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04/04/13

Des Neutrinos Pour Etudier la Terre

KamLAND est un énorme détecteur de neutrinos situé au Japon. Son but principal est de détecter les neutrinos en provenance du Soleil, de supernovae ainsi que des neutrinos produits dans des réacteurs nucléaires pour étudier leurs oscillations.
Mais KamLAND, comme d'autres détecteurs de neutrinos, peut également détecter d'autres neutrinos, venant non du ciel, mais de l'autre côté, des profondeurs de la Terre.
La radioactivité, qu'elle soit produite par l'Homme dans les centrales nucléaires ou naturelle par l'existence de chaines de radioéléments issus de l'uranium et du thorium, naturellement instables, est une source importante de neutrinos. Un isotope radioactif qui se désintègre par émission béta moins emet en effet un électron accompagné d'un antineutrino électronique, et un isotope émetteur béta plus produit un positron accompagné d'un neutrino electronique.
 
Le détecteur de KamLAND est noyé dans le flux de (anti)neutrinos en provenance des centrales nucléaires japonaises situées à proximité. Or, suite à l'événement dramatique de mars 2011, tous les réacteurs japonais ont été mis à l'arrêt. Les physiciens japonais ont alors pu voir un très beau signal de neutrinos venant d'ailleurs, de la croûte terrestre. 
Ces neutrinos sont appelés des géoneutrinos. Ils avaient déjà été mesurés en 2005 par KamLAND mais beaucoup plus difficilement qu'aujourd'hui. Les géoneutrinos sont aussi traqués en Europe par l'expérience BOREXINO qui est installée dans le laboratoire souterrain du Gran Sasso en Italie.
 
Distribution des géoneutrinos détectables par KamLAND (hémisphère gauche) (KamLAND collaboration)
Que peuvent nous révéler ces neutrinos des profondeurs ? Ils sont en fait la seule possibilité que nous ayions pour mesurer la fraction de la chaleur interne de notre planète provenant de la radioactivité de l'uranium et du thorium. Nous savons que la puissance thermique produite dans le manteau et la croute terrestre avoisine les 47 TW. Mais cette chaleur possède deux composantes : la première est une chaleur résiduelle, rémanante depuis la formation de la planète il y a 4,5 milliards d'années, et la seconde est une chaleur produite par l'énergie dégagée lors de la décroissance des éléments instables des chaînes radioactives de l'uranium et du thorium. Ces deux sources tendent bien sûr à s'épuiser, la première étant soumise au refroidissement thermodynamique, la seconde par disparition des atomes radioactifs lors de leur décroissance et leur transformation en isotopes stables.
Quelle est la proportion de ces deux composantes ? C'est là que les géoneutrinos entrent en jeu, car ils permettent de fournir une quantification presque directe de la quantité de radioactivité présente dans le manteau terrestre. Jusqu'à présent, les géologues estimaient que la Terre contenait la même proportion d'éléments radioactifs que les météorites primitives, mais n'en n'étaient pas très sûrs.
KamLAND, grâce à son détecteur liquide de 1000 tonnes a patiemment collecté 116 géoneutrinos entre 2002 et 2012. De leur côté, leurs collègues européens, muni d'un détecteur de seulement 300 tonnes, en ont enregistré 14 durant 5 ans.

Grâce à ces flux mesurés, les physiciens et géologues parviennent à déduire, en faisant l'hypothèse que uranium et thorium sont uniformément répartis dans le manteau terrestre, que la proportion de la puissance thermique issue de la désintégration radioactive de ces éléments se situe entre 11 et 18 TW sur les 47 TW.
Mais plusieurs modèles coexistent : l'uranium et le thorium peuvent être dispersés uniformément dans la profondeur du manteau, ou bien préférentiellement à la limite noyau-manteau. La distinction du bon modèle doit permettre de beaucoup mieux comprendre les flux de chaleur, et notamment combien de temps ils continueront à s'écouler en produisant tous les phénomènes géologiques que nous connaissons à commencer par les plus dévastateurs.
Cela permettrait également de déterminer le plus précisément possible en combien de temps notre chère Terre va se refroidir définitivement.
 
Vue de l'intérieur du détecteur KamLAND (Berkeley Laboratory)
Le problème des physiciens est que la totalité des laboratoires souterrains actuels où sont chassés les neutrinos se trouvent sur des plateaux continentaux, que ce soit au Japon, en Chine, en Italie ou au Canada. Or, les géoneutrinos intéressants sont ceux du manteau, dont l'origine se situe à plusieurs milliers de kilomètres de profondeur, et la croûte, sur laquelle nous vivons, contient elle aussi sa  quantité non négligeable d'uranium et de thorium, sources de géoneutrinos qui s'avèrent gênants pour de belles mesures concernant le manteau.
Les spécialistes élaborent ainsi aujourd'hui de nouveaux concepts de détecteurs de géoneutrinos, non plus enfouis dans des laboratoires souterrains sur des plateaux continentaux, mais des détecteurs qui seraient situés au fond des océans, là où la croûte terrestre est bien plus fine que sur les continents. L'un de ces concepts propose un détecteur de 10000 tonnes qui serait déposé sur le fond marin à partir d'une gigantesque barge. Il est aujourd'hui en attente de financement, mais ces initiateurs américains ont de l'espoir.

Les neutrinos apparaissent aujourd'hui comme des outils incontournables pour de nombreuses branches qui vont au-delà de la physique des particules ou des astroparticules. Nul doute que la science des géoneutrinos (ou la géoscience des neutrinos) n'en est qu'à ses débuts.


Source :
Detectors zero in on Earth’s heat
Geoneutrinos paint picture of deep-mantle processes.
A. Witze
Nature 496, 17 (04 April 2013)

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