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03/06/25

Impact sur les observatoires de la lumière diffuse des débris spatiaux


Des astronomes slovaques viennent de calculer l’impact sur les observatoires astronomiques de la lumière diffusée par les minuscules débris spatiaux en orbite basse dont la quantité est en croissance exponentielle du fait du déploiement des mégaconstellations de satellites. L’étude est publiée dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society Letters.

On le sait, la population croissante de satellites artificiels et de débris spatiaux posent des problèmes à la fois pour les opérations spatiales proprement dites et pour l'astronomie au sol. Alors que la plupart des études précédentes se sont principalement concentrées sur les traînées discrètes de satellites interférant avec l'imagerie astronomique, Miroslav Kocifaj et ses collaborateurs avaient identifié en 2021 un nouvel effet de ciel lumineux, qui est causé non par le reflet des satellites en activité ou hors service, mais par la lumière solaire réfléchie et diffusée par la multitude d'objets spatiaux de très petite taille, voire microscopiques en orbite autour de la Terre. On parle ici d'écailles de peinture, de boulons perdus, de goutelettes, de fragments de lanceurs et autres débris. Cette composante diffuse tend à augmenter la luminosité de fond du ciel nocturne, ce qui peut avoir un impact négatif sur l'observation d'objets astrophysiques peu lumineux. Des estimations préliminaires suggèrent que cet effet contribue déjà à une augmentation de 10% de la luminosité du ciel nocturne au zénith par rapport à la limite établie par l'Union astronomique internationale (UAI) pour la pollution lumineuse sur les sites d'observation. Cela correspond à une augmentation de la luminosité de fond du ciel nocturne d'environ 20 µcd m-2.

Contrairement à la lumière artificielle provenant de sources terrestres, qui peut être atténuée par des mesures de contrôle directes telles que le blindage ou la réduction de l'intensité lumineuse, la lumière du ciel induite par les objets spatiaux provient d'au-delà de l'atmosphère terrestre, ce qui rend sa réduction plus difficile. Bien que cet effet ne soit pas permanent et qu'il pourrait diminuer avec le temps si les lancements et les opérations de satellites étaient considérablement réduits, il est actuellement difficile, voire impossible, d'appliquer des stratégies d'atténuation immédiates comparables à celles utilisées pour la pollution lumineuse terrestre.

Et le problème devrait s'aggraver avec le déploiement rapide de mégaconstellations de satellites, qui augmente non seulement le nombre de corps réfléchissants en orbite, mais aussi la quantité de débris spatiaux de petite taille, de grains et d'autres microparticules. L'étude de Kocifaj et al. de 2021 avait marqué un changement de paradigme dans notre compréhension de la pollution lumineuse artificielle, parce qu’elle a révélé une contribution précédemment non reconnue des débris orbitaux, à côté des sources existantes de luminosité diffuse du ciel nocturne.

Kocifaj et al. avaient identifié un impact négatif possible des objets spatiaux sur l'astronomie au sol et avaient prédit une aggravation rapide de la tendance à l'avenir, notamment en raison du déploiement prévu d'énormes mégaconstellations. A partir de cette première étude, M. Kocifag (université de Bratislava) et ses collaborateurs ont repris leur clavier et leurs souris pour mener une analyse plus approfondie et plus détaillée, en utilisant les modèles disponibles de la population d'objets orbitaux.

Au lieu de s'appuyer sur plusieurs approximations utilisées dans leur étude précédente - comme par exemple l'hypothèse d'un albédo uniforme pour tous les objets spatiaux - cette nouvelle étude, financée par l’ESA adopte une approche plus précise. Elle tient maintenant compte de la distribution de l'altitude et de l'angle d'élévation des objets spatiaux à un moment et à un endroit donnés. Cela permet une représentation plus précise de leur impact sur les conditions d'observation. L’approche des chercheurs intègre également la variabilité de la composition et de la distribution des tailles des objets le long de la ligne de visée.

En 2021,Kocifaj et al. prenaient en compte tous les objets, de l'orbite basse (LEO) à l'orbite géostationnaire (GEO), couvrant des altitudes de 186 à 36 786 km. Aujourd’hui, ils se concentrent exclusivement sur les objets en LEO, puisque ce sont ceux-ci qui contribuent majoritairement à la luminosité du ciel nocturne.

Les orbites LEO, sont situées entre 200 et 2000 km au-dessus de la surface de la Terre, elles accueillent actuellement la plus forte concentration d'objets artificiels. La fragmentation et la croissance continues des objets lancés augmentent continuellement le risque de collisions, contribuant potentiellement à l'accumulation de débris spatiaux sur ces orbites, ainsi qu’à une évolution irréversible de type syndrome de Kessler.

Les calculs précédents de Kocifaj et al. étaient initialement basés sur le modèle MASTER (Meteoroid and Space Debris Terrestrial Environment Reference) de l'ESA, qui génère une population synthétique de débris spatiaux. Ce modèle s'appuie sur des simulations et des calculs théoriques plutôt que sur des observations directes. En revanche, la NASA, elle, incorpore des observations radar et optiques pour affiner ses résultats et les intègre dans le modèle ORDEM (Orbital Debris Engineering Model).

