Une équipe d'astrophysiciens démontre que les toutes premières étoiles, des étoiles de Population III, qui auraient une masse entre 2000 et 9000 M⊙ chacune permettent d'expliquer les rapports N/O, C/O et O/H qui ont été observés dans les galaxies à très haut redshift : les galaxies GN-z11 et CEERS 1019. Ils publient leur étude dans Astronomy & Astrophysics.
L’enrichissement chimique de l’Univers primitif est un élément crucial dans la formation et l’évolution des galaxies, et les toutes premières étoiles, les étoiles de Population III, doivent jouer un rôle fondamental dans ce processus. L'observation de galaxies à z élevé qui sont très riches en azote, en particulier GN-z11 et CEERS-1019, avait déclenché une petite révolution dans l'étude de la formation des premières étoiles et des galaxies de l'Univers. GN-z11, qui est située à un redshift de 10,6, présente un rapport d'abondance de N/O de son milieu interstellaire qui est plus de 4 fois la valeur solaire, comme l'ont montré Cameron et al. et Senchyna et al. en 2023. Ce rapport élémentaire est non seulement significativement plus élevé que ce que l'on trouve généralement dans les galaxies à faible redshift et dans les régions avec une métallicité comparable, mais il dépasse également légèrement les valeurs qui sont observées dans les galaxies dites à super- métallicités solaires.
De même, CEERS-1019, qui, elle, a un redshift de 8,678, affiche aussi de fortes raies d'émission d'azote ionisé (N III et N IV) comme l'ont révélé Tang et al. en 2023. Cette galaxie a aussi un rapport d'abondance N/O inhabituellement élevé, environ 5,6 fois le rapport solaire. Mais ses rapports C/O et Ne/O sont relativement normaux pour sa métallicité (Marques-Chaves et al. 2024 ).
Ces observations ont remis en question les théories conventionnelles des rendements de production stellaires des éléments et de l'évolution chimique galactique. Les astrophysiciens pensent que ces modèles d'abondance inhabituels dans les galaxies à z élevé pourraient être la signature d'étoiles massives, très massives et supermassives dans les premières galaxies. De plus, ces objets massifs pourraient également expliquer l’apparition de trous noirs massifs centraux dans ces galaxies et leur rôle dans la formation des trous noirs supermassifs dans l'Univers primitif fait l'objet de recherches actuellement.
Un certain nombre d'études récentes ont tenté d'expliquer les abondances inhabituellement élevées d'azote (ainsi que les abondances d'autres métaux) qui sont observées dans ces galaxies à z élevé . Par exemple, Kobayashi & Ferrara (2024) expliquent ces signatures à l'aide d'un mécanisme d'enrichissement chimique rapide. Dans leur modèle, les étoiles Wolf-Rayet deviennent la source d'enrichissement dominante, enrichissant le milieu interstellaire en éléments lourds. Leur modèle nécessite la présence d'étoiles massives de plus de 1000 M⊙. Dans le même esprit, Charbonnel et coll. (2023) et Nagele & Umeda (2023) ont étudié l'impact que les étoiles enrichies en métaux dans la plage de masse de 1000 − 100 000 M⊙ peuvent avoir dans les galaxies grand redshift. Dans ces deux études, les auteurs ont pu reproduire les ratios d’abondance N/O élevés qui sont observés dans GN-z11. Plusieurs autres études ont cherché à explorer l'impact de différents canaux d'évolution stellaire sur l'évolution chimique précoce de l'Univers. Par exemple, Meynet et Maeder (2006) et Choplin et coll. (2018) ont étudié l’impact de la rotation rapide sur les productions nucléosynthétiques des étoiles massives. Ces rendements ont ensuite été utilisés dans des modèles pour l'évolution chimique précoce de la Voie Lactée par d'autres études, montrant que la composition chimique de la majeure partie des étoiles du halo est compatible avec les rendements provenant de modèles à rotation rapide. Le rôle potentiel des supernovas à instabilité de paires dans l'Univers primitif a aussi été analysé par Heger et coll. (2002). Bien que toutes ces études aient mis en lumière différents aspects, les rendements élémentaires exacts et le potentiel d’enrichissement des étoiles très massives et supermassives sont restés largement inexplorés à ce jour.
