Les planétologues américains ne
manquent pas d’idées. On le sait, Titan, le plus grand satellite de Saturne,
est très intéressant par ces nombreuses spécificités, dont l’une des plus
intéressantes est sans doute sa couche d’eau liquide présente en subsurface. On
dit souvent que Titan est l’une des trois cibles les plus intéressantes à
explorer dans le système solaire.
Il a été exploré sous différentes formes, depuis
Pioneer 11 en 1979, puis Voyager 1 en 1980, qui a fait le détour exprès vers
Titan sacrifiant ainsi ses possibilités de rencontrer ensuite Uranus et Neptune…
et surtout par la sonde Cassini-Huygens, à la fois en orbite (orbiteur Cassini)
et sur son sol glacé (module au sol Huygens). Mais Titan possède également une
épaisse atmosphère qui rend l’observation depuis l’orbite un peu complexe…
Comme cette zone intermédiaire
entre le très grand vu en orbite et le très petit vu du sol reste aujourd’hui
inexplorée, une équipe américaine pluridisciplinaire propose d’aller y aller
jeter un œil, ou plus exactement un tas d’instruments. Et ils n’ont pas trouvé
mieux que d’utiliser pour cela un objet volant dans l’atmosphère… Un avion sans pilote, qu’on appelle
couramment un drone.
Il faut savoir que cette
atmosphère est si dense que la portance y est grandement facilitée. Un physicien
du nom de R. Zubrin avait même calculé dès 1990 qu’un homme muni d’ailes tel le
mythologique Icare, pourrait aisément y voler avec sa propre puissance
musculaire…
Avec environ une densité 4 fois
supérieure et une gravité 7 fois plus faible que sur Terre, les vols sont ainsi
28 fois plus « faciles » : un avion donné peut porter 28 fois
plus de masse sur Titan que sur Terre… Si on comparait avec l’atmosphère de
Mars, ça serait 1000 fois plus facile sur Titan que sur Mars…
Vue d'artiste du projet AVIATR |
Le concept est fondé sur une sonde de transport qui serait envoyée en
orbite autour de Titan en sept années puis qui larguerait ce petit oiseau dans
l’atmosphère Titanesque. Le but d’AVIATR est ensuite de parcourir le satellite
de long en large, à différentes altitudes, et ce durant de longs mois sans
s’arrêter ni se poser bien évidemment, le tout en envoyant ses données
directement vers la Terre sans passer par un orbiteur relais…
Autant la propulsion d’une sonde dans le vide du système solaire est
relativement aisée, autant c’est une autre paire de manche lorsqu’il s’agit
d’un déplacement dans une atmosphère, où il y a des vents, un freinage, etc…
Bref, il faut un vrai moteur pour avancer. C’est aussi pour cette raison des vents
forts qu’une solution de type ballon a été rejetée après étude.
Mais quel type de moteur utiliser pour pouvoir voler durant plusieurs
mois sans s’arrêter une seule fois ? Un moteur électrique assurément. Mais
comment produire cette électricité ? Des panneaux solaires ?
Impossible du fait de la couverture nuageuse et des alternances d’ensoleillement. Il fallait donc s’inspirer de ce qui a été
fait pour les sondes lointaines ne pouvant pas compter sur la puissance solaire…
Des générateurs nucléaires à radioisotopes… Les RTGs selon l’acronyme anglosaxon pour Radioisotope Thermoelectric
Generators sont des systèmes thermoélectriques qui utilisent la chaleur pour la
transformer en courant électrique par un thermocouple.
Cette chaleur est produite naturellement par un bloc d’oxyde de plutonium-238.
Cet élément radioactif émet presque exclusivement du rayonnement alpha
énergétique qui a la propriété de chauffer le métal dans lequel il est créé. Le
bloc d’oxyde de plutonium est donc une source de chaleur continue qui est entièrement
indépendante de son environnement, et qui décline simplement par la
décroissance de la radioactivité de l’isotope en question : elle est
divisée par deux tous les 88 ans, ce qui donne une diminution de la puissance
thermique de 0.79% par an…Cette source de chaleur est analogue à la chaleur interne de la Terre qui
est issue du même phénomène de radioactivité alpha d’isotopes (d’uranium et de
thorium). Sauf qu’ici, le plutonium est un radio-isotope artificiel, fabriqué
par l’homme, et essentiellement dans des réacteurs nucléaires.
Ces RTG au plutonium-238 ont
équipé de nombreux vaisseaux depuis 1961
pour les alimenter en électricité, comme les sondes Pioneer 10 et 11, Voyager 1 et 2, Galileo, Ulysses, Cassini et jusqu’à
New Horizons qui ne pouvaient recourir aux panneaux solaires pour leurs
missions lointaines. Des RTG furent aussi utilisés sur Mars avec les deux
modules d’atterrissages Viking, ainsi que pour les expériences scientifiques menées
sur la Lune par les missions Apollo 12 à 17.
Non seulement leur fabrication est très couteuse, mais les stocks actuels
de Pu-238 sont de plus en plus faibles et l’efficacité énergétique des RTG est
pour ainsi dire déplorable avec environ seulement 8% (c’est la quantité d’énergie
thermique transformée finalement en électricité)…
Titan et Saturne vus par Cassini |
C’est donc vers un nouveau type de générateur nucléaire, toujours à base
de Pu-238 mais beaucoup plus efficace, que ce sont tourné les physiciens du
projet AVIATR. Ils proposent de recourir à l’un des plus vieux moteurs
imaginés, puisqu’il s’agit d’un moteur de Stirling, dont le concept date du
début du 19ème siècle, auquel ils fournissent une source chaude de type
nucléaire, parvenant ainsi à multiplier par 4 le rendement énergétique, donc à
réduire d’autant la masse de plutonium à emporter, ou bien, à augmenter la
puissance par 4 à masse égale… Ce
générateur nouveau porte le doux nom de ASRG (Advanced Stirling Radioisotope Generator).
Mais revenons à notre drone
et à ces instruments embarqués maintenant bien alimentés. Les buts
scientifiques de la mission sont très nombreux : géologie de surface et science
atmosphérique sous de nombreux aspects passionnants. On peut citer entre
autres :
- Comprendre les interactions mer/terre à partir de la diversité des berges et interfaces
- Caractériser les interactions atmosphère/lacs à partir de la dynamique des vagues.
- Étudier l’histoire de la formation des lacs à partir des couches géologiques en bordure
- Étudier les flux de liquide et sédimentaires des lacs
- Caractériser les zones d’érosion
- Déterminer où sont localisées les liquides de surface et pourquoi
- Étudier les transports de sédiments
- Étudier l’activité des champs de dunes sur la surface de Titan
- Mesurer les vents et étudier le climat
- Étudier les changements climatiques à partir des évolutions des dunes
- Étudier les mouvements de la lithosphère à l’origine des reliefs
- Étudier l’origine cryovolvanique de structures observées précédemment par Cassini
- Observer les cratères pour l’étude de la lithosphère
- Exploration de zones non observées auparavant
- Identifier des sites d’atterrissage (atitanissage) d’après leurs caractéristiques géologiques, météorologiques, chimiques, …
- Rechercher des molécules organiques prébiotiques et mise en évidence d’activité astrobiologique
- Étudier globalement la circulation atmosphérique des vents et du méthane
- Étudier les nuages et la pluie
- Étudier les propriétés des brouillards
Cette proposition innovante de nouvelle mission vers Titan, détaillée sur
73 pages par Jason W.
Barnes et ses collègues (dont quelques français) dans Experimental Astronomy a été chiffrée à 715 millions $, ce qui en
fait un projet éligible au programme « New Frontiers » de la NASA.
Les études seront poursuivies pour améliorer encore le design de cet
oiseau titanesque, premier avion à propulsion nucléaire de l’histoire, en
attendant une réponse budgétaire d’ici quelques années…
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