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30/11/25

Les galaxies Little Red Dots : des pépinières de trous noirs supermassifs


La découverte récente de toutes petites galaxies très rouge à faible rayon (appelées des Little Red Dots, LRD) a potentiellement révélé un nouveau type de population galactique dans l'Univers primordial, caractérisée par de petits rayons effectifs (100 à 200 parsecs seulement) mais de grandes masses stellaires (plusieurs dizaines de milliards de masses solaires). Leur source d'énergie demeure incertaine :  trous noirs supermassifs en accrétion ou une intense formation d'étoiles. Une équipe d'astrophysiciens à analysé les conséquences dynamiques de ces densités stellaires extrêmes et arrivent à la conclusion que les collisions d'étoiles doivent y être incontrôlées, menant à la naissance de trous noirs massifs en très peu de temps. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal

Les premières observations du télescope spatial James Webb ont révélé que le ciel infrarouge était recouvert de galaxies compactes et rouges : les LRD. Ces galaxies ont rapidement remis en question notre compréhension de l’Univers lointain.

Les LRD  sont nombreuses, avec des densités numériques à un redshift z  ∼ 5 (1,2 milliard d'années après le Big Bang) qui sont intermédiaires entre celles des noyaux galactiques actifs (AGN) et celles des galaxies standard. Leur distribution en décalage vers le rouge présente un pic autour de z ∼ 5, et elles sont largement observées entre z  ∼ 4 et z  ∼ 8, sur une période d'environ 1 milliard d'années d'histoire cosmique (entre 0,6 et 1,6 milliards d'années après le BB). Des études détectent actuellement des équivalents de LRD à des décalages vers le rouge plus faibles (c'est-à-dire z  < 4), bien qu'à une densité numérique significativement plus faible, qui diminue de façon exponentielle avec la diminution du décalage vers le rouge.

Les LRD sont très compactes, avec un rayon effectif moyen d'environ 150 pc, et généralement inférieur à 300 pc. Outre les propriétés observées des LRD, qui sont déjà assez particulières, leurs propriétés physiques déduites sont énigmatiques. Quelle est la source de leur lumière ? On ignore actuellement si les LRD sont principalement alimentées par un trou noir supermassif en accrétion, d’une masse typique de l’ordre de 10⁷ à 10⁸ M⊙ (R. Maiolino et al. 2024) , ou par la formation d’étoiles dans des galaxies déjà massives, dont la masse stellaire est de l’ordre de 10⁹ à 10¹¹ M⊙ (I. Labbé et al. 2023). Plusieurs études ont montré que leurs distritibution spectrale d'énergie peuvent être expliquées par diverses fractions d'AGN, qui est la fraction de lumière générée par le trou noir central à une longueur d'onde spécifique.

La plupart des LRD présentent de larges raies d'émission. Ce phénomène est généralement associé à la présence d'un trou noir supermassif central, qui accélère le gaz à des vitesses élevées. Ces signatures sont largement utilisées, aussi bien localement que dans l'Univers lointain, pour estimer la masse des trous noirs supermassifs. Cependant, plusieurs études ont également montré que cette même signature peut être produite par des galaxies extrêmement massives et compactes, dans lesquelles la forte densité stellaire du cœur engendre naturellement des dispersions de vitesse extrêmes (JFW Baggen et al. 2024 ; A. Loeb 2024 ).

Une complication supplémentaire découle de l'absence de détection de rayons X provenant des LRD, même dans les analyses d'empilement profond. Ceci est problématique pour l'hypothèse du trou noir, car la présence d'émissions de rayons X est généralement considérée comme une caractéristique de la présence d'un trou noir supermassif. Cependant, plusieurs modèles expliquent l'absence d'émissions de rayons X tout en préservant l'hypothèse du trou noir. Par exemple, R. Maiolino et al. (2025) suggèrent qu'une couche très épaisse de matériau absorbant, avec un facteur de couverture important, masquerait l'émission de rayons X. F. Pacucci et R. Narayan ( 2024 ) proposent qu'une accrétion légèrement super-Eddington sur un trou noir supermassif en rotation lente créerait un spectre d'émission si mou dans le domaine des rayons X qu'il serait pratiquement indétectable par les observatoires de rayons X actuels. 

L'interprétation fondée uniquement sur les étoiles est également remise en question. En particulier, la combinaison de deux facteurs soulève un problème majeur : (i) la nécessité de masses stellaires de l'ordre de 10⁹ à 10¹¹ M⊙ pour reproduire la lumière observée et (ii) leur compacité, avec des rayons effectifs de l'ordre de 80 à 300 pc. Les densités stellaires du cœur qui en résultent sont énormes, comme l'ont montré JFW Baggen et al. et CA Guia et al. en 2024. Plus précisément, cette dernière étude révèle que 35 % d'un échantillon de 475 LRD présentent des densités stellaires du cœur supérieures aux densités stellaires les plus élevées observées dans divers systèmes, atteignant des valeurs de l' ordre de 10⁹ M⊙ pc⁻³ ! (imaginez 1 milliard de soleils dans un cube de 3,2 années-lumière de côté...). Ces valeurs sont plus de 10 fois supérieures à la densité requise pour que des collisions stellaires incontrôlées se produisent.

Un processus d'emballement est un processus au cours duquel la croissance de l'étoile centrale se produit sur une échelle de temps plus courte que sa durée de vie. En supposant les propriétés environnementales estimées pour les LRD, les chercheurs ont calculé le temps de collision stellaire moyen, qui se trouve être inférieur à 1 million d'années, ce qui garantit que les conditions d'emballement sont réunies. Les collisions stellaires incontrôlées (à emballement) sont proposées depuis longtemps comme un mécanisme de formation des trous noirs supermassifs (RH Sanders 1970 ; MC Begelman & MJ Rees 1978 ; MJ Rees 1984 ; GD Quinlan & SL Shapiro 1990 ). Et les collisions stellaires dans les environnements denses autour des trous noirs supermassifs centraux, y compris celui de la Voie lactée, ont été largement étudiées et ont été proposées comme un mécanisme efficace pour la formation d'étoiles massives. 

