée que la séquestration extensive du CO2 dans le noyau rocheux d'Encelade est la raison de l'appauvrissement du panache en CO2 par rapport aux observations cométaires où le CO2 est beaucoup plus abondant.

Ces premières observations de Encelade avec le JWST (avec seulement quelques minutes de temps d'intégration) démontrent la puissance du télescope pour caractériser de manière sensible ce monde océanique riche de promesses. Plus généralement, cette étude montre que le télescope Webb pourra fournir des informations quantitatives détaillées sur les phénomènes géologiques et cryovolcaniques qui sont dominés par la vapeur d'H2O ailleurs dans le système solaire, voire au delà... 

Source

JWST molecular mapping and characterization of Enceladus’ water plume feeding its
torus
Geronimo Villanueva et al.
accepté pour publication par Nature Astronomy


Illustration

1. Image du panache d'Encelade par le télescope Webb (NASA/ESA/CSA/ALYSSA PAGAN (STSCI)/Geronimo Villanueva  (NASA-GSFC))
2. Modèle du tore d'eau comparé aux observations (Geronimo Villanueva et al.)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci !