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24/05/25

Jupiter 2 fois plus grande qu'aujourd'hui lors de sa naissance


Dans une nouvelle étude publiée dans Nature Astronomy , Konstantin Batygin (Caltech) et Fred Adams (Université du Michigan), fournissent un aperçu détaillé de l'état primordial de Jupiter. Leurs calculs révèlent qu'environ 3,8 millions d'années après la formation des premiers corps du système solaire, moment clé où le disque protoplanétaire se dissipait, Jupiter était deux fois plus grande qu'aujourd'hui...

Comprendre l'évolution primitive de Jupiter permet de mieux comprendre comment notre système solaire a développé sa structure particulière. La gravité de Jupiter a joué un rôle crucial dans la formation des trajectoires orbitales des autres planètes et dans la formation du disque de gaz et de poussière à partir duquel elles se sont formées. Il est donc essentiel de cerner les premières phases de la formation des planètes pour résoudre cette question. Batygin et Adams ont abordé le problème en étudiant deux minuscules lunes de Jupiter, Amalthée et Thébé, qui orbitent encore plus près de Jupiter que Io, la plus petite et la plus proche des quatre lunes galiléennes de la planète géante.

Comme Amalthée et Thébé ont des orbites légèrement inclinées, Batygin et Adams ont analysé ces faibles écarts orbitaux pour calculer la taille originelle de Jupiter. En analysant la dynamique des satellites de Jupiter simultanément avec son bilan de moment angulaire, ils parviennent à déduire le rayon et l'état intérieur de Jupiter au moment de la dissipation de la nébuleuse protosolaire.

Bien que des incertitudes considérables concernant l'intérieur de Jupiter persistent (en partie en raison de l'incapacité des données de gravité à informer pleinement sur la nature du noyau compact ainsi que des incertitudes dans l'équation d'état de l'hydrogène lui-même), au cours des trois dernières décennies, les observations des missions Galileo et Juno ont permis de mieux cerner l'intérieur complexe et multicouche de Jupiter. En particulier, de récents travaux de modélisation ont révélé une région imprégnée de pluie d'hélium, un noyau dilué à haute métallicité pouvant atteindre 25 masses terrestres, ainsi qu'un noyau compact, beaucoup moins massif et plus profond. 

D'une manière générale, les caractéristiques physiques de Jupiter correspondent aux prédictions du modèle d'accrétion du noyau de la formation des planètes géantes. Dans ce cadre, la formation des planètes géantes suit une série distincte d'étapes. Initialement, un noyau à haute métallicité se forme rapidement, laissant place à une période de croissance hydrostatique caractérisée par une lente agglomération d'une atmosphère H/He. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que la masse de l'enveloppe gazeuse atteigne celle du noyau. Une fois ce seuil franchi, une période transitoire d'accrétion rapide de gaz s'ensuit, facilitant l'accumulation de la majeure partie de la masse de la planète. Finalement, la planète se sépare de la nébuleuse environnante, s'engageant dans une évolution thermique à long terme qui aboutit à la Jupiter que nous observons aujourd'hui, environ 4,5 milliards d'années plus tard.

Bien que les grandes lignes de ce tableau soient établies depuis des décennies, les subtilités de la séquence évolutive initiale de Jupiter restent imparfaitement comprises. En particulier, l'entropie primordiale de Jupiter qu'on présente souvent comme le problème du démarrage "à chaud" ou "à froid", ainsi que le calendrier exact de ces phases de formation restent incertains. Par exemple, dans le modèle souvent cité de Pollack et al., la transition vers l'accrétion incontrôlable se produit environ 7 millions d'années après la formation du noyau. Mais des calculs ultérieurs ont cependant proposé des chronologies alternatives, avec le modèle récent de Stevenson et al., qui suggère que la croissance incontrôlable se termine après 3 mégannées.

L'approche de Batygin et Adams qui consiste à exploiter la dynamique précoce des satellites de Jupiter, ainsi que la régulation magnétique de son budget de moment angulaire pour en déduire son rayon, contourne largement les limites des modèles existants. Cette approche offre une précision sans précédent aux propriétés du système jovien à son stade de formation.