A partir de ces constats et de ces questions ouvertes, Fabio Pacucci (Harvard Smithonian Center for Astrophysics) et ses collaborateurs ont examiné le phénomène en adoptant l'interprétation « étoiles seules », caractérisée par des densités stellaires extrêmes au cœur des galaxies LRD. Ils ont cherché à déterminer si le système stellaire résultant demeure stable ou bien si des collisions stellaires incontrôlées conduisent inévitablement à la formation d'un trou noir supermassif au cœur des LRD. 

Les astrophysiciens ont étudié les conséquences dynamiques de ces densités stellaires extrêmes à l'aide de trois approches complémentaires : une analyse de Fokker-Planck, un modèle analytique et une simulation directe à N corps. Pacucci et ses collaborateurs montrent que dans les LRD typiques (ρ ⋆  ∼ 10 000 à 100 000 M⊙ pc​​−3 ), le temps de friction dynamique pour les étoiles de 10 M⊙ dans les 0,1 pc centraux est très court (≲0,1 Mégannées), ce qui permet une ségrégation de masse rapide et la formation d'un noyau dense.

Et pour des  densités stellaires plus élevées (ρ ⋆  ∼ 10 millions M⊙ pc​​−3 ), ils trouvent que des collisions stellaires incontrôlables commencent à se produire en ∼0,5 mégannées, ce qui produit des étoiles très massives avec une masse finale comprise entre  9000 et 50 000 M⊙ en moins de 1 million d'années ! 

Ensuite, une fois que l'approvisionnement en étoiles supermassives est épuisé, ces étoiles supermassives se contractent sur une échelle de temps de Kelvin-Helmholtz (∼8000 ans) et s'effondrent gravitationnellement, produisant un trou noir massif avec une masse identique à celle de l'étoile. Ce processus conduit ainsi à la formation de graines de trous noirs supermassifs de masse de l'ordre de 10 000 M ⊙ jusqu'à un redshift z  ∼ 4 (1,6 milliards d'années post BB)..

Ces conclusions de Pacucci et al. reposent sur les densités stellaires déduites pour les LRD. Les estimations de masse stellaire sont sujettes à des incertitudes liées à la modélisation spectrale et à la contamination par les noyaux actifs de galaxies. Bien que certaines études suggèrent que les masses stellaires sont généralement robustes à moins de 0,3 dex près, des erreurs plus importantes ne peuvent être exclues selon les chercheurs. Si les masses stellaires réelles sont beaucoup plus faibles, les densités correspondantes, et la probabilité de collisions incontrôlées, seraient réduites.

Les auteurs rappellent cependant que les densités stellaires extrêmes peuvent également expliquer d’autres caractéristiques observées sur les LRD. Par exemple, A. Loeb et J.F.W. Baggen et al. (2024) ont proposé que les fortes dispersions de vitesse ( σ  ≳ 10³ km s⁻¹ ) induites par de tels systèmes compacts produiraient naturellement les raies larges observées dans de nombreuses LRD, sans faire intervenir l’activité d’un noyau galactique actif (AGN). Ces fortes dispersions de vitesse sont également confirmées par l'analyse de Paccuci et al. à des échelles spatiales de l’ordre de 100 pc. Dans cette perspective, les raies larges reflètent le potentiel gravitationnel du cœur stellaire dense.

De plus, la formation de trous noirs massifs d'environ 10⁴ M⊙ au centre des LRD pourrait également étayer les modèles selon lesquels la lumière observée est alimentée par des événements de rupture par effet de marée (TDE). J. Bellovary a proposé récemment que les LRD pourraient s'expliquer par des systèmes stellaires denses abritant un trou noir de masse intermédiaire, produisant des TDE récurrents lors de l'accrétion d'étoiles. En effet, l'effondrement de l'étoile supermassive centrale en un trou noir massif préserve la majeure partie de la distribution stellaire environnante, qui reste extrêmement dense : seule une petite fraction de la masse stellaire initiale est piégée dans le trou noir. Par conséquent, un important réservoir stellaire demeure disponible, entraînant des ruptures stellaires fréquentes et, de ce fait, une accrétion soutenue. Ce processus pourrait naturellement alimenter l'émission observée dans certaines LRD tout en contribuant à la croissance rapide du trou noir massif.

La voie de collision stellaire incontrôlée qui est explorée dans cette étude est distincte de l'hypothèse largement étudiée du trou noir à effondrement direct. Une graine de trou noir supermassif formée dans une LRD prototypique à z  ∼ 5 ne peut pas expliquer les quasars de masse supérieure à 10⁹ M⊙ qui ont été découverts à une époque plus précoce (à z ∼ 6–7) , et qui servent à contraindre les modèles de germination. Les LRD à z  ∼ 5 peuvent en revanche produire des germes massifs à des époques plus tardives, susceptibles d’ensemencer les trous noirs supermassifs de galaxies plus récentes.

Cependant, comme l'ont souligné F. Pacucci et A. Loeb en 2025 et comme l'ont illustré P. Rinaldi et al. cette année également, le faible nombre de détections de LRD à un redshift supérieur à 7 pourrait être  dû à un biais observationnel lié à leur faible luminosité de surface. En effet, AJ Taylor et al. ont très récemment détecté une LRD présentant de larges raies d'émission à z  ≈ 9,288 ! (530 millions d'années post BB). Si la population de LRD s'étend effectivement à des décalages vers le rouge plus élevés, alors elles constitueraient des candidates idéales pour amorcer la population de trous noirs supermassifs vus dans les quasars de masse ≳  10⁹ M⊙ à z  ∼ 6–7 (770 mégannées après BB).

Un avantage majeur des LRD par rapport au collapse direct pour la formation des graines de trous noirs supermassifs réside dans leur fréquence bien supérieure aux prédictions optimistes concernant la densité numérique des effondrements directs de nuages de gaz très massifs. Les densités numériques typiques des LRD sont de l'ordre de 10⁻⁴ à 10⁻⁵ cMpc⁻³, tandis que les modèles de formation par collapse direct produisent des graines de trou noir à des densités numériques de 10⁻⁶ à 10⁻⁸ cMpc⁻³. De fait, la formation de graines massives dans les LRD ne requiert pas de conditions particulières, telles qu'un gaz dépourvu de métaux ou un fort rayonnement de fond Lyman-Werner comme c'est le cas pour le collapse direct.

Pacucci et ses collaborateurs arrivent à la conclusion que, si les densités stellaires déduites dans les LRD sont confirmées, ces petits points rouges pourraient tout simplement représenter une pépinière répandue et très efficace pour les trous noirs supermassifs.

Source

Little Red Dots are Nurseries of Massive Black Holes

Fabio Pacucci, Lars Hernquist, and Michiko Fujii

The Astrophysical Journal, Volume 994, Number 1 (13 november 2025)

https://doi.org/10.3847/1538-4357/ae1619


Illustrations

1. Images de six LRD observées avec le télescope Webb [NASA/ESA/CSA/I. Labbe]

2. Fabio Pacucci 

28/11/25

Détection de décharges électriques dans la poussière de Mars


Le rover martien Perseverance vient d’enregistrer plusieurs sons et signaux électromagnétiques qui correspondent très probablement à des décharges électriques associées à des tempêtes de poussière. C'est la première fois qu'un preuve in situ est apportée sur un phénomène longtemps prédit théoriquement. L’étude est parue dans Nature.

On sait que des éclairs se produisent sur d'autres planètes : on en a détecté sur Jupiter en 1979 avec la sonde Voyager I, puis sur Saturne, et peut-être aussi sur Uranus et Neptune. Mais la question des éclairs reste sans réponse pour les planètes les plus proches de la Terre, Mars et Vénus. 

L'existence de décharges électriques sur Mars fait l'objet de débats depuis que les atterrisseurs Viking de la NASA ont analysé pour la première fois la fine atmosphère de dioxyde de carbone de la planète dans les années 1970. Les chercheurs ont émis l'hypothèse que la "foudre" martienne ne pouvait se produire qu'à proximité de la surface de la planète, où la pression atmosphérique est juste suffisante pour permettre la formation de petites décharges électriques, mais qu'il faudrait un mécanisme pour la déclencher.

L'apparition d'une électrification atmosphérique dans les tempêtes de poussière et de sable, ainsi que dans les tourbillons de poussière (également appelés "dust devils"), est un phénomène bien connu sur Terre. Il est causé par le transfert de charge lors de collisions entre des particules emportées par le vent. Cette charge triboélectrique entraîne la formation de champs électriques intenses pouvant atteindre 10 à 160 kV/m, qui restent généralement en dessous du seuil de claquage atmosphérique terrestre nécessaire pour déclencher des décharges à la pression de surface (environ 3 MV/m). Mais ces charges peuvent provoquer des éclairs spectaculaires dans les panaches de cendres volcaniques par exemple. L’électricité atmosphérique sur Terre a aussi des implications notables pour la dynamique des poussières, en chargeant les particules dans l’atmosphère, ce qui peut influencer la façon dont ces particules de poussière s’agglomèrent, se transportent et se déposent. De plus, elle joue un rôle crucial dans la chimie atmosphérique en favorisant l’ionisation et la production d’espèces réactives, avec une pertinence potentielle pour les processus chimiques prébiotiques sur la Terre primitive et sur Mars.

Sur Mars, la poussière est abondante et omniprésente dans l’atmosphère : elle est soulevée localement depuis la surface par le stress du vent ou le passage de "dust devils". Il peut parfois se produire sur Mars des tempêtes de poussière d'ampleur régionale, voire globale. Par analogie avec les processus éoliens terrestres menant à l’électrification des poussières, on estime que les phénomènes poussiéreux de Mars sont probablement également électrifiés. De plus, en raison de la faible pression atmosphérique de Mars, le seuil de claquage conventionnel près de la surface est estimé à environ 15 kV/m, ce qui suggère que des potentiels électriques aussi élevés que ceux observés sur Terre pourraient provoquer des décharges électriques sur Mars.

Cependant, contrairement aux éclairs de plusieurs kilomètres de long sur Terre, la fine atmosphère martienne produirait probablement des décharges faibles, de quelques millimètres de long, semblables à des étincelles, un peu similaires à celles qui provoquent un choc électrostatique lorsqu'on touche un objet conducteur.

Outre la lumière visible, les éclairs sur Terre produisent un large éventail de rayonnements électromagnétiques, allant des rayons gamma aux micro-ondes et aux ondes radio. On pourrait s'attendre à ce que de tels rayonnements électromagnétiques soient également produits par les éclairs sur Mars, bien que dans une moindre mesure que sur Terre en raison de la relative faiblesse des décharges électriques. En 2006, des signaux micro-ondes considérés comme indicatifs d'éclairs martiens avaient été détectés par un radiotélescope terrestre. Mais une étude de près de cinq ans achevée en 2010 à l'aide du radar de Mars Express en orbite martienne (ESA), n'a détecté aucun signal radio caractéristique de la foudre.

L'arrivée des rovers sur Mars a ouvert de nouvelles possibilités pour rechercher des traces de foudre directement sur la planète. Depuis son atterrissage dans le cratère Jezero, le rover a permis de caractériser la turbulence, les tourbillons et l’activité éolienne grâce à des enregistrements acquis périodiquement. Baptiste Chide (université de Toulouse) et ses collaborateurs ont réussi à détecter des décharges triboélectriques dans l’atmosphère proche de la surface de Mars, en utilisant leurs signatures acoustiques et électromagnétiques observées dans les enregistrements du microphone de SuperCam, bien que Perseverance n'ait pas été spécialement conçu pour mener une telle recherche. 

L'analyse des chercheurs montre que certaines des données enregistrées présentent effectivement des caractéristiques sonores distinctives. La combinaison du son et du rayonnement électromagnétique observée dans les données est potentiellement caractéristique de ce que l'on pourrait attendre d'une décharge électrique dans l'atmosphère de Mars.

Sur les 55 rafales sonores distinctes identifiées par les auteurs, 7 coïncidaient avec des interférences électromagnétiques. Celles-ci se sont produites principalement par temps venteux et lors de tempêtes de poussière ou lorsque des tourbillons de courte durée, appelés « dust devils » , passaient directement au-dessus de Perseverance. La coïncidence entre les sons enregistrés et les interférences électromagnétiques pour 7 événements, ainsi que la similitude entre les 48 autres rafales et les signaux enregistrés lors de ces événements, ont conduit les chercheurs à conclure que les rafales étaient causées par des décharges électriques dans l'atmosphère.

Chide et ses collaborateurs ont utilisé la différence de temps entre les signaux audio et les interférences associées pour calculer l'emplacement de la foudre. La source se trouvait généralement à quelques centimètres seulement du micro du rover. Les chercheurs ont également calculé l'énergie électrique de six de ces événements, estimant qu'elle se situait entre 0,1 et 150 nanojoules, avec une longueur de décharge estimée à 1 cm maximum. Les auteurs notent que les décharges électriques de plus faible énergie ou plus éloignées auraient pu passer inaperçues, car le micro n'est sensible qu'aux sons provenant d'une distance maximale de quelques mètres du rover. Un enregistrement différait cependant des autres, puisqu’il suggére qu'une décharge plus énergique (40 millijoules) s'est produite à une distance d'environ 40 cm de la surface, mais les auteurs ne peuvent pas exclure la possibilité que cette décharge provienne du rover lui-même.

Les enregistrements fournissent des preuves convaincantes de décharges induites par la poussière qui correspondent à notre compréhension sur la façon dont de tels événements se produiraient sur Mars. Cependant, les décharges ont seulement été entendues et non vues, et aucune preuve visible d'une telle activité n'a jamais été enregistrée, malgré la présence de plusieurs caméras sur Mars au fil des ans. Cela est compréhensible, car la lumière produite par des décharges aussi faibles serait éphémère et faible, et serait probablement masquée par les nuages de poussière environnants.

Les résultats sont suffisamment convaincants pour ouvrir de nouvelles pistes de recherche. À l'avenir, de nouveaux instruments de mesure des décharges atmosphériques, équipés de caméras plus sensibles que celles utilisées lors des missions précédentes, pourraient être envoyés sur Mars afin de confirmer ces résultats et d'étudier les caractéristiques et les conséquences de ces événements. On sait par exemple que des réactions chimiques complexes se produisent dans l'atmosphère martienne, telles que celles impliquées dans le cycle du chlore entre le sol et l'atmosphère. Il se pourrait que les décharges électriques atmosphériques soient à l'origine de ces réactions chimiques, des études futures le diront.

L'existence de tels champs électriques a une influence déterminante sur la dynamique des particules de poussière : l'ajout d'une force électrique à l'équilibre des forces réduit la vitesse de frottement seuil nécessaire pour soulever les particules par le vent. Par conséquent, cette boucle de rétroaction positive contribuera de manière substantielle à améliorer le soulèvement de la poussière dans l'atmosphère, mais affectera également directement l'efficacité de l'agglomération entre les particules de poussière. Dans l'ensemble, elle devrait jouer un rôle important dans le cycle global de la poussière et donc dans le climat de Mars.

En outre, cette découverte soutient l'hypothèse d'un environnement électrochimique permanent à l'échelle planétaire, alimenté par des décharges et des champs électriques élevés. Cela favorise la production d'oxydants tels que le peroxyde d'hydrogène, qui peuvent piéger les composés organiques de surface. L'activité électrique est également susceptible de maintenir le cycle actuel du chlore sur Mars, qui serait associé à la libération de chlore dans l'atmosphère. De plus, les décharges peuvent entraîner une chimie redox multiphase, conduisant à la génération de perchlorates dont les quantités calculées par les chercheurs sont justement comparables à celles observées sur Mars. 

Les décharges électrostatiques pourraient constituer un danger notable pour les rovers, le véhicule d'ascension pour le retour d'échantillons martiens sans parler d'éventuels futurs astronautes qui ne verront jamais le jour.


Chide et ses collaborateurs citent le cas de la mission soviétique Mars 3, qui a fonctionné pendant environ 20 secondes à la surface de Mars avant de cesser soudainement de transmettre. La sonde s'était posée pendant une tempête de poussière. Selon eux, une décharge électrique pourrait être un scénario plausible pour expliquer cet échec.

Cette étude ouvre un champ de recherche sur l'atmosphère de Mars, dont l'activité électrique était largement confinée à des hypothèses en l'absence de preuves in situ. Elle ravive la nécessité d'un instrument dédié pour quantifier l'activité électrique in situ et motive le développement de nouveaux modèles atmosphériques pour rendre compte des phénomènes électriques et de leurs conséquences dans l'atmosphère martienne et la chimie de surface. Au-delà de Mars, ces travaux renforcent également la perspective de l'existence de décharges triboélectriques associées aux poussières transportées par le vent sur Vénus et Titan.


Source

Detection of triboelectric discharges during dust events on Mars.

Baptiste Chide et al. 

Nature 647, 865–869 (26 November 2025).

https://doi.org/10.1038/s41586-025-09736-y


Illustrations 

1. Illustration de la détection de décharges électriques par Perseverance (Nicolas Sarter)

2. Baptiste Chide devant la maquette de Perseverance

13/11/25

Un fort biais d'âge des supernovas bouleverse le modèle cosmologique standard


Un article paru dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society met à nouveau de sérieux doutes sur la véracité du modèle cosmologique standard ΛCDM, quelques mois après les résultats de la collaboration DESI qui trouvait une constante cosmologique variable dans le temps. Cette fois-ci, il s'agit de la découverte d'un important biais existant dans la population de supernovas qui servent à mesurer l'expansion cosmologique : la luminosité des supernovas dépend de l'âge de leur étoile progénitrice ! Et ça change tout...

Cette étude porte sur les supernovas de type Ia. Déclenchées par des naines blanches binaires, ces supernovas se caractérisent par la présence de silicium dans leurs raies spectrales. Leurs courbes de luminosité, qui décrivent leur évolution au fil du temps, sont principalement dues à la désintégration radioactive du nickel-56 en cobalt-56 puis en fer-56. Le taux de désintégration radioactive étant constant pour chaque élément, les courbes de lumière des supernovas de type Ia peuvent servir de chandelles standard. Quel que soit le lieu d'observation, la comparaison de la luminosité observée avec la luminosité réelle permet de déterminer la distance de ces supernovas. Connaissant la distance et le redshift, on peut alors déterminer avec précision le taux d'expansion de l'univers et son évolution en fonction du temps cosmique, si cette expansion ralentit, est constante ou bien accélère. 

On sait depuis longtemps que la méthode des chandelles standard n'est pas exacte. Même si elle repose sur la désintégration radioactive, le rapport entre la luminosité maximale et la demi-largeur de la courbe de lumière présente des variations statistiques. Aujourd'hui, Junhyuk Son (université de Séoul) et ses collaborateurs révèlent l'existence d''une forte corrélation entre la luminosité maximale d'une supernova de type Ia et l'âge de sa galaxie hôte, avec des implications considérables sur l'histoire de l'expansion cosmique si on utilise ces supernovas, comme c'est le cas aujourd'hui.

Ce que les chercheurs montrent, c'est que plus la galaxie est jeune, plus la supernova qui y a explosé  a de chances d'être de faible luminosité. On peut déterminer l'âge d'une galaxie en observant le spectre complet de sa lumière, en exploitant le fait que les étoiles bleues brillantes meurent jeunes, et de petites naines rouges subsistent. Les nouvelles étoiles qui se forment contiennent aussi une plus grande quantité d'éléments lourds. Ainsi, la présence ou l'absence de certaines raies spectrales dans une galaxie nous renseigne avec précision sur son âge. Cette méthode est valable aussi bien pour les galaxies lointaines que pour les galaxies proches.

Lorsqu'on représente graphiquement la luminosité maximale des supernovas de type Ia en fonction de l'âge de leurs galaxies hôtes, la corrélation est évidente. Cela avait été montré par la même équipe en mars dernier dans un premier article dont celui-ci est la suite. Cette corrélation est statistiquement significative à 5σ, ce qui est très fort.


A partir de cette corrélation, Son et ses collaborateurs ont testé le modèle ΛCDM, et surtout sa partie Λ, la constante cosmologique sensée être responsable de l'accélération de l'expansion. Au lieu de considérer les variations de luminosité des supernovas comme une fluctuation statistique, les astrophysiciens coréens ont intégré cette corrélation luminosité-âge à leur analyse. Les auteurs précisent que l'Univers primordial comptait beaucoup plus de jeunes galaxies que l'Univers d'âge moyen, et ce biais s'accentue donc avec la distance. Le résultat, une fois tous ces éléments combinés, est frappant : le modèle ΛCDM est contredit avec une signifiance statistique supérieure à 9σ !

D'après ces résultats, l'expansion cosmique ne s'accélère pas. L'Univers continue de s'étendre, mais à un rythme qui ralentit. Et ce ralentissement durerait déjà depuis environ un milliard d'années.

Le modèle cosmologique (w0waCDM) récemment proposé par le projet DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument) à partir de l'observation des oscillations acoustiques baryoniques (BAO), est issu d'une analyse combinée utilisant uniquement les données BAO et celles du fond diffus cosmologique (CMB). Ce résultat est trouve conforté par un test indépendant de l'évolution cosmologique, utilisant uniquement les supernovas provenant de jeunes galaxies hôtes contemporaines sur toute la gamme de décalages vers le rouge. C'est lorsque les trois sondes cosmologiques (supernovas, BAO et CMB) sont combinées, que les chercheurs observent une tension à 9σ par rapport au modèle ΛCDM, bien  plus forte que celle que trouvait DESI.

Les mesures de DESI combinées aux données du fond diffus cosmologique (CMB) des collaborations Planck et ACT présentent une écart par rapport au modèle ΛCDM à "seulement" 3.1σ. Ce résultat privilégie plutôt une équation d'état de l'énergie sombre qui serait variable dans le temps. La paramétrisation qui, fournit le cadre le plus simple pour décrire l'énergie sombre dynamique est w(a) = w0 + wa(1-a), où w0 représente la valeur actuelle de l'équation d'état de l'énergie sombre, tandis que wa quantifie sa variation par rapport au facteur d'échelle cosmologique a.

Un résultat important de l'analyse DESI BAO est que les paramètres cosmologiques obtenus indiquent des valeurs w0=-0,42 wa=-1,75 et Ωm = 0,353 (la densité de matière), des valeurs qui favorisent non seulement une expansion ralentie pour l'univers futur, mais suggèrent également un signe d'expansion ralentie même actuellement, et non pas en expansion accélérée, avec un paramètre  de décélération q0 = 0,042 ±0,02. Ce n'est que lorsque les données des supernovas de type Ia sont ajoutées aux mesures BAO et CMB que l'univers actuel demeure en expansion accélérée, comme cela est largement admis, même si l'univers futur connaîtrait une transition vers une expansion ralentie.

Mais, ce résultat a été obtenu sans intégrer l'effet de biais lié à l'âge des progénitrices de supernovas dans l'ensemble de données. Quand on introduit le biais d'âge dans les données des supernovas, les valeurs des paramètres du modèle cosmologique s'en trouvent drastiquement modifiés. Au lieu de trouver un paramètre de décélération q0 négatif (donc une accélération), on trouve une valeur positive dans l'univers actuel, donc une décélération. Plus précisément, en combinant CMB+BAO+DES5Y : 

  • w0=-0,337
  • wa=-1,902
  • Ωm = 0,363
  • q0 = 0,178

Lorsque la correction du biais d'âge des progéniteurs est appliquée aux données des supernovas, non seulement l'univers futur passe à un état d'expansion décélérée, mais l'univers actuel se dirige déjà vers un état plus proche de la décélération que de l'accélération. Ce qui est très intéressant, c'est que ce résultat est cohérent avec la prédiction obtenue en combinant uniquement les données DESI BAO et CMB. Et conjuguée au résultat DESI BAO, qui suggère que l'énergie sombre pourrait ne plus être une constante cosmologique, l'analyse de Son et al. soulève la possibilité que l'univers actuel ne soit plus en expansion accélérée, une perspective fondamentalement nouvelle qui remet en question les piliers centraux de la théorie actuelle de l'univers.

Cette analyse de Son et son équipe diffère fondamentalement des études précédentes qui n'ont intégré les effets de l'âge des progéniteurs qu'indirectement, par le biais d'indicateurs d'âge. Par exemple, Rigault et al. (2020) et Nicolas et al. (2021), utilisant le décalage de magnitude des supernovas avec le taux de formation stellaire spécifique local, n'avaient considéré que l'évolution en fonction du décalage vers le rouge des proportions relatives de progéniteurs « jeunes » et « vieux », sans tenir compte de l'évolution de l'âge absolu des progéniteurs « vieux » en fonction du décalage vers le rouge. Or, l'âge moyen des progéniteurs « vieux » diminue sensiblement, de 10 à 3 Gigannées entre un redshift de 0 et un redshift de 1. Cet effet systématique n'avait pas été pris en compte dans leurs analyses, ce qui a conduit à une sous-estimation significative de l'impact total du biais d'âge des progéniteurs.

La correction du biais d'âge dépendant du décalage vers le rouge appliquée dans cette étude est en bon accord avec l'évolution directement observée de l'âge moyen de la population stellaire des galaxies. Par conséquent, en moyenne, cette approche rend compte de manière appropriée de la variation systématique du biais d'âge avec le décalage vers le rouge. Afin de fournir une analyse cosmologique plus directe, affranchie de la correction du biais d'âge des progéniteurs, Son et ses collaborateurs ont effectué également un test cosmologique « sans évolution », où seules les supernovas issues de galaxies jeunes et contemporaines sont utilisées sur toute la gamme de décalages vers le rouge. Cette approche, qui avait été suggérée par plusieurs études antérieures, fournit des contraintes cosmologiques intrinsèquement exemptes de l'influence du biais d'âge des progéniteurs. L'âge moyen de la population stellaire des galaxies hôtes de supernovas est ici estimé à environ 3,1 milliards d'années. 

Le résultat de ces données homogènes reste largement plus cohérentes avec le modèle w0waCDM préféré par l'analyse combinée DESI BAO et CMB qu'avec le modèle ΛCDM. 

Et vous devinez quoi ? Le biais lié à l'âge des étoiles progénitrices des supernovas pourrait également contribuer à atténuer la tension de Hubble Lemaitre. Il pourrait exister un biais provenant d'une disparité de population entre les galaxies hôtes de l'échantillon de supernovas d'étalonnage et celles de l'échantillon du flux de Hubble (mesures du redshift). Actuellement, les galaxies d'étalonnage du deuxième échelon de l'échelle des distances (supernovas) sont toutes des galaxies de type tardif avec des populations stellaires relativement jeunes, tandis que les galaxies hôtes de l'échantillon du flux de Hubble (troisième échelon) englobent généralement tous les types morphologiques et possèdent, en moyenne, des populations stellaires relativement plus âgées.


En 2022, Adam Riess (prix Nobel 2011 pour la découverte d'une accélération de l'expansion par des observations de supernovas) et al. ont fait le choix d'utiliser uniquement des galaxies spirales pour l'échantillon du flux de Hubble afin de minimiser cette potentielle disparité de population. Mais la simple sélection des galaxies basée sur une classification morphologique ne garantit pas suffisamment que les supernovas Ia du troisième niveau soient identiques à celles du deuxième niveau en termes d'âge de leur étoile progénitrice. Rigault et al. (2015) avaient démontré que la plupart des supernovas Ia du deuxième barreau de l'échelle proviennent d'environnements de formation stellaire locale (des bras spiraux), tandis que, selon Aramyan et al. (2016), seulement deux tiers des galaxies spirales hébergent des supernovas Ia sur leurs bras spiraux. Par conséquent, si la conclusion de Rigault et al. reste valable pour l'échantillon élargi de 37 galaxies de calibration de type tardif utilisé par Riess et al. en 2022, on peut s'attendre à un certain décalage entre les populations de supernovas Ia des deuxième et troisième barreaux de l'échelle des distance.... De plus, la précision de la classification morphologique n'est pas totale et est estimée à 90% et par conséquent, tous les échantillons de flux de Hubble de Riess et al. ne seraient pas exclusivement composés de galaxies spirales. Au total, seulement 60% des supernovas présentes dans l'échantillon du flux de Hubble de Riess et al. pourraient provenir de populations relativement jeunes, tandis que 90% des supernovas présentes dans l'échantillon d'étalonnage pourrait provenir de telles populations.