Il se trouve que le rendement attendu de la production de métaux dans ces étoiles extrêmement massives peut être estimé à l’aide de simulations hydrodynamiques et d'une modélisation de l’évolution stellaire. C'est ce qu'ont fait Devesh Nandal (université de Genève) et ses collaborateurs sur 11 ensembles de données différents, avec des masses stellaires finales qui pouvaient être comprises entre 500 et 9 000 M⊙. Les éjectas de ces étoiles Pop III très massives sont principalement composés de d'Helium-4, d'Hydrogène et d'azote-14.
Les chercheurs ont calculé l'évolution depuis la séquence pré-principale jusqu'à la fin de la combustion de l'hélium du cœur. Ils révèlent ainsi de nouvelles informations sur les ratios N/O, C/O et O/H, et en prenant en compte l'impact potentiellement dilutif d'une population supplémentaire de cent étoiles de 20 M⊙.
Nandal et ses collaborateurs constatent que l'enrichissement chimique provenant des éjectas d'étoiles très massives, calculé avec diverses hypothèses, peut reproduire les fractions N/O observées, tandis qu'ils réussissent à faire correspondre les abondances C/O observées pour certaines caractéristiques des pulsations des étoiles massives de Pop III. Pour faire correspondre le ratio O/H, les astrophysiciens ont besoin d'un facteur de dilution de 100 (le rapport de la masse des éjectas à celle du milieu interstellaire avec lequel les éjectas se sont mélangés), ce qui est tout à fait cohérent avec ce qui est attendu dans les galaxies riches en gaz à z élevé.
L’incorporation de 100 étoiles de 20 M⊙ de masse au sein de la population stellaire fournit conduit à des valeurs de log(N/O) et log(O/H) de −0,27 et -0,79 respectivement, indiquant leur effet négligeable sur ces ratios (c'est-à-dire que les étoiles Pop III de cette masse ne peuvent pas expliquent les abondances anormalement élevées de N). Mais l'ajout de ces étoiles dans le halo a augmenté le ratio log(C/O) de −1,30 à −0,87 et augmenterait probablement le rapport Ne/O, ce qui offre un meilleur ajustement aux valeurs observées de GN-z11 et de CEERS 1019.
Les modèles de Nandal et ses collaborateurs prédisent de manière robuste un enrichissement significatif en azote provenant d'étoiles très massives de Population III. Si de telles étoiles existent et qu’elles éjectent de grandes quantités de leur masse, il ne serait pas surprenant de trouver un fort enrichissement en azote au tout début de l’Univers, selon les chercheurs. Une sous-population d'étoiles Pop III avec des masses dépassant 2000 M⊙, reproduit efficacement les abondances élémentaires de CNO qui ont été observées jusqu'à présent dans les galaxies à z élevé par le télescope Webb. Les chercheurs ont reproduit le rapport Ne/O observé dans CEERS 1019 en utilisant un modèle avec plusieurs milliers de masses solaires et une métallicité non nulle, et ils ont projeté un rapport 12C/13C de 7, qui est nettement inférieur au rapport solaire qui vaut environ 90.
L'existence d'étoiles de Population III de quelques milliers de masses solaires renforce l'argument en faveur d'une voie de formation via des graines lourdes pour les trous noirs massifs à des redshifts aussi élevés que 10,6. Cette étude fournit ainsi des informations significatives sur l’enrichissement chimique de l’Univers primitif et le rôle clé des étoiles supermassives de Population III. Elle souligne également la nécessité de poursuivre les recherches sur le rôle complexe mais crucial des étoiles très massives de première génération dans l’Univers primitif. Et oui, une partie de l'azote qui remplit vos poumons a peut être été produit par ces étoiles extrêmes et a plus de 13 milliards d'années...
Source
Explaining the high nitrogen abundances observed in high-z galaxies via population III stars of a few thousand solar masses
Devesh Nandal et al.
Illustrations
1. Différents stades d'évolution d'une étoile de population III (Nandal et al.)
2. Profils d'abondance en fonction de la masse et rayon en fonction du temps pour les étoiles de population III (Nandal et al.)
3. Devesh Nandal
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