Après plusieurs décennies d'études, les chercheurs se demandent encore de quoi sont fait les rayons cosmiques ultra-énergétiques, en provenance des confins de la Galaxie. On sait qu'il s'agit de particules chargées très énergétiques, avec deux modèles physiques en concurrence : une dominante de protons ou bien une majorité de noyaux de fer. Mais de nouveaux résultats du laboratoire Pierre Auger viennent secouer les modèles établis.
Vue artistique de gerbes de rayons cosmiques ultra-énergétiques (ASPERA/Novapix/L. Bret) |
Les rayons cosmiques ultra-énergétiques (UHECR) ne sont pas trop problématiques ici au niveau de la mer, mais ils deviennent une véritable embûche, quel que soit le type de particule, dès lors que l'on souhaite voyager plus de quelques mois dans l'espace loin du champ magnétique protecteur de la Terre (voir à ce sujet le concours lancé par la NASA au sujet des voyages vers Mars). Et connaître leur composition exacte est surtout fondamental pour savoir quelle est leur origine.
Savoir de quoi ils sont fait nous dit d'où ils viennent : trous noirs, supernovas, ou collisions de galaxies... Le point commun des ces potentielles origines est la violence du phénomène en jeu, nécessaire pour produire des accélérations considérables menant ces particules à des vitesses proches de la vitesse de la lumière.
La collaboration Pierre Auger a installé un vaste observatoire dédié à la détection des traces de ces rayons cosmiques ultra énergétiques. Le bien nommé Laboratoire Pierre Auger, du nom d'un pionnier français de la physique des particules, est situé en Argentine et constitué de multiples détecteurs Cherenkov (1600 cuves instrumentées remplies d'eau) répartis sur des dizaines de kilomètres carrés. Ces détecteurs permettent de détecter depuis 8 ans différents types de particules secondaires formant de très grandes gerbes de millions de particules produites par l'interaction d'un seul rayon cosmique au sommet de l'atmosphère.
Ce que les physiciens d'Auger montrent de très nouveau dans leur étude parue en preprint il y a quelques semaines, c'est que, outre protons ou noyaux de fer, d'autres noyaux de masse moyenne, comme l'hélium ou l'azote semblent former une part significative dans le mix de ces rayons cosmiques.
Un des 1600 détecteurs du Laboratoire Pierre Auger (Auger Collaboration) |
Le principe qui a permis aux physiciens de la collaboration internationale Auger de déterminer la nature des particules primaires à l'origine des gerbes observées est fondé sur la mesure de la profondeur de pénétration de la gerbe de particules secondaires à son développement maximum. Plus le rayon cosmique primaire produit une gerbe qui s'enfonce profondément dans l'atmosphère et se rapproche du sol, plus il devrait être léger.
Les rayons cosmiques interagissent avec les atomes constituants l'atmosphère, de très nombreuses particules sont alors créées, ce qu'on appelle une gerbe, ou cascade : on y trouve tout d'abord des mésons pi neutres qui vont très vite se désintégrer en photons gamma énergétiques, qui à leur tour produiront des électrons et des positrons, qui formeront de nouveaux rayons gamma (on appelle cette contribution la gerbe électromagnétique), la particule primaire dans ses interactions sur les noyaux d'azote ou d'oxygène de l'atmosphère produira aussi des mésons pi chargés (+ ou -), qui se désintégrerons rapidement en muons et antineutrinos. Ces muons pourront au choix atteindre le sol (pour la majorité d'entre eux) ou bien se désintégrer avant d'y parvenir, en produisant électrons et antineutrinos électroniques, l'électron pouvant à nouveau entrer dans une cascade électron/gamma. L'autre composante dans la gerbe est ce qu'on appelle la composante hadronique : le rayon cosmique incident, par son énergie colossale (qui peut atteindre l'énergie de masse de 1 milliard de protons), va littéralement casser des noyaux d'atome, en produisant des fragments de noyaux et surtout des protons et des neutrons, qui pourront eux aussi atteindre le sol, ou finir capturés , tout en produisant des photons gamma.
Principe de la détection du Laboratoire Auger (Gilles Maurin) |
Par exemple, un proton ultra-énergétique s'enfoncera plus près du sol avant de produire sa gerbe que ne pourra le faire un noyau de fer, qui interagira plus vite au cours de sa descente.
Les physiciens d'Auger ont donc minutieusement mesuré les altitudes (après reconstruction des traces (invisibles!) de particules des gerbes à leur maximum, et ensuite comparés ces résultats avec des modèles informatiques en faisant varier la composition des particules primaires, celles qui arrivent en premier tout en haut de l'atmosphère.
La nouveauté que cette nouvelle étude apporte se trouve dans la façon d'analyser les données : auparavant, on ne considérait qu'une valeur moyenne et un écart-type pour la profondeur, dans une série de gerbes ayant une énergie donnée. Là, toutes les gerbes pour une énergie donnée ont été analysées une par une. C'est grâce à cette méthode que les chercheurs ont pu mettre en évidence la présence très probable de noyaux atomiques intermédiaires dans la composition des rayons cosmiques ultra-énergétiques, noyaux d'hélium et/ou d'azote... à moins que les modèles de production des gerbes ne soient complètement à revoir...
Les détecteurs du Laboratoire Pierre Auger continuent aujourd'hui leur quête quasi quotidienne à la recherche des rayons cosmiques les plus énergétiques, qui sont aussi les plus rares, mais très riches d'informations sur ce qui peut se passer à des milliers ou des millions d'années-lumière.
Référence :
Depth of Maximum of Air-Shower Profiles at the Pierre Auger Observatory: Composition Implications
Auger Collaboration
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