GRB 230307A appartient à la classe des sursauts gamma de longue durée associés aux fusions d'objets compacts. Il a produit une kilonova similaire à AT2017gfo, associée à la fusion d'étoiles à neutrons détectée par les ondes gravitationnelles GW170817. Des astrophysiciens ont observé le signal rémanent de ce sursaut gamma avec le télescope Webb en infra-rouge, et ils ont découvert la présence d'éléments lourds comme du tellure... L'étude est publiée dans Nature.
Le sursaut a été initialement détecté par le télescope spatial Fermi qui a donné l'alerte, puis il a également été détecté par plusieurs autres instruments à haute énergie, permettant la triangulation de la source par le réseau IPN. Le télescope Swift a ensuite été exploité, grâce à la localisation de l'IPN, pour révéler un candidat de lumière de rémanence en rayons X. Andrew Levan (université de Radbout) et ses collaborateurs ont ensuite obtenu des observations dans le visible avec l'instrument ULTRACAM monté sur le New Technology Telescope (NTT) de 3,5m. Ces observations ont révélé une source coïncidant avec la source de rayons X de Swift, que les chercheurs ont identifiée comme la rémanence optique du sursaut gamma. Cette rémanence était inhabituellement faible, étant donné la très forte luminosité de l'émission gamma initiale.
Andrew Levan et ses collaborateurs ont ensuite rapidement poursuivi leurs investigations avec des observations approfondies dans le visible et le proche infrarouge, cette fois avec le télescope Gemini Sud et le Very Large Telescope (VLT), ainsi que dans les rayons X avec les télescopes spatiaux Swift/XRT et Chandra, mais aussi dans le domaine radio avec l'Australia Telescope Compact Array (ATCA) et MeerKAT.
Les observations du spectrographe à champ intégral MUSE du VLT ont permis de déterminer le décalage vers le rouge d'une galaxie spirale brillante voisine située à à z = 0,0646 ± 0,0001, et décalée de 30,2 secondes d'arc (38,9 kiloparsec en projection) de la position du GRB. La campagne d'observation au sol s'est étendue de 1,4 à 41 jours après le sursaut. A T0+11 jours, les observations infrarouges ont montré une transition entre une caractéristique spectrale bleue précoce et une caractéristique spectrale beaucoup plus rouge, compatible avec l'apparition d'une kilonova.
Ces observations dans le domaine des rayons gamma, des rayons X, du visible, de l'infrarouge et de la radio ont montré que la contrepartie visible/infrarouge était faible et évoluait rapidement. Ce type d'explosion étant très rapide, la matière contenue dans l'explosion se dilate rapidement, et au fur et à mesure que l'ensemble des éjectas se dilate, le matériau se refroidit rapidement et le pic de lumière devient plus rouge sur des échelles de temps allant de quelques jours à plusieurs semaines. Quelques dizaines de jours après le sursaut, les conditions étaient devenues parfaites pour que les instruments NIRCam (Near-Infrared Camera) et NIRSpec (Near-Infrared Spectrograph) du télescope Webb puissent observer cette lumière rémanente.
Levan et ses collaborateurs ont alors demandé en urgence aux responsables du télescope spatial Webb d'effectuer des observations, qui ont pu débuter le 5 avril 2023 (+28,9 jours après le GRB). Les chercheurs ont réalisé des observations en 6 couleurs avec NIRCam, ainsi qu'un spectre avec NIRSpec, couvrant de 0,5 à 5,5 microns en longueur d'ondes. Et les astrophysiciens ont remis le couvert de Webb à T0+61 jours pour de nouvelles données du même type.
Les spectres enregistrés montrent clairement une raie d'émission à 2,15 microns que les chercheurs interprètent comme une raie du tellure ionisé (masse atomique A=130). Et d'autres éléments proches du tellure dans le tableau périodique, comme l'iode, sont également susceptibles d'être présents parmi les matériaux éjectés de la kilonova. Alors que les fusions d'étoiles à neutrons ont longtemps été théorisées comme étant idéales pour créer certains des éléments les plus rares, sensiblement plus lourds que le fer, jusqu'à aujourd'hui les astrophysiciens ont rencontré quelques obstacles pour obtenir des preuves solides. Les sursauts gamma (GRB) les plus courts peuvent être des sous-produits de ces épisodes de fusion d'étoiles à neutrons peu fréquents. Le cas de GRB 230307A est particulièrement remarquable. Il a été détecté pour la première fois par le télescope spatial Fermi en mars 2023, et il s'agit du deuxième GRB le plus brillant observé en plus de 50 ans d'observations, environ 1 000 fois plus lumineux qu'un sursaut gamma typique observé par Fermi (le plus brillant de tous avait été détecté seulement quelques mois plus tôt le 9 octobre 2022, GRB 221009A). GRB 230307A a également duré 35 secondes, ce qui le place dans la catégorie des sursauts gamma de longue durée, mais on sait désormais que la durée des GRB n'est pas liée à la nature de la source à leur origine (collapsar ou fusion d'étoiles à neutrons). L'utilisation conjointe de nombreux télescopes au sol et dans l’espace a permis aux astrophysiciens de produire de riches données sur cet événement dès la première détection du sursaut gamma.