Leurs calculs et leurs analyses mènent à la plage suivante pour le rayon primordial de Jupiter :
entre 2,02 et 2,59 fois son rayon actuel. Dans la fourchette couverte par cette estimation du rayon, les chercheurs montrent que toute valeur supérieure au rayon orbital d'Amalthée est peu susceptible d'être physiquement significative. Et comme l'inclinaison de Thébé résulte probablement de multiples passages de résonance, c'est la limite inférieure de la plage de rayons qui est privilégiée par les auteurs. Ils évaluent également le taux d'accrétion de masse de la protoJupiter, ce qui donne entre 1,2 et 2,4 masses joviennes par million d'années, ce qui est très intense.  

Avec le rayon planétaire et le taux d'accrétion contraints, les deux chercheurs déduisent ensuite la structure intérieure de Jupiter en utilisant des modèles hydrostatiques. Les profils de température, de densité et de pression correspondants sont déterminés. Ces modèles impliquent qu'au moment de la dissipation de la nébuleuse proto-solaire, l'entropie caractéristique de l'enveloppe convective de Jupiter correspond à une condition initiale de « démarrage à chaud » .

Une dernière pièce du puzzle a consisté pour Batygin et Adams à ancrer leurs calculs à une époque précise, par rapport à un marqueur bien défini de l'évolution du système solaire. Dans cette optique, en 2017, Wang et al. avaient utilisé les données de magnétisation de météorites très anciennnes pour démontrer que la nébuleuse solaire s'est dissipée environ 3,8 millions d'années après la formation d'inclusions de calcium et d'aluminium. Selon les chercheurs, comme l'énergie nécessaire pour transporter une molécule d'hydrogène de quelques rayons joviens au rayon de Hill est approximativement égale à celle nécessaire pour l'extraire du puits de potentiel gravitationnel du Soleil à 5 ​​UA, le front photo-évaporatif responsable de l'élimination de la nébuleuse dans le voisinage orbital jovien a dû simultanément éliminer le disque circumplanétaire de Jupiter. Ils peuvent ainsi  conclure que Jupiter était approximativement 2 à 2,5 fois plus grande qu'aujourd'hui, 3,8 millions d'années après la formation des premiers corps solides du système solaire. Cela correspond à un volume équivalent à plus de 2 000 Terres. 

Ces résultats apportent des précisions cruciales aux théories existantes sur la formation des planètes, qui suggèrent que Jupiter et d'autres planètes géantes autour d'autres étoiles se sont formées par accrétion de noyau, un processus par lequel un noyau rocheux et glacé accumule rapidement du gaz.  Même si les premiers instants de Jupiter restent obscurcis par l'incertitude, cette étude clarifie considérablement notre vision des étapes critiques du développement de la planète géante. Ce nouveau point de repère permettra de reconstituer avec plus de certitude l'évolution de notre système solaire.

Source

Determination of Jupiter’s primordial physical state
Konstantin Batygin & Fred C. Adams 
Nature Astronomy (20 mai 2025)

Illustration

Jupiter imagée avec le télescope Webb (NASA)

17/05/25

PDS 456 : le trou noir supermassif qui produit un vent par paquets


Au cours des 25 dernières années, les astrophysiciens ont identifié des corrélations entre les propriétés des trous noirs supermassifs et celles de leurs galaxies hôtes, indiquant que leur évolution est étroitement liée.  Dans un article paru dans Nature cette semaine, la collaboration XRISM (X-Ray Imaging and Spectroscopy Mission) rapporte des observations de PDS 456 et montrent que lorsque le trou noir supermassif au centre de la galaxie accrète de la matière, il propulse également des amas de gaz par paquets vers l'extérieur à une vitesse pouvant atteindre 30 % de la vitesse de la lumière, et non de manière uniforme comme on le pensait jusque là... 

Le gaz propulsé par l'activité du trou noir avait été identifié par de précédentes mesures de spectroscopie X du télescope à rayons X  XRISM, lancé en septembre 2023 par la NASA et la JAXA (et qui est d'ailleurs un élément clé de mon roman Impact que j'ai publié l'année dernière). Aujourd'hui, la résolution sans précédent qui est offerte par le télescope japonais (encore intact) a permis à la collaboration de détecter la structure et la dynamique du gaz avec plus de détails que jamais auparavant. Il s'agit d'une avancée majeure dans la compréhension de la façon dont les trous noirs façonnent l'évolution galactique.

La poussière et le gaz attirés vers l'horizon des événements du trou noir peuvent s'échauffer et émettre un rayonnement électromagnétique. Lorsque ce rayonnement interagit avec la matière, il peut générer de puissants vents de gaz ionisé. Ces vents entrent en collision avec du gaz plus loin dans la galaxie, et les chocs qui en résultent peuvent redistribuer la matière et l'énergie à grande échelle.

