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jeudi 10 septembre 2015

Une nurserie d'étoiles observée dans une galaxie très pauvre en métaux

La composition du milieu interstellaire en éléments plus lourds que l’hélium (que les astronomes appellent des ‘métaux’) a un impact important sur la formation des étoiles par leur rôle de catalyseur, même si leur abondance est extrêmement faible. Une équipe d’astrophysiciens vient de présenter les premières images bien résolues d’une nurserie d’étoiles (une zone de formation d'étoiles) où les 'métaux' sont très déficients. Elle offre un aperçu de ce à quoi pouvaient ressembler les zones de formation stellaire dans l’Univers primordial.



La galaxie Wolf Lundmark Melotte (WLM)
Cette nurserie d’étoiles, zone dense de formation d’étoiles, se trouve dans une galaxie naine proche et a été trouvée grâce à l’observation de raies d’émission de la molécule de monoxyde de carbone (CO). Les étoiles se forment au sein de vastes nuages d’hydrogène moléculaire (H2), denses et froids, dans lesquels des traces de ‘métaux’, le plus souvent du carbone et de l’oxygène, sous forme de CO ou d’autres molécules, agissent comme un élément refroidisseur. Ils aident l’hydrogène à atteindre des très basses températures facilitant ainsi sa condensation qui débouchera sur une étoile. Par ailleurs, les ‘métaux’ forment aussi des petits grains de poussière, qui ont pour effet de protéger les molécules de dihydrogène de la lumière extérieure au nuage de gaz  qui pourrait les échauffer et les dissocier, en absorbant la lumière et en la réémettant dans l'infra-rouge vers l'extérieur. 
Ces ‘métaux’ sont produits par les réactions thermonucléaires qui ont lieu dans le cœur des étoiles et se retrouvent ensuite dans le milieu interstellaire après leur mort. Le milieu interstellaire s’enrichit ainsi au cours du temps de nouveaux ‘métaux’ génération après génération d’étoiles, facilitant toujours plus l’apparition de nouvelles étoiles.

Les premières générations d’étoiles se sont donc formées dans un milieu très pauvre en métaux, et pour la toute première d’entre elles sans aucuns métaux. Il est important pour les astronomes de bien comprendre comment la métallicité (la quantité de métaux présente) affecte la formation des étoiles, pour mieux comprendre comment les premières étoiles ont pu se former.
La nurserie stellaire pauvre en métaux que Monica Rubio et ses collaborateurs ont dénichée est très intéressante à ce titre, car bien que située dans notre proche banlieue, elle ressemble beaucoup à une nurserie d’étoiles primordiale tant sa métallicité est faible. C’est le plus souvent à l’intérieur de toutes petites galaxies, des galaxies naines, que l’on trouve ce genre de nuages de gaz. La raison en est que les étoiles qui y explosent parviennent à disséminer leur métaux bien au-delà des frontières de la galaxie, et elles n’ensemencent donc que très peu le milieu interstellaire intragalactique.  Les galaxies naines sont devenues de bons laboratoires pour étudier la formation d’étoiles en milieu pauvre en éléments lourds.

Détails de la nurserie stellaire de la galaxie WLM
(les nuages de monoxyde de carbone sont figurés en jaune)
B. Saxton (NRAO/AUI/NSF);
M. Rubio et al., Universidad de Chile, ALