Le rover martien Perseverance vient d’enregistrer plusieurs sons et signaux électromagnétiques qui correspondent très probablement à des décharges électriques associées à des tempêtes de poussière. C'est la première fois qu'un preuve in situ est apportée sur un phénomène longtemps prédit théoriquement. L’étude est parue dans Nature.
On sait que des éclairs se produisent sur d'autres planètes : on en a détecté sur Jupiter en 1979 avec la sonde Voyager I, puis sur Saturne, et peut-être aussi sur Uranus et Neptune. Mais la question des éclairs reste sans réponse pour les planètes les plus proches de la Terre, Mars et Vénus.
L'existence de décharges électriques sur Mars fait l'objet de débats depuis que les atterrisseurs Viking de la NASA ont analysé pour la première fois la fine atmosphère de dioxyde de carbone de la planète dans les années 1970. Les chercheurs ont émis l'hypothèse que la "foudre" martienne ne pouvait se produire qu'à proximité de la surface de la planète, où la pression atmosphérique est juste suffisante pour permettre la formation de petites décharges électriques, mais qu'il faudrait un mécanisme pour la déclencher.
L'apparition d'une électrification atmosphérique dans les tempêtes de poussière et de sable, ainsi que dans les tourbillons de poussière (également appelés "dust devils"), est un phénomène bien connu sur Terre. Il est causé par le transfert de charge lors de collisions entre des particules emportées par le vent. Cette charge triboélectrique entraîne la formation de champs électriques intenses pouvant atteindre 10 à 160 kV/m, qui restent généralement en dessous du seuil de claquage atmosphérique terrestre nécessaire pour déclencher des décharges à la pression de surface (environ 3 MV/m). Mais ces charges peuvent provoquer des éclairs spectaculaires dans les panaches de cendres volcaniques par exemple. L’électricité atmosphérique sur Terre a aussi des implications notables pour la dynamique des poussières, en chargeant les particules dans l’atmosphère, ce qui peut influencer la façon dont ces particules de poussière s’agglomèrent, se transportent et se déposent. De plus, elle joue un rôle crucial dans la chimie atmosphérique en favorisant l’ionisation et la production d’espèces réactives, avec une pertinence potentielle pour les processus chimiques prébiotiques sur la Terre primitive et sur Mars.
Sur Mars, la poussière est abondante et omniprésente dans l’atmosphère : elle est soulevée localement depuis la surface par le stress du vent ou le passage de "dust devils". Il peut parfois se produire sur Mars des tempêtes de poussière d'ampleur régionale, voire globale. Par analogie avec les processus éoliens terrestres menant à l’électrification des poussières, on estime que les phénomènes poussiéreux de Mars sont probablement également électrifiés. De plus, en raison de la faible pression atmosphérique de Mars, le seuil de claquage conventionnel près de la surface est estimé à environ 15 kV/m, ce qui suggère que des potentiels électriques aussi élevés que ceux observés sur Terre pourraient provoquer des décharges électriques sur Mars.
Cependant, contrairement aux éclairs de plusieurs kilomètres de long sur Terre, la fine atmosphère martienne produirait probablement des décharges faibles, de quelques millimètres de long, semblables à des étincelles, un peu similaires à celles qui provoquent un choc électrostatique lorsqu'on touche un objet conducteur.
Outre la lumière visible, les éclairs sur Terre produisent un large éventail de rayonnements électromagnétiques, allant des rayons gamma aux micro-ondes et aux ondes radio. On pourrait s'attendre à ce que de tels rayonnements électromagnétiques soient également produits par les éclairs sur Mars, bien que dans une moindre mesure que sur Terre en raison de la relative faiblesse des décharges électriques. En 2006, des signaux micro-ondes considérés comme indicatifs d'éclairs martiens avaient été détectés par un radiotélescope terrestre. Mais une étude de près de cinq ans achevée en 2010 à l'aide du radar de Mars Express en orbite martienne (ESA), n'a détecté aucun signal radio caractéristique de la foudre.
L'arrivée des rovers sur Mars a ouvert de nouvelles possibilités pour rechercher des traces de foudre directement sur la planète. Depuis son atterrissage dans le cratère Jezero, le rover a permis de caractériser la turbulence, les tourbillons et l’activité éolienne grâce à des enregistrements acquis périodiquement. Baptiste Chide (université de Toulouse) et ses collaborateurs ont réussi à détecter des décharges triboélectriques dans l’atmosphère proche de la surface de Mars, en utilisant leurs signatures acoustiques et électromagnétiques observées dans les enregistrements du microphone de SuperCam, bien que Perseverance n'ait pas été spécialement conçu pour mener une telle recherche.
L'analyse des chercheurs montre que certaines des données enregistrées présentent effectivement des caractéristiques sonores distinctives. La combinaison du son et du rayonnement électromagnétique observée dans les données est potentiellement caractéristique de ce que l'on pourrait attendre d'une décharge électrique dans l'atmosphère de Mars.