Les centres galactiques qui accrètent rapidement de la matière sont appelés des noyaux galactiques actifs (AGN). Les chercheurs de la collaboration XRISM se sont intéressés plus particulièrement à un AGN nommé PDS 456 qui est un quasar brillant. Il est environ 1014 fois plus lumineux que le Soleil, ce qui en fait l'une des sources astronomiques les plus brillantes connues de l'Univers. Ce quasar est alimenté par un trou noir supermassif dont la masse est estimée à 500 millions de masses solaires .

PDS 456 se trouve à moins de trois milliards d'années-lumière de nous, ce qui en fait un voisin relativement proche. Il est étudié comme un analogue de la population lointaine de trous noirs qui peuplaient l'Univers primordial.

De précédentes observations par spectroscopie X ont montré que le vent de PDS 456 se déplace à environ un tiers de la vitesse de la lumière et transporte une quantité d'énergie extrêmement importante, mais la résolution spectrale limitée empêchait les chercheurs de mesurer avec précision sa structure de densité et son étendue spatiale. Chose étrange, malgré l'énergie et la vitesse extrêmes du vent, les observations suggéraient qu'il avait peu d'effet sur le gaz plus loin dans la galaxie, ce qui est en contradiction avec le comportement attendu.

C'est pour creuser cette bizarrerie que les astrophysiciens ont choisi d'exploiter le spectromètre à haute résolution de XRISM qui est appelé Resolve. Cet instrument est capable de distinguer les rayons X dont les longueurs d'onde diffèrent très légèrement, ce qui permet d'explorer la structure et la dynamique des vents générés par les trous noirs avec une précision sans précédent, le mouvement décalant les raies d'émission et d'absorption dans le spectre. Ils ont donc pointé XRISM vers PDS 456 durant 6 jours, du 11 au 17 mars 2024 pour une exposition totale de 250 ks.

Les résultats montrent que le vent émanant de PDS 456 n'est pas du tout uniforme, mais comprend jusqu'à un million de paquets ​​de gaz distincts. Ces paquets sont propulsés vers l'extérieur à une vitesse pouvant atteindre 30 % de celle de la lumière, et la matière est expulsée du disque d'accrétion du trou noir à un rythme compris entre 60 et 300 masses solaires par an.

A partir des caractéristiques observées dans les spectres X, les chercheurs évaluent la taille des paquets de gaz et leur distance du disque d'accrétion du trou noir. Ils ont une taille comprise entre 2 et 16 rayons gravitationnels, ce qui fait entre 10 et 80 unités astronomiques ici, et sont situés à une distance du trou noir entre 200 et 600 fois le rayon du trou noir. 

La découverte de cette structure de vents en paquets remet en question les théories dominantes de l'évolution galactique. En effet, les modèles conventionnels considéraient ces vents comme ayant une densité uniforme. Dans ce scénario, le vent entre en collision avec le gaz et la poussière de la galaxie, expulsant et chauffant la matière et réduisant potentiellement le carburant disponible pour la formation d'étoiles. En revanche, des paquets de gaz individuels seraient capables d'éviter les zones denses de gaz dans la galaxie, s'échappant directement dans l'espace intergalactique sans transférer beaucoup d'énergie ou de quantité de mouvement au gaz du milieu galactique. Cela pourrait donc expliquer pourquoi certaines galaxies dotées de trous noirs actifs et de vents puissants ont quand même un taux élevé de formation d'étoiles, comme c'est le cas pour PDS 456. Cela pourrait également indiquer que les vents des trous noirs ne sont pas générés en continu, mais par des événements discrets et aléatoires qui ne se produisent que pendant une petite fraction du temps où le trou noir accrète de la matière.

Des travaux supplémentaires seront nécessaires pour déterminer si les vents observés dans PDS 456 sont communs à d'autres trous noirs. Sachant que des vents extrêmement puissants comme ceux de PDS 456 sont plus fréquents dans la population de trous noirs la plus éloignée, qui s'est formée au cours du premier milliard d'années après le Big Bang. La spectroscopie X à haute résolution de ces vents de trous noirs lointains n'est pas encore possible, mais des observatoires actuels et futurs, tels que le télescope spatial Webb, ALMA et l'Extremely Large Telescope pourraient être en mesure de détecter l'effet ou le non effet des vents des trous noirs sur la matière plus éloignée dans la galaxie hôte.

Grâce à ces efforts combinés, on approfondira nos connaissances sur la manière dont les trous noirs ont façonné l'évolution des galaxies tout au long de l'histoire cosmique.


Source

Structured ionized winds shooting out from a quasar at relativistic speeds

Collaboration XRISM

Nature (14 mai 2025)

https://doi.org/10.1038/s41586-025-08968-2


Illustration

Vue d'artiste du vent de trou noir par paquets (Nature) 

11/05/25

Des étoiles supermassives à l'origine des trous noirs supermassifs


Dans un article qui vient d'être publié dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, deux astrophysiciens japonais montrent, grâce à des simulations, que des étoiles supermassives de plus de 10 000 masses solaires peuvent se former dans des nuages de gaz déjà enrichis en métaux. Ces étoiles supermassives deviennent ensuite autant de graines de trous noirs supermassifs au bout d'un million d'année. Si trop de métaux sont présents, une fragmentation du gaz apparaît et donne lieu à la naissance d'amas globulaires... 

Malgré des décennies d'études approfondies, l'origine des trous noirs supermassifs demeure l'un des problèmes non résolus les plus importants de l'astrophysique. Les observations récentes révèlent que des trous noirs supermassifs existent déjà à des décalages vers le rouge atteignant 10, correspondant à 600 millions d'années après le Big Bang. Ces résultats suggèrent que les trous noirs initiaux étaient déjà relativement massifs ou que leur croissance s'est produite extrêmement rapidement – ​​ou peut-être les deux. 

Un scénario courant propose que des trous noirs "graines", plus petits, soient d'abord produits par certains processus, suivis d'une croissance par accrétion de gaz ou par fusion avec d'autres trous noirs. L'accrétion super-Eddington a été explorée comme un mécanisme potentiel de croissance rapide dans l'univers primitif, mais un fort rayonnement et des écoulements provenant des disques d'accrétion présentent des défis pour maintenir un tel régime sur des périodes prolongées. Alternativement, des scénarios impliquant des graines de trous noirs massives ont donc été proposées. Une voie prometteuse pour la formation de telles graines massives est le scénario dit de l'"effondrement direct". Dans ce modèle, des étoiles supermassives (SMS) avec des masses dépassant 100 000 masses solaires seraient produites pour s'effondrer rapidement en trous noirs. 

On estime que ces étoiles supermassives se forment dans des nuages ​​chimiquement purs exposés à un rayonnement ultraviolet intense. Le rayonnement UV dissocie la molécule H2 qui est le principal agent de refroidissement dans le gaz sans métal, supprimant ainsi le refroidissement et maintenant la température du gaz à 10 000 K. Ces températures élevées empêchent alors la fragmentation et permettent au nuage de s'effondrer de manière monolithique. Ces températures élevées entraînent également des taux d'accrétion élevés, de 0,1 à 1 masse solaire par an sur la protoétoile en formation. L'accrétion rapide supprime la rétroaction radiative stellaire en augmentant le rayon stellaire et en abaissant la température effective à environ 5000 K, permettant une accrétion continue. Par ce processus, les étoiles supermassives peuvent atteindre  100000 à 1 million de masses solaires au cours de leur courte vie de 1 Mégannée environ. Car elles s'effondrent ensuite en trous noirs de masse comparable pendant ou après leurs phases de combustion nucléaire.

La formation de SMS a notamment été soutenue par des simulations hydrodynamiques multidimensionnelles, même en tenant compte de la fragmentation et du retour radiatif protostellaire. Bien que les disques circumstellaires se forment en raison du moment cinétique de la matière en accrétion et puissent se fragmenter, cette fragmentation se produit rarement et ne réduit que modérément la masse stellaire centrale, laissant intact le scénario global de formation des SMS.

A partir de ce scénario d'effondrement direct de nuages massifs d'hydrogène pur, on peut calculer la densité numérique des trous noirs supermassifs résultants au final : elle vaut entre 10-9 et 10-3 par Mpc3. Cette densité numérique colle bien avec les observations de l'Univers jeune (un redshift supérieur à 7, de l'ordre de 10-9  par Mpc3 mais, ça ne colle plus du tout avec la densité numérique des trous noirs supermassifs dans l'univers actuel, qui est d'environ 0,1 par Mpc3. Pourtant, leurs propriétés et leur distribution de décalage vers le rouge ne montrent aucune discontinuité significative par rapport aux trous noirs supermassifs à décalage vers le rouge supérieur. Cette bizarrerie suggère la nécessité de trouver un scénario vraiment universel pour expliquer les origines des trous noirs supermassifs à toutes les époques plutôt que de s'appuyer uniquement sur le scénario d'effondrement direct de nuages d'hydrogène pur.

Ce scénario d'effondrement direct est certes séduisant mais il impose des conditions rigoureuses pour la formation des trous noirs supermassifs, ce qui rend leur production assez faible : les nuages ​​doivent rester chimiquement purs, être situés à proximité de galaxies émettant des rayons UV intenses et posséder une masse suffisante pour subir un effondrement gravitationnel. Ces conditions sont souvent incompatibles. Les nuages ​​massifs sont généralement plus ou moins enrichis en métaux, ayant déjà connu des épisodes de formation d'étoiles. Lorsqu'une galaxie proche constitue une source UV importante, ça signifie que des éléments lourds provenant d'explosions de supernovas au sein de la galaxie peuvent avoir été injectés dans les nuages ​​du halo environnant, les contaminant.

Si l'exigence d'un gaz chimiquement pur était assouplie, permettant la présence de faibles quantités de métaux, la densité numérique des trous noirs issus d'effondrement direct pourrait augmenter significativement. Mais la présence d'éléments lourds pose un défi car même une petite quantité de métaux ou de grains de poussière, à des niveaux aussi bas qu'une métallicité de 10-5 métallicité solaire peut induire un refroidissement rapide du nuage en cours d'effondrement. Et ce refroidissement accru déclenche une fragmentation vigoureuse du nuage de gaz, ce qui empêche la formation de SMS et conduit à la formation d'amas d'étoiles denses.

En 2020, Sunmyon Chon et Kazuyuki Omukai avaient démontré de manière inattendue que les SMS avec des masses dépassant 10 000 masses solaires pouvaient  se former même dans les nuages ​​​​enrichis en métaux, à condition que la métallicité reste inférieure à 10-4 métallicité solaire. Pour arriver à ce résultat, les chercheurs avaient réalisé des simulations hydrodynamiques tridimensionnelles de la formation d'étoiles dans des nuages ​​fortement irradiés par UV et légèrement enrichis en métaux. On observait que malgré une fragmentation vigoureuse déclenchée par le refroidissement de la poussière, la majeure partie du gaz s'accréte sur la ou les étoiles massives centrales par afflux direct ou par fusions stellaires, permettant leur croissance jusqu'au régime SMS. Alors que de nombreuses protoétoiles se disputent le réservoir de gaz, la ou les étoiles massives centrales sont alimentées préférentiellement, un processus qui est appelé l'« accrétion supercompétitive », et qui est analogue à l'accrétion compétitive dans les amas d'étoiles actuels, mais à une échelle beaucoup plus grande. En revanche, à des métallicités plus élevées que 10-3 métallicité solaire , les étoiles les plus massives restaient en dessous de 1000 masses solaires dans le premier 10 000 ans en raison d'une diminution d'un ordre de grandeur du taux d'accrétion causée par des températures plus basses résultant du refroidissement par les métaux.

Dans leur nouvel article, Chon et Omukai, ont beaucoup raffiné leurs premières simulations car, il y a 5 ans, ils avaient approximé les processus thermiques à l'aide d'équations d'état précalculées. De plus, la rétroaction radiative stellaire, qui peut influencer significativement la masse finale des étoiles en formation, n'avait pas été prise en compte. Par exemple, le rayonnement ionisant limite la masse maximale des étoiles de Pop III en étouffant l'accrétion par photoévaporation des disques circumstellaires, tandis que dans l'autre sens, le chauffage radiatif des grains de poussière supprime la fragmentation qui est induite par le refroidissement de la poussière en élevant les températures de la poussière et du gaz. Et puis, les astrophysiciens japonais se limitaient à des simulations couvrant seulement 10 000 ans, ce qui empêchait de voir si les étoiles massives pouvaient effectivement croître jusqu'à plus de 100 000 masses solaires.

Dans leur article de 2020, Chon et Omukai avaient aussi constaté que lorsque le refroidissement déclenche une fragmentation intense à des métallicités supérieures à un certain seuil, le nuage en effondrement évolue en un amas d'étoiles dense plutôt que de former une seule étoile supermassive. Mais là encore, les simulations étaient limitées dans le temps, ce qui laissait l'évolution à long terme de ces systèmes inexplorée.

Les nouvelles simulations intègrent désormais de manière exhaustive les processus physiques clés. Plus précisément, les astrophysiciens modélisent l'évolution des nuages ​​de gaz de manière auto-cohérente, en résolvant la physique thermique avec une chimie hors équilibre pour le gaz primordial et un traitement simplifié mais robuste du refroidissement dû aux métaux. De plus, ils incluent les effets de la rétroaction du rayonnement des étoiles en formation, ce qui est crucial pour comprendre son influence sur la fragmentation et l'accrétion de masse. Et surtout, ils étendent les simulations à une échelle de temps de 1 mégannée, durée de vie typique des étoiles très massives. Cette durée plus longue leur permet de déterminer la masse finale des SMS sous différentes métallicités. Elle leur permet également d'examiner l'évolution et les propriétés à long terme des systèmes stellaires, telles que leur structure, la distribution de leurs populations stellaires et la formation potentielle d'amas d'étoiles denses, dans des environnements irradiés par UV et légèrement enrichis en métaux.

Chon et Omukai montrent aujourd'hui que la métallicité influence significativement les propriétés de fragmentation et la croissance des étoiles massives. À de faibles métallicités ([Z/H]) < 10-3, ils montrent que des étoiles supermassives jusqu'à presque 100 000 masses solaires peuvent se former. Plus précisément, pour une métallicité de 10-6, le cas où le refroidissement par la poussière est négligeable, le gaz s'effondre de manière quasi monolithique, donnant naissance à des SMS au centre. Pour des métallicités légèrement supérieures ([Z/H] de 10-5 à 10-4, ils trouvent que le refroidissement de la poussière induit une fragmentation à l'échelle sub-parsec, avec de multiples fragments autour de la région centrale. Mais ces fragments finissent par s'accréter sur la protoétoile centrale ou fusionner avec elle, ce qui permett aux objets massifs centraux de se développer en étoiles supermassives. Pour une métallicité de 10-3, tandis que la fragmentation ralentit la croissance de la masse des étoiles centrales pendant les premières phases, l'accrétion continue à partir de filaments denses permet quand même la formation d'étoiles supermassives de 10 000 masses solaires. Pour une métallicité de 10-2 en revanche, une fragmentation à grande échelle (10 pc) conduit à une formation d'étoiles plus étendue spatialement, ce qui entraîne la formation d'un amas d'étoiles massif avec une étoile très massive centrale qui fait environ 2000 masses solaires.

Dans les simulations de Chon et Omukai, les masses des étoiles formées et de leurs trous noirs résiduels varient de 30 000 à 80 000 masses solaires pour des métallicités inférieure 10-3. La masse finale est déterminée lorsque l'apport efficace de gaz, à un taux de 0,1 M☉/an, cesse après environ 1 Mégannée. Cette interruption du flux d'accrétion est attribuée aux champs de marée des galaxies massives voisines, qui perturbent l'enveloppe externe du nuage et limitent ainsi la masse maximale pouvant être fournie au système stellaire central.

La capacité à former des graines de trous noirs massifs dans des environnements avec [Z/H] ≤ 10-3 Z☉ suggère une densité numérique de graines qui serait plus élevée que les prédictions du scénario conventionnel de l'effondrement direct. Or, une seule supernova enrichit généralement le gaz environnant jusqu'à une métallicité de  10-4 à  10-3, ce qui implique que des trous noirs massifs peuvent se former dans des halos ayant subi un épisode précédent de formation d'étoiles. Et des simulations cosmologiques de formation de galaxies ont montré que, lors des premiers stades de l'assemblage des galaxies à z ~ 10, la métallicité typique du milieu interstellaire reste dans la gamme comprise entre 10-4 à  10-3.

Le scénario d'accrétion supercompétitive proposé par les chercheurs japonais, permet donc de produire d'avantage de graines de trous noirs supermassifs via la production d'étoiles supermassives en plus grand nombre. Ils estiment que la densité numérique de ces graines de trous noirs supermassifs produites dans des nuages de gaz à métallicité finie pourrait atteindre entre 0,1 et 1 par Mpc3. Une valeur bien supérieure à celle donnée par le modèle classique du collapse direct, et qui devient tout à fait comparable avec la densité numérique des trous noirs supermassifs qui est mesurée dans l'Univers local. 