Le cas extrême du biais d'âge dans la tension de Hubble est attendu entre l'échantillon d'étalonnage (composé principalement de galaxies de type tardif) et les galaxies de l'amas de Coma, qui comprend majoritairement des galaxies de type précoce. Selon Son et ses collaborateurs, si cette possibilité est confirmée par des mesures directes de l'âge des populations stellaires dans les galaxies, une différence de 2 à 3 milliards d'années dans l'âge moyen entre les supernovas du deuxième et troisième barreau pourrait réduire significativement l'écart mesuré de H0 (de 3 à 4,5 %), ce qui reviendrait à augmenter la valeur de la constante de Hubble-Lemaitre (entre 2,2 et 3,3 km s⁻¹ Mpc⁻¹) tout en accroissant son erreur systématique. Aujourd'hui, la tension de Hubble (l'écart entre les deux types de mesures) est de l'ordre de 6 km s⁻¹ Mpc⁻¹ entre la valeur obtenue via le CMB et celle obtenue via les supernovas.

Si ces résultats des chercheurs sud-coréens sont confirmés, cela signifie que le modèle standard ΛCDM qui est né il y a 27 ans est simplement à jeter, et c'est une révolution scientifique de même ampleur que celle que nous avons vécue en 1998, rien de moins. L'univers n'est sans doute pas ce que l'on croyait depuis la fin du siècle dernier... 


Source

Strong progenitor age bias in supernova cosmology – II. Alignment with DESI BAO and signs of a non-accelerating universe Open Access

Junhyuk Son et al.

Monthly Notices of the Royal Astronomical Society, Volume 544 (6 November 2025)

https://doi.org/10.1093/mnras/staf1685


Illustrations

1. Évolution du paramètre de décélération de l'univers (Son et al.)

2. Comparaison des relations luminosités-redshift selon les modèles cosmologiques, avant et après correction du biais d'âge (Son et al.)

3. L'équipe de l'université Yonsei autrice de l'article, Junhyuk Son est au centre (Yonsei University)

08/11/25

Eruption record dans un noyau galactique actif


Une équipe d'astrophysiciens vient de découvrir une éruption extrême du noyau galactique actif (AGN) J2245+3743. Sa luminosité a été multipliée par plus de 40 en 2018, puis la source a progressivement diminué depuis. L'énergie totale émise dans l'ultraviolet et le domaine visible à ce jour est de l'ordre de 1054 erg, soit la conversion complète d'environ 1 masse solaire en rayonnement électromagnétique, du jamais vu. Cette éruption est 30 fois plus puissante que la plus puissante éruption transitoire de noyau galactique actif (AGN) jamais enregistrée. L'étude est parue dans Nature Astronomy.

Les trous noirs supermassifs en accrétion dans les AGN sont reconnus comme des sources très variables, nécessitant un environnement extrêmement compact et dynamique. Leur variabilité est liée à de multiples phénomènes, notamment les variations des taux d'accrétion, les changements de température, la présence d'absorbeurs au premier plan et les modifications structurelles du disque d'accrétion. 
Très peu d'événements physiques dans l'Univers peuvent libérer une telle quantité d'énergie électromagnétique. Plusieurs mécanismes potentiels ont été testés par Matthew Graham (Caltech) et ses collaborateurs pour comprendre l'origine de cette éruption. Ils ont notamment évalué la destruction par effet de marée d'une étoile de masse élevée ( > 30 ​ M⊙), un 'effet de lentille gravitationnelle d'une éruption de noyau galactique actif, une supernova "ordinaire", ou encore à une supernova supermassive (supernova à instabilité de paires) dans le disque d'accrétion de l'AGN.

La découverte de phénomènes transitoires liés aux trous noirs supermassifs a été rendue possible par un certain nombre d'études temporelles de grande envergure réalisées au cours de la dernière décennie. Les taux d'occurrence sont faibles et les événements peuvent durer des mois, voire des années ; ils nécessitent donc une large couverture du ciel avec de longues lignes de base. Le Catalina Real-time Transient Survey (CRTS) et le Zwicky Transient Facility (ZTF) offrent ensemble une couverture de 20 ans sur plus de 70 % du ciel jusqu'à une profondeur de magnitude supérieure à 20 dans la bande visible Ces deux installations ont permis un certain nombre d'études systématiques de phénomènes AGN rares. 

J2245+3743 est un AGN situé à un redshift z=2,554 (2,6 milliards d'années après le Big Bang). Une augmentation de sa luminosité de près de quatre magnitudes (correspondant à une multiplication du flux par 40) a été détectée début 2018 par les télescopes de CRTS et de ZTF. La galaxie hôte associée est compatible avec un AGN d'après ses couleurs dans l'infrarouge moyen, bien qu'aucun spectre de la source avant l'éruption ne soit disponible. L'éruption s'est lentement atténuée au cours des six années suivantes (dans le référentiel de l'observateur), soit ∼650 jours dans le référentiel de repos, mais le flux reste encore aujourd'hui deux ordres de grandeur au-dessus du niveau pré-éruptif. Une séquence de spectres des six dernières années montre le développement progressif de raies d'émission élargies, par exemple Lyα, C IV , C III , Mg II , Hβ, O III , et Hα, ce qui est compatible avec un noyau galactique actif (AGN).  A partir des raies d'émission C IV , Mg II et Hα, Graham et ses collaborateurs fournissent une estimation de la masse du trou noir supermassif entre 108.2 et 108.8 masses solaires (donc entre 160 et 630 millions de masses solaires).