Sur les 55 rafales sonores distinctes identifiées par les auteurs, 7 coïncidaient avec des interférences électromagnétiques. Celles-ci se sont produites principalement par temps venteux et lors de tempêtes de poussière ou lorsque des tourbillons de courte durée, appelés « dust devils » , passaient directement au-dessus de Perseverance. La coïncidence entre les sons enregistrés et les interférences électromagnétiques pour 7 événements, ainsi que la similitude entre les 48 autres rafales et les signaux enregistrés lors de ces événements, ont conduit les chercheurs à conclure que les rafales étaient causées par des décharges électriques dans l'atmosphère.
Chide et ses collaborateurs ont utilisé la différence de temps entre les signaux audio et les interférences associées pour calculer l'emplacement de la foudre. La source se trouvait généralement à quelques centimètres seulement du micro du rover. Les chercheurs ont également calculé l'énergie électrique de six de ces événements, estimant qu'elle se situait entre 0,1 et 150 nanojoules, avec une longueur de décharge estimée à 1 cm maximum. Les auteurs notent que les décharges électriques de plus faible énergie ou plus éloignées auraient pu passer inaperçues, car le micro n'est sensible qu'aux sons provenant d'une distance maximale de quelques mètres du rover. Un enregistrement différait cependant des autres, puisqu’il suggére qu'une décharge plus énergique (40 millijoules) s'est produite à une distance d'environ 40 cm de la surface, mais les auteurs ne peuvent pas exclure la possibilité que cette décharge provienne du rover lui-même.
Les enregistrements fournissent des preuves convaincantes de décharges induites par la poussière qui correspondent à notre compréhension sur la façon dont de tels événements se produiraient sur Mars. Cependant, les décharges ont seulement été entendues et non vues, et aucune preuve visible d'une telle activité n'a jamais été enregistrée, malgré la présence de plusieurs caméras sur Mars au fil des ans. Cela est compréhensible, car la lumière produite par des décharges aussi faibles serait éphémère et faible, et serait probablement masquée par les nuages de poussière environnants.
Les résultats sont suffisamment convaincants pour ouvrir de nouvelles pistes de recherche. À l'avenir, de nouveaux instruments de mesure des décharges atmosphériques, équipés de caméras plus sensibles que celles utilisées lors des missions précédentes, pourraient être envoyés sur Mars afin de confirmer ces résultats et d'étudier les caractéristiques et les conséquences de ces événements. On sait par exemple que des réactions chimiques complexes se produisent dans l'atmosphère martienne, telles que celles impliquées dans le cycle du chlore entre le sol et l'atmosphère. Il se pourrait que les décharges électriques atmosphériques soient à l'origine de ces réactions chimiques, des études futures le diront.
L'existence de tels champs électriques a une influence déterminante sur la dynamique des particules de poussière : l'ajout d'une force électrique à l'équilibre des forces réduit la vitesse de frottement seuil nécessaire pour soulever les particules par le vent. Par conséquent, cette boucle de rétroaction positive contribuera de manière substantielle à améliorer le soulèvement de la poussière dans l'atmosphère, mais affectera également directement l'efficacité de l'agglomération entre les particules de poussière. Dans l'ensemble, elle devrait jouer un rôle important dans le cycle global de la poussière et donc dans le climat de Mars.
En outre, cette découverte soutient l'hypothèse d'un environnement électrochimique permanent à l'échelle planétaire, alimenté par des décharges et des champs électriques élevés. Cela favorise la production d'oxydants tels que le peroxyde d'hydrogène, qui peuvent piéger les composés organiques de surface. L'activité électrique est également susceptible de maintenir le cycle actuel du chlore sur Mars, qui serait associé à la libération de chlore dans l'atmosphère. De plus, les décharges peuvent entraîner une chimie redox multiphase, conduisant à la génération de perchlorates dont les quantités calculées par les chercheurs sont justement comparables à celles observées sur Mars.
Les décharges électrostatiques pourraient constituer un danger notable pour les rovers, le véhicule d'ascension pour le retour d'échantillons martiens sans parler d'éventuels futurs astronautes qui ne verront jamais le jour.
Chide et ses collaborateurs citent le cas de la mission soviétique Mars 3, qui a fonctionné pendant environ 20 secondes à la surface de Mars avant de cesser soudainement de transmettre. La sonde s'était posée pendant une tempête de poussière. Selon eux, une décharge électrique pourrait être un scénario plausible pour expliquer cet échec.
Cette étude ouvre un champ de recherche sur l'atmosphère de Mars, dont l'activité électrique était largement confinée à des hypothèses en l'absence de preuves in situ. Elle ravive la nécessité d'un instrument dédié pour quantifier l'activité électrique in situ et motive le développement de nouveaux modèles atmosphériques pour rendre compte des phénomènes électriques et de leurs conséquences dans l'atmosphère martienne et la chimie de surface. Au-delà de Mars, ces travaux renforcent également la perspective de l'existence de décharges triboélectriques associées aux poussières transportées par le vent sur Vénus et Titan.
Source
Detection of triboelectric discharges during dust events on Mars.
Baptiste Chide et al.
Nature 647, 865–869 (26 November 2025).
https://doi.org/10.1038/s41586-025-09736-y
Illustrations
1. Illustration de la détection de décharges électriques par Perseverance (Nicolas Sarter)
2. Baptiste Chide devant la maquette de Perseverance


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