Ces beaux résultats suggèrent donc que le scénario d'accrétion supercompétitive produisant des étoiles supermassives de presque 100 000 masses solaires dans les premiers millions d'années après l'allumage des premières étoiles, et ce même dans des environnements déjà légèrement enrichis en éléments lourds, pourrait expliquer l'origine précoce de tous les trous noirs supermassifs dans l'univers.


Source

Formation of supermassive stars and dense star clusters in metal-poor clouds exposed to strong FUV radiation 

Sunmyon Chon , Kazuyuki Omukai

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 539 (3 May 2025) 

https://doi.org/10.1093/mnras/staf598

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Illustrations

1. Simulations de l'accrétion d'étoiles supermassives en fonction de leur métallicité (Chon & Omukai)

2. Evolution de la masse des étoiles en fonction du temps et de la métallicité (Chon & Omukai)

3. Kazuyuki Omukai et Sunmyon Chon

02/05/25

L'eau lunaire produite par le vent solaire


Lorsqu'un flux de particules chargées provenant du Soleil, le vent solaire, percute la surface lunaire, il déclenche des réactions chimiques qui sont susceptibles de former des molécules d'eau. Une équipe de chercheurs vient de reproduire ce bombardement de protons en laboratoire sur un échantillon lunaire et ils parviennent effectivement à créer de l'eau dans le régolithe. Ils publient leur étude dans Journal of Geophysical Research.

La plupart des particules solaires n'atteignent pas la surface de la Terre, car notre planète est dotée d'un bouclier magnétique et d'une atmosphère qui les dévient puis les absorbe. Mais la Lune ne bénéficie pas d'une telle protection. Lorsque des protons percutent la surface lunaire, constituée d'un matériau rocheux appelé régolithe, ils entrent en collision avec des électrons et se recombinent pour former des atomes d'hydrogène. Ensuite, les atomes d'hydrogène peuvent migrer à travers la surface et se lier aux atomes d'oxygène abondants déjà présents dans des minéraux comme la silice, pour former des molécules d'hydroxyle (OH), et des molécules d'eau (H2O). Des traces de molécules d'hydroxyle et d'eau ont déjà été découvertes à la surface supérieure de la Lune, à quelques millimètres de profondeur seulement. Ces molécules laissent une empreinte spectrale dans la lumière réfléchie par le régolithe. Mais, avec les outils actuels, il est difficile de distinguer l'hydroxyle de l'eau ; les chercheurs utilisent donc le terme « eau » pour désigner à la fois l'une ou l'autre de ces molécules, ou un mélange des deux.
Pour expliquer l'origine de ces molécules, De nombreux chercheurs pensent que le vent solaire est la principale, bien que d'autres sources comme les impacts de micrométéorites pourraient également aider en créant de la chaleur et en déclenchant des réactions chimiques. En 2016, on a notamment découvert que de l'eau est libérée de la Lune lors des pluies de météorites. Lorsqu'un impacteur frappe la Lune, il se vaporise, créant une onde de choc qui peut percer la couche supérieure sèche du sol et libérer des molécules d'eau d'une couche hydratée située en dessous. 

Des mesures effectuées par des sondes spatiales avaient déjà suggéré que le vent solaire était le principal moteur de l'eau à la surface lunaire. Un indice clé était que le signal spectral lié à l'eau de la Lune évolue au cours de la journée. Dans certaines régions, il est plus intense le matin, plus frais, et s'atténue à mesure que la surface se réchauffe, probablement parce que les molécules d'eau et d'hydrogène se déplacent ou s'échappent plus en fonction de la température. Lorsque la surface se refroidit à nouveau la nuit, le signal atteint à nouveau son maximum. Ce cycle quotidien indique une source active – donc probablement le vent solaire – qui réapprovisionne chaque jour de petites quantités d'eau sur la Lune.


Pour vérifier cette hypothèse, Li Hsia Yeo (Goddard Space Flight Center de la NASA) et ses collaborateurs ont directement examiné des échantillons lunaires rapportés par la mission Apollo 17 en 1972. Il s'agit des échantillons LS 78421 et LS 73131.

Pour la première fois, ils ont utilisé un dispositif à faisceau de protons, une chambre à vide simulant l'environnement lunaire et un détecteur de molécules d'eau, sans avoir besoin de sortir l'échantillon et risquer de l'exposer à la contamination par l'eau présente dans l'air. 

