Pages

12/09/15

Première détection de signes de neutrinos cosmologiques

L'univers très jeune, dans ses 380000 premières années, était très différent de ce que l'on connaît aujourd'hui. La température y était si élevée et la densité d'énergie si grande que les photons ne pouvaient pas se déplacer librement, l'Univers était opaque. Mais pas opaque pour les neutrinos, que l'Univers a produit en grandes quantités dans ses premières secondes... Pour la première fois, une équipe de physiciens vient de mettre le doigt sur ce fond diffus de neutrinos cosmologiques, d'une manière indirecte, mais très robuste.



Dans l'Univers primordial, la lumière était constamment absorbée et réémise par les électrons présents en très grand nombre. Ce n'est qu'au bout de 380 000 ans que l'Univers s'étant refroidi suffisamment par son expansion, les photons ont pu se découpler de la matière et que l'Univers est devenu transparent, les photons ont alors formé ce que l'on voit aujourd'hui comme le rayonnement de fond diffus cosmolgique (le CMB), rayonnement baignant toutes les directions à une température moyenne de 2,735 K. Et à l'inverse des photons, les neutrinos, eux, n'interagissent que très peu avec la matière, et pouvaient traverser facilement cet univers opaque. Ils doivent ainsi former un fond cosmologique eux-aussi, mais reflétant non pas la période de 380000 ans après le Big Bang comme pour le CMB, mais l'époque de seulement quelques secondes après... 
Ce fond cosmologique de neutrinos est appelé le CNB (Cosmic Neutrino Background). Ces neutrinos doivent avoir une énergie très basse et leur détection directe s'avère impossible (du moins au jour où j'écris ces lignes), mais en revanche, ils peuvent laisser des traces au niveau de l'autre fond diffus, celui des photons, qui est étudié de très près depuis de nombreuses années et encore récemment par le satellite Planck
C'est sur les données de Planck que l'équipe américaine menée par Brent Follin de l'université de Californie s'est appuyée, pour démontrer l'existence d'un signal sans équivoque formant la signature des neutrinos cosmologiques. Il s'agit de la première étude parvenant à cette détection, confirmant par là-même une prédiction majeure du modèle standard du Big Bang.

Les neutrinos aussi ont vécu leur transition de phase les rendant soudainement transparents au reste de l'Univers. Ce découplage a eu lieu lorsque la densité de matière est devenue suffisamment faible pour que les neutrinos cessent de subir d'incessantes collisions avec d'autres particules. Cette transition est estimée s'être passée environ 1 seconde après la singularité initiale, avant même que n'existent les noyaux légers. Il n'y avait alors que protons, neutrons et leptons dans ce petit Univers.
Depuis leur libération, les neutrinos voyagent sans contrainte et forment aujourd'hui un rayonnement diffus, le CNB, auquel on peut attribuer une température, qui se retrouve plus faible que celle du CMB. Elle vaut 1,9 K seulement.

La mesure de Brent Follin et ses collaborateurs est fondée sur le fait que, juste après s'être découplés de la matière, les neutrinos cosmologiques représentaient toujours une force gravitationnelle, au moins équivalente à celle de la matière environnante (aujourd'hui, les neutrinos ne représentent plus que 1% de la densité d'énergie de l'Univers).
Avant la formation du CMB, la matière ordinaire était constituée d'un plasma de protons, noyaux d'hélium et électrons. Mais comme les neutrinos se propageaient à une vitesse proche de la vitesse de la lumière, ils se déplaçaient plus vite que la vitesse du son dans ce plasma. Les ondes de chocs associées ont alors produit de minuscules changements, des décalages de phase temporelle, dans les fluctuations de densité alors présentes dans ce plasma primordial. Et plus tard, au moment du découplage des photons et l'apparition du CMB, ce sont toutes les fluctuations de densité qui ont été rendues visibles, sous la forme de très fines variations de températures, que le satellite Planck parvient à mesurer en détails aujourd'hui. 
La mesure des infimes décalages de phase temporelle des fluctuations du CMB par la satellite Planck, permet ainsi aux physiciens de remonter de manière indirecte à la cause de ces décalages : le fond de neutrinos cosmologiques.
Pour se convaincre de la véracité des effets observés dans les données du CMB, les auteurs de l'étude ont effectué des simulations de ce à quoi ressembleraient les fluctuations de densité avec puis sans l'effet des neutrinos cosmologiques. Ils ont également regardé par simulation toujours ce que cela donnerait en augmentant le nombre de familles de neutrinos. Ils trouvent que le modèle impliquant 3 familles de neutrinos est celui qui colle le mieux aux données, ce qui est en accord avec la plupart des expériences du domaine.
Le fait important dans cette étude est sa robustesse. En effet, les effets de décalage de phase sur les fluctuations de densité sont très difficilement explicables par autre chose que les neutrinos cosmologiques. Il en existe certes une autre source potentielle, une forme de particule de matière noire légère, mais qui reste très improbable.

L'effet qui a pu être observé est faible mais très significatif. Il reste maintenant à affiner ces observations, notamment grâce aux données de polarisation du rayonnement du CMB qui devraient apporter toujours plus de robustesse à cette interprétation, en pouvant éliminer définitivement les candidats parasites qui pourraient mimer le décalage de phase observé. 

D'autre part, dans les années qui viennent, certaines expériences de détection directe de matière noire parmi les plus sensibles pourraient également détecter, et cette fois-ci directement, les neutrinos du fond cosmologique, même si elles n'ont pas été construites pour ça... L'histoire du CNB ne fait que commencer.


Source : 

First Detection of the Acoustic Oscillation Phase Shift Expected from the Cosmic Neutrino Background
Brent Follin, Lloyd Knox, Marius Millea, and Zhen Pan
Phys. Rev. Lett. 115, 091301 (26 August 2015)

2 commentaires:

  1. Merci, Eric, pour votre blog toujours aussi intéressant ; je me permet une petite rectification : vous écrivez "Cette transition est estimée s'être passée environ 1 seconde après la singularité initiale, avant même que n'existent les protons et les neutrons. Il n'y avait alors que quarks et leptons dans ce petit Univers." La condensation du plasma de quarks-gluons en hadrons date de 10^-6 s environ, à 10^13 K ; protons et neutrons sont donc bien présents lors du découplage des neutrinos vers 1 s et 10^10 K, alors que va débuter la nucléosynthèse. On pourrait dire plutôt : "Cette transition est estimée s'être passée environ 1 seconde après la singularité initiale, avant même que n'existent les noyaux légers. Il n'y avait alors que protons, neutrons et leptons dans cet univers".

    RépondreSupprimer
  2. Merci de cette remarque Pascal, vous avez raison, je me suis un peu emporté... Les baryons étaient déjà là. Mea Culpa, j'au rectifié le texte.

    RépondreSupprimer

Merci !