D'autres observations ont été effectuées à d'autres longueurs d'onde : le télescope infrarouge WISE a détecté l'éruption dans l'IR moyen sans décalage temporel statistiquement significatif par rapport à l'éruption dans le visible, mais en revanche, l'éruption n'a pas été détectée aux longueurs d'onde des rayons X et radio. Il n'y a pas non plus eu de détection d'émission de neutrinos associée, comme cela a été observé dans les destructions maréales d'étoiles très énergétiques avec émission infrarouge. 

La luminosité maximale de J2245+3743 lors de l'éruption était de  4×1046 erg s-1 , ce qui fait une puissance de 4×1039 Watts (ou si on préfère 10 000 milliards de fois la luminosité du soleil, qui a une luminosité de 4×1026 Watts). L'énergie électromagnétique totale libérée par J2245+3743 est de l'ordre de 1054 erg (équivalent isotrope), ce qui correspond à peu près à l'énergie de masse du Soleil. Cette énergie est environ 1000 fois plus élevée que ce que produit une supernova classique et 10 à 100 fois plus que ce que produit une supernova superlumineuse...
 
Selon Graham et ses  collaborateurs, si l'éruption de J2245+3743 est un phénomène de destruction maréale d'étoile (TDE) par le trou noir supermassif, elle pourrait donc impliquer une étoile d'une masse bien supérieure à 20M⊙, en supposant un taux d'efficacité de 10 % pour la conversion de la masse accrétée en énergie émise.

Bien qu'une supernova classique soit exclue du point de vue énergétique, il pourrait tout de même s'agir d'une supernova superluminueuse intégrée au disque d'accrétion du noyau galactique actif. Mais ce cas est très contraint, car la majeure partie de l'énergie devrait alors être fournie par l'énergie cinétique de la matière dense environnante. Car certes les étoiles entièrement enfouies dans des disques d'AGN peuvent évoluer très différemment des étoiles du champ et devenir rapidement supermassives. Et ces étoiles s'effondrent donc violemment, en fonction de la densité du gaz environnant. Les étoiles massives qui explosent dans les disques des noyaux actifs de galaxies verront alors leur luminosité augmenter à mesure que l'énergie cinétique de l'explosion est transformée en rayonnement par la matière environnante. Cependant, les étoiles suffisamment massives (M∗ de 140 à 260 M⊙) devraient subir une instabilité de paires dans leur noyau à la fin de leur vie (des photons gamma de haute énergie se matérialisent en électrons + positrons, ce qui diminue brutalement la pression radiative), ce qui initie une supernova par instabilité de paires. Les candidates potentielles de ce type de supernova incluent, par exemple, SN 2007bi et SN 2018ibb, dont chacune rayonnait une énergie totale de l'ordre de 1052 erg (seulement...).
Les courbes de lumière de ces supernovas candidates sont caractérisées par une montée et une descente lentes, durant plusieurs mois, soit plus longtemps que celles des supernovas à effondrement de coeur typiques. Et pour les étoiles les plus massives (M∗≳260 M⊙), celles-ci ne devraient pas subir d'instabilité de paires, mais devraient s'effondrer directement sur leur cœur pour former un trou noir sans explosion, libérant ainsi des quantités d'énergie électromagnétique relativement faibles. À moins que notre compréhension actuelle de l'explosion des étoiles très massives ne sous-estime considérablement l'énergie libérée, pour Graham et ses collaborateurs, il est très peu probable, pour ne pas dire impossible qu'une supernova génère l'énergie observée dans J2245+3743.

Si l'éruption est due à un effet de lentille gravitationnelle, l'énergie totale réelle impliquée serait bien sûr moindre ; autrement dit, le flux observé correspondrait au flux réel amplifié par la lentille par un facteur donné. Mais les chercheurs précisent que dans ce cas, l'événement resterait extrême pour les amplifications typiques des lentilles gravitationnelles. Et l'imagerie à haute résolution ne révèle aucune composante multiple et les simulations indiquent que la probabilité statistique d'un effet de lentille est très faible.

Pour Graham et son équipe, l'explication la plus probable est un événement de destruction d'une étoile massive par effet de marée (TDE, Tidal Disruption Event) à l'intérieur du disque du noyau galactique actif.

Presque tous les TDE détectés à ce jour se sont produits dans des galaxies quiescentes, c'est-à-dire non-AGN, à faible décalage vers le rouge (bien qu'il existe certainement un certain biais de sélection). Seuls cinq TDE ont été actuellement observés à un redshift supérieur à 1.
À z=2,554, J2245+3743 deviendrait donc à la fois l'événement TDE le plus énergétique observé et celui présentant le décalage vers le rouge le plus élevé (détecté au jour de la rédaction de l'article de Graham et al.). A l'issue du processus de review de Nature Astronomy, les auteurs ont ajouté une phrase précisant qu'entre temps (entre le 6 mars et le 3 octobre), un candidat TDE avait été détecté à un redshift z=5,02 grâce au télescope Webb (Karmen et al. ApJ 990 2025).

Cela suggère qu'il existe certainement une population de TDE moins énergétiques associées aux AGN à
z>1 ce qui pourrait permettre d'étudier les caractéristiques et l'évolution des environnements de trous noirs supermassifs à haut décalage vers le rouge.

Pour atteindre l'énergie totale libérée observée, la masse de l'étoile déchirée est estimée à plus de 30 M⊙. Ces étoiles proviennent vraisemblablement d'une population d'étoiles massives du disque d'accrétion du noyau galactique actif.
D'autres exemples d'événements de rupture par effet de marée (TDE) lumineux dans les AGN permettront d'étudier la fonction de masse stellaire, majoritairement composée d'étoiles massives, proposée pour les étoiles des disques d'AGN. Une imagerie à haute résolution angulaire contribuera également à confirmer cette explication dans de futurs cas.

Source

An extremely luminous flare recorded from a supermassive black hole
Matthew J. Graham, et al.
Nature Astronomy (4 november 2025)

Illustrations

1. Vue d'artiste de l'éruption géante de  J2245+3743 (AP)
2. Matthew Graham