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mercredi 1 octobre 2014

Titan : Un Vortex Polaire Inattendu

C'est au printemps 2012 qu'apparut un nuage étrange dans l'atmosphère de Titan, le plus gros satellite de Saturne (avec plus de 5000 km de diamètre, et le seul satellite connu possédant une atmosphère dense). Ce nuage tourbillonnaire se trouve toujours aujourd'hui au niveau du pôle Sud de Titan. Et ce n'est qu'aujourd'hui, plus de deux ans après son apparition, que nous savons de quoi il est composé, et c'est une surprise.


Dans un article paru cette semaine dans la revue Nature, l'astrophysicien néerlandais Remco De Kok et ses collègues anglais et français fournissent les résultats des analyses spectrales qu'ils ont pu effectuer sur ce nuage tourbillonnant de Titan.
Le nuage de HCN au pôle sud de Titan
(Space Science Institute/JPL-Caltech/NASA)
La réponse est sans appel, et inattendue : il s'agit de cyanure d'hydrogène, la molécule HCN, composée d'un atome d'hydrogène, d'un atome de carbone et d'un atome d'azote, sous forme de fines particules glacées.
La surprise vient du fait qu'on ne s'attendait pas du tout à trouver un tel nuage de HCN à cet endroit là, à 300 km de la surface de Titan. C'est bien trop haut... Le HCN doit se condenser normalement dans l'atmosphère de Titan, à une altitude de 80 km environ.

Ce nuage est apparu durant l'hiver polaire Titanesque dans une région où la sonde Cassini avait mesuré trois mois plus tôt une température de -100°C, soit 45° trop chaud pour que le HCN se condense...
Il existe donc peut être une anomalie de température dans la haute atmosphère de Titan. 
La sonde Cassini devrait refaire des mesures de température dès l'année prochaine. On en saura alors plus sur ce qui se passe vraiment dans cette atmosphère, qui ressemble par de nombreux aspects à notre atmosphère terrestre. En fait l'atmosphère de Titan ressemble surtout aux modèles de l'atmosphère terrestre très ancienne, à l'époque où il n'y avait pas encore d'oxygène en grandes quantités, et où le méthane était la principale composante carbonée. 

L'atmosphère de Titan est dominée par l'azote (N2) et le méthane (CH4). Ces deux molécules se retrouvent cassées par photolyse par le rayonnement ultra-violet du soleil dans la haute atmosphère de Titan, vers 1000 km. C'est par les radicaux libres ainsi formés que vont notamment se construire les molécules de HCN.

Ces molécules gazeuses peuvent ensuite migrer soit vers le sol du satellite ou bien être emportées par les vents qui peuvent être violents, jusqu'aux pôles fournissant des régions plus froides où peut avoir lieu une condensation en nuages.

L'atmosphère de Titan vue par Cassini dans le visible (NASA)
Cassini, grâce à son instrument VIMS (Visual and Infrared Mapping Spectrometer), a identifié deux familles de nuages dans l'atmosphère polaire de Titan : une couche située à 55 km, constituée d'hyrocarbure (C2H6) et l'autre, à 300 km, celle identifiée aujourd'hui par De Kok et ses collègues faite de HCN. La température au niveau des pôles de Titan semble régulée par de multiples paramètres entrelacés : la chimie atmosphérique, le rayonnement et la dynamique, qui contrôlent l'absorption et l'émission de rayonnement, ainsi que la compression, l'expansion et les mélanges entre gaz. De Kok et avancent une explication à la présence de ce nuage de HCN à cette altitude : ils pourraient être le résultat d'un phénomène de cellules de convection, au cours duquel le gaz froid et dense descend et se réchauffe lentement tandis que le gaz situé autour monte en se refroidissant, et créé des nuages par condensation... Il existe aussi de fortes variations de température en fonction de la latitude qui peuvent renforcer ces phénomènes en produisant des vortex au niveau des pôles, qui vont avoir pour effet d'isoler les nuages en leur donnant un aspect tourbillonnaire, comme ce qui a été observé.
La présence de tels nuages de molécules qui sont des produits de photolyse de l'azote et du méthane est intéressante à plus d'un titre, car il existe d'autres molécules très intéressantes issues de cette même photolyse, que l'on soupçonne Titan de contenir : des acides aminés et des bases de nucléotides...

L'atmosphère de Titan apparaît être un laboratoire de chimie organique à ciel ouvert d'une grande richesse, certes un peu loin, mais qui vaut certainement le coup d'être exploré plus en profondeur pour y découvrir peut-être les briques primordiales qui ont fait de nous ce que nous sommes.


Source : 

HCN ice in Titan’s high-altitude southern polar cloud
R. de Kok et al.
Nature 514, 65–67 (02 October 2014)

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