Mais que se passe-t-il avec les exoplanètes ? On en découvre des trop denses, des pas assez denses, des trop chaudes, ou pas assez, et voilà maintenant que nous découvrons une planète bien trop massive pour l'étoile autour de laquelle elle évolue. L'étoile nommée LHS 3154 est une naine de type M qui a une masse de 0,11 masse solaire et sa planète LHS 2154 b est aussi massive que Neptune... La découverte est publiée dans Science cette semaine et pose de grandes questions aux spécialistes de la formation planétaire.
Les planètes se forment normalement dans des disques de gaz et de poussière qui entourent les étoiles naissantes. Plus le disque protoplanétaire est massif, plus les planètes qui peuvent en sortir sont massives. Or, la masse de poussière qui est contenue dans un tel disque dépend directement de la masse de l'étoile. Les planètes trouvées autour des étoiles naines de type M, les étoiles les plus légères que nous connaissions, ont ainsi tendance à avoir des masses plus faibles que dans d’autres systèmes. Mais la découverte de LHS 2154 b vient bouleverser ce modèle qui semblait pourtant évident...
Les étoiles de masse la plus faible, les naines M, sont les étoiles les plus courantes dans le voisinage solaire et dans toute la Voie Lactée. Les planètes qui sont observées autour de ces étoiles ont toutes une masse inférieure à celle de Neptune. Mais il est vrai que les propriétés des planètes autour des naines M les moins massives (moins de 0,25 masse solaire) et les plus froides, celles qu'on appelle les naines ultra-froides, sont encore mal connues. C'est dû au fait que les naines ultra-froides sont faiblement lumineuses et émettent la majeure partie de leur rayonnement dans les longueurs d'onde infrarouges, où les technologies de recherche de planètes ne sont pas aussi bien développées qu'aux longueurs d'onde optiques. Il existe aujourd'hui deux systèmes planétaires emblématiques autour de naines ultra-froides : TRAPPIST-1 et Teegarden, deux étoiles qui sont accompagnées par des systèmes compacts de petites planètes potentiellement rocheuses. La formation de tels systèmes est compatible avec la théorie de l'accrétion du noyau, selon laquelle le résultat de la formation des planètes dépend fortement de la masse totale supposée de poussière à l'intérieur du disque protoplanétaire.
Mais il existe aussi des incertitudes dans les modèles et la grande dispersion observée dans les masses de poussière soulève la possibilité que l'accrétion du noyau planétésimal pourrait, au moins occasionnellement, permettre à une étoile de faible masse de former des planètes en orbite proche avec des masses supérieures à 10 masses terrestres. Des planètes candidates massives ont certes été détectées dans le passé autour de quelques naines de très faible masse, mais dans ces cas, les planètes ont des orbites très larges. On peut citer GJ 3512 b qui a une masse supérieure à 0,46 masses de Jupiter mais une période orbitale de 203 jours, et TZ Ari b, qui a une masse supérieure à 0,21 Mjup et une période orbitale de 771 jours. Ces géantes gazeuses ont été interprétées comme s'étant formées par un mécanisme autre que l'accrétion du noyau, le mécanisme de l'instabilité gravitationnelle au sein d'un disque externe gazeux massif, qui produit plus de planètes en orbite large que de planètes en orbite proche. Ce qui est certain c'est qu'aucune planète géante n’a été observée sur des orbites rapprochées autour de naines de très faible masse. D'autre part, la masse maximale des planètes formées par accrétion de noyau dans les simulations du scénario planétésimal autour d'étoiles de faible masse est d'environ 5 masses terrestres, et dans le scénario de l'accrétion de galets, cette masse maximale est de seulement 3 masses terrestres.