Yeo et ses collègues ont d'abord cuit les échantillons afin d'éliminer toute trace d'eau entre leur stockage hermétique dans le centre de conservation des échantillons spatiaux de la NASA, au Centre spatial Johnson de Houston, et le laboratoire de Goddard. Ils ont ensuite utilisé un minuscule accélérateur de particules pour bombarder la poussière avec un vent solaire simulé, des protons de 1 keV, pendant plusieurs jours, soit l'équivalent de 80 000 ans sur la Lune, compte tenu de la forte dose de utilisée. Ils ont utilisé un spectromètre pour mesurer la quantité de lumière réfléchie par les molécules de poussière, ce qui a montré comment la composition chimique des échantillons changeait au fil du temps.

Les caractéristiques et la position de la bande à 3 µm (raie d'absorption de l'eau) sont mesurées entre LS 78421, LS 73131 et un témoin de silice broyée, reflétant les structures cristallines et les environnements chimiques uniques de chaque échantillon. En cyclant la température de l'échantillon jusqu'à 400 K (le maximum lunaire diurne), les chercheurs mettent en évidence le rôle de la diffusion de l'hydrogène dans la dynamique de OH/H2O dans le sol lunaire : l'eau disparaît un peu. Cela permet à Yeo et a. de calculer les énergies d'activation de la diffusion de l'hydrogène : 0,66 à 0,75 eV et de 0,72 à 0,81 eV sont obtenues respectivement pour LS 78421 et LS 73131.

Les résultats révèlent que ce processus d'hydroxylation, crée des caractéristiques spectrales uniques pour les deux échantillons lunaires étudiés. Yeo et al. montrent que les caractéristiques spectrales sont fortement influencées par la capacité de l'hydrogène à diffuser dans le sol lunaire. Les résultats montrent aussi que si ces liaisons OH nouvellement créées sont relativement stables à température ambiante, des températures plus élevées, comme à la surface lunaire éclairée par le jour, entraînent un dégazage et une diffusion accrus de l'hydrogène plus profondément dans le régolithe lunaire, exactement ce qui avait été observé par les sondes spatiales. Mais les chercheurs précisent que l'effet d'hydroxylation observé dans cette étude qui est de l'ordre de 100 ppm sur l'équivalent de 80 000 ans de rayonnement solaire, ne suffit pas à expliquer quantitativement les variations diurnes de OH/H20 qui avait été observées par la sonde EPOXI  et qui valaient plusieurs centaines de ppm par jour lunaire). D'autres études sur la relation entre la température du régolithe et l'hydroxylation sont nécessaires.

Tout en démontrant l'hydroxylation du sol lunaire par les protons du vent solaire, ces travaux ouvrent de nombreuses pistes de recherche. Premièrement, les réponses spectrales uniques de chaque échantillon lunaire au même traitement expérimental suggèrent que des différences dans des facteurs tels que la minéralogie et les fractions granulométriques pourraient jouer un rôle important dans l'hydroxylation et donc dans la quantité d'hydratation contenue dans le sol lunaire. Il a été suggéré que sous un bombardement intense et constant de plasma énergétique, de rayonnement et de micrométéoroïdes, la formation de défauts et de liaisons pendantes à la surface des grains de poussière permet l'hydroxylation (Farrell et al.,  2017 ; Fink et al.,  1995 ). 

Deuxièmement, le rôle de la température et du temps sur le mouvement et la distribution de l'hydrogène au sein du sol lunaire est un point important à considérer. Le régolithe lunaire est soumis à des températures variables et extrêmes sur toute la surface lunaire, notamment des pics importants et soudains causés par le bombardement de micrométéoroïdes. Il est donc probable que les températures locales jouent un rôle important dans la détermination du degré d'hydratation d'un site ainsi que de la migration globale de l'hydrogène sur la Lune. Ces effets thermiques interagissent probablement avec les processus de radiation et de formation de défauts. Une prise en compte complète de ces processus concurrents est donc nécessaire pour bien comprendre les durées de vie et les échelles de survie de H20 et OH à la surface lunaire. 

Source

Hydroxylation and Hydrogen Diffusion in Lunar Samples: Spectral Measurements During Proton Irradiation
Li Hsia Yeo et al.
Journal of Geophysical Research:Planets (17 March 2025)


Illustrations

1. Evolution de la concentration en eau en fonction de la fluence de protons et effet de la température (Yeo et al.)
2. Montage expérimental utilisé pour l'expérience (Yeo et al.)
3.  Li Hsia Yeo