Bien que les deux modèles partagent un certain nombre de similitudes pour les objets de taille supérieure à quelques millimètres, le modèle ORDEM de la NASA estime que la population d'objets de taille inférieure à 1 mm est de l'ordre de 10 à 100 fois plus élevée que ce que prévoit le modèle MASTER de l'ESA. Cette divergence a des conséquences importantes pour les prévisions de la luminosité du ciel nocturne, car elle suggère que les contributions des plus petits objets dominent de manière écrasante celles des débris plus gros. Dans le modèle de la NASA, la contribution cumulée des objets plus grands représente moins de quelques pour cent de l'impact total sur la luminosité.

Si on considère un grand corps d'une taille caractéristique G qui se fragmente en plusieurs objets plus petits, chacun d'une taille moyenne p. Comme la quantité de lumière réfléchie ou diffusée est déterminée par la section efficace de l’objet, l'augmentation de l'intensité lumineuse due à la fragmentation est proportionnelle au rapport G/p. Par exemple, si un objet de 10 cm se fragmente en fragments submillimétriques, le nombre de photons diffusés atteignant finalement un observateur peut augmenter d'un facteur 100. Par conséquent, les données sur les objets les plus petits sont essentielles pour les prédictions de la luminosité.

Kocifaj et al. effectuent la première quantification de la contribution réelle des objets LEO à la luminosité du ciel nocturne, basée sur la distribution angulaire sur leurs orbites des objets spatiaux (en particulier des débris). Ils ont effectué leurs calculs d’impact pour trois observatoires différents : le Vera Rubin Observatory (dans les Andes chiliennes), le Zwicky Transient Facility (aux Etats-unis) et l’observatoire de Quito (Equateur). Ils ont calculé cet impact pour les années 2024, 2030 et 2035, au rythme connu des déploiements de satellites présents et futurs.

Dans les scénarios 2024, la luminosité diffuse des débris de petite taille (<3 mm) que trouvent les chercheurs se situe généralement entre 3 et 8 µcd m-2 selon les cas. L'Union astronomique internationale (UAI) a fixé un seuil critique de 20 µcd m-2 pour les sites d'observation, et les estimations effectuées avec le modèle ORDEM sont déjà proches de cette limite, précisent les auteurs.

En 2035, les résultats montrent que par rapport à 2024, les niveaux de luminosité du ciel causés par les débris spatiaux devraient augmenter de manière significative, atteignant 5 à 19 µcd m-2.

Il faut noter que les valeurs de luminosité ont été calculées pour un ensemble limité de scénarios caractéristiques et à une date et une heure fixes. Les valeurs varient en fonction des mois et des heures. Vers minuit par exemple, une grande partie du ciel se trouve dans l'ombre de la Terre, ce qui minimise l'impact des débris spatiaux. Et dans des conditions d'observation spécifiques, les niveaux de luminosité peuvent dépasser largement les valeurs présentées ici.

Les chercheurs observent un élément intéressant : les niveaux de luminosité prévus pour 2035 sont généralement inférieurs à ceux de 2030. Cette variation est attribuée à l'activité solaire, qui influence fortement le volume de la haute atmosphère et donc la durée de vie des objets en orbite basse. Lors des pics du cycle solaire de 11 ans (vers 2025 et 2035), la haute atmosphère devient plus dense, ce qui permet d'éliminer plus efficacement les débris spatiaux de l'orbite basse. À l'inverse, lors des minima solaires (vers 2030 et 2041), la densité atmosphérique diminue, entraînant une augmentation des concentrations de petites particules dans l'orbite basse. Cela indique que les estimations pour 2024 et 2035 représentent des limites inférieures, alors que les niveaux de luminosité devraient être plus élevés pendant les minima solaires. En outre, pendant le minimum solaire, la luminosité naturelle du ciel est plus faible. Le rapport entre la luminosité artificielle du ciel due aux débris de l'orbite terrestre basse et la luminosité naturelle serait donc encore plus important.

Kocifaj  et al. concluent que l'ajout du à cette multitude de microdébris équivaut à une augmentation de la luminosité de fond du ciel nocturne de 5 à 11 % au-dessus des niveaux naturels. Par conséquent, le seuil fixé par l'UAI pour les sites d'observation pourrait potentiellement être atteint ou dépassé. L'augmentation rapide du nombre d'objets en orbite terrestre basse, notamment en raison de l'expansion des mégaconstellations de satellites, laisse penser que ce problème entravera de plus en plus l'observation d'objets astronomiques de faible luminosité, selon les chercheurs. Ces résultats soulignent le besoin urgent de donner la priorité à la recherche théorique et expérimentale sur les petits objets artificiels dans les études sur les débris spatiaux. Les données indiquent clairement que la compréhension du comportement et de la prolifération de ces objets est cruciale pour atteindre une durabilité de l'espace, et de la recherche en astrophysique.


Source

Low Earth Orbit satellite fragmentation rates are critically disrupting the natural night sky background

M Kocifaj et al.

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society: Letters, Volume 541, (22 may 2025)

https://doi.org/10.1093/mnrasl/slaf052


Illustration


Carte en coordonnées polaires de la luminosité diffuse en 2035 pour les observatoires Vera Rubin (haut) et ZTF (bas). Les valeurs sont données pour le haut de l'atmosphère (gauche) et au sol (droite).

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