Gudmundur Stefansson (Université de Princeton) et ses collaborateurs ont effectué des observations précises de la vitesse radiale de l'étoile naine LHS 2154 qui se situe à 51,4 années-lumière, à l'aide du spectrographe Habitable-zone Planet Finder (HPF) monté sur le télescope infra-rouge HET de 10 m de l'observatoire McDonald au Texas. Ce spectrographe a été spécialement conçu par l'équipe pour détecter les planètes en orbite autour des étoiles les plus froides et susceptibles d'avoir de l'eau liquide à leur surface. Bien que de telles planètes soient très difficiles à détecter autour d’étoiles comme le Soleil, la basse température des étoiles ultra-froides signifie que les planètes capables d’avoir de l’eau liquide à leur surface sont beaucoup plus proches de leur étoile par rapport à la Terre du Soleil. Cette distance plus courte entre ces planètes et leurs étoiles, combinée à la faible masse des étoiles ultra-froides, doit donner lieu à un signal de variation de vitesse radiale détectable annonçant la présence d'une planète.
Les mouvements de LHS 2154 qui sont visibles dans les décalages Doppler des raies du spectre avec une périodicité claire de 3,7 jours, indiquent la présence d'une planète de 13,15 masses terrestres au minimum, soit presque la masse de Neptune, et qui est très proche de l'étoile. La probabilité de fausse alarme que Stefansson et ses collaborateurs obtiennent est inférieure à 0,1%.
Les chercheurs ont ensuite effectué des simulations de formation de planètes et ils montrent que la quantité de poussière dans le disque protoplanétaire qui a formé LHS 3154b devrait être au moins 10 fois supérieure à ce qui est généralement observé dans les disques protoplanétaires entourant les étoiles de faible masse comme LHS 2154. Un facteur 10, ça fait beaucoup.
Stefansson et ses collaborateurs expliquent que la formation de planètes géantes gazeuses massives comme GJ 3512 b et TZ Ari b par le mécanisme de l'instabilité gravitationnelle, ne peut pas être invoqué pour LHS 3154b car ce processus induit une masse planétaire minimale qui serait de 60 masses solaires pour une étoile de 0,1 masse solaire. La masse de LHS 3154b est 5 fois plus basse. D'autre part, l'instabilité gravitationnelle forme préférentiellement des planètes sur de larges orbites, ce qui n'est pas le cas de LHS 3154b. Les chercheurs ne peuvent toutefois pas exclure complètement le mécanisme d'instabilité gravitationnelle, mais ils précisent que si LHS 3154b s'était formée par instabilité gravitationnelle suivie d'une migration vers l'intérieur, cela nécessiterait des masses de disques protoplanétaires encore plus grandes que celles envisagées pour le scénario d'accrétion du noyau.La détection de LHS 3154b confirme pour la première fois que des naines ultra-froides peuvent en fait former des planètes massives proches, et les modèles de l'accrétion de noyau et de l'instabilité gravitationnelle pour la formation des planètes ont bien du mal à expliquer ce système. Stefansson et son équipe proposent trois hypothèses à tester pour expliquer un disque protoplanétaire qui serait beaucoup plus massif que ce qu'on pense :
1) une grande fraction de la poussière dans les disques protoplanétaires autour des étoiles de faible masse pourrait atteindre des tailles centimétriques ou plus; des cailloux de cette taille ne seraient pas détectés par les observations millimétriques utilisées pour estimer les masses globales de poussière, ce qui les sous-estimerait.
2) les disques accumuleraient de grandes quantités de matière supplémentaire provenant du nuage moléculaire parent environnant.
3) les noyaux protoplanétaires se formeraient peu de temps après la protoétoile hôte (dans un délai d'un million d'années), alors que les disques protoplanétaires devaient être plus massifs qu'à des époques ultérieures. Cela permettrait une accrétion incontrôlée de gaz et donc la formation d’une planète géante gazeuse.
On le voit, cette découverte constitue un test extrême pour toutes les théories existantes sur la formation des planètes, et elle ébranle nos petites certitudes en ouvrant un champ de nouvelles possibilités.
Source
A Neptune-mass exoplanet in close orbit around a very low-mass star challenges formation models
Gudmundur Stefansson et al.
Science Vol 382, Issue 6674 (30 Nov 2023)
https://doi.org/10.1126/science.abo0233
Illustrations
1. Vue d'artiste d'une exoplanète massive orbitant autour d'une étoile naine (IAC)
2. Diagramme du ratio de masse (masse planète/masse étoile) en fonction de la période orbitale pour des planètes remarquables montrant la singularité de LHS 3154b (Stefansson et al.)
3. Gudmundur Stefansson
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