Levan et ses nombreux collaborateurs montrent que le spectre présente de larges raies qui indiquent que le matériau est éjecté à grande vitesse. Les chercheurs ont également pu localiser la galaxie hôte de cette fusion d'étoiles à neutrons : une galaxie spirale dont le centre est situé à environ 120 000 années-lumière du site de la fusion. Les chercheurs élaborent le scénario qui aurait conduit le couple d'étoiles à neutrons aussi loin de sa galaxie d'origine : A l'origine, il y avait deux étoiles massives normales qui formaient un système binaire dans la galaxie spirale. Les deux étoiles ont été propulsées ensemble à deux occasions distinctes : une première fois lorsque l’une des deux étoiles a explosé en supernova et est devenue une étoile à neutrons, et une seconde fois lorsque l’autre étoile a subi le même processus. Lors d'une supernova qui est le plus souvent pas exactement de symétrie sphérique, l'étoile à neutrons résultante est munie d'une impulsion dans une certaine direction. Les deux étoiles à neutrons sont restées liées entre elles dans un système binaire malgré les deux secousses, mais elles auraient ainsi été expulsées de leur galaxie d'origine. Le couple aurait parcouru environ l’équivalent du diamètre de la Voie lactée avant de finir par fusionner, plusieurs centaines de millions d’années plus tard, un certain 7 mars 2023...
La détection de la présence de tellure dans le matériau résiduel entourant le site de la fusion des deux étoiles à neutrons démontre que la nucléosynthèse dans les GRB (ou les kilonovas) peut créer des éléments lourds riches en neutrons par le processus r (une capture rapide de neutrons par les noyaux atomiques), dans une large gamme de masses atomiques. Elle indique ainsi que globalement, ce processus peut jouer un rôle central dans la nucléosynthèse des éléments lourds dans l'Univers. C'est vrai par exemple pour tous les éléments lourds que nous connaissons sur Terre, et qui ont été produits par un tel événement cataclysmique entre deux étoiles à neutrons bien avant la naissance du Soleil.
La durée particulièrement longue de l'émission prompte de rayons γ de GRB 230307A reste aujourd'hui difficile à expliquer. Les échelles de temps naturelles pour les sursauts gamma dans les fusions d'objets compacts sont beaucoup plus courtes que la durée mesurée du GRB 230307A (35 s). Les modèles précédemment suggérés qui pourraient également expliquer GRB 230307A comprennent un magnétar, une fusion trous noir+étoile à neutrons, ou même un système étoile à neutrons+naine blanche. Il a également été suggéré il y a quelques années que les collapsars pouvaient alimenter le processus r. Mais un tel progéniteur n'est pas plausible ici car il n'y a aucune formation d'étoiles à l'emplacement du GRB 230307A; le scénario des étoiles à neutrons propulsées par leur supernova est plus cohérent, selon Levan et ses collaborateurs.
Pour les chercheurs, le problème de la durée du GRB pourrait être résolu si l'échelle de temps du jet produit par le trou noir résultant de la fusion des étoiles à neutrons ne suivait pas directement l'échelle de temps de l'accrétion de matière. Or, il se trouve qu'un tel comportement a été récemment proposé par Gottlieb et al. il y a quelques mois, sur la base de simulations magnétohydrodynamiques relativistes qui suggèrent que la durée du jet peut s'étendre jusqu'à plusieurs fois l'échelle de temps caractéristique de viscosité du disque. Et cela pourrait donc créer des GRBs de longue durée à partir de fusions de courte durée...
Source
Heavy element production in a compact object merger observed by JWST
Andrew Levan et al.
Nature (25 october 2023)
Illustrations
1. Lumière rémanente de GRB 230307A imagées par le télescope Webb (NASA Webb Telescope Team)
2. Spectre de la lumière rémanente de GRB 230307A obtenu avec le télescope Webb (NASA, ESA, CSA, Joseph Olmsted (STScI)
3. Andrew Levan
Bonjour depuis le 20 octobre il n'y a les publications sur Webastro. Est-ce normal ? Sinon un gigantesque merci pour ce flux de nouvelles toujours passionnant
RépondreSupprimerje n'étais pas au courant, il faut demander à Webastro. C'est à leur bon vouloir de toute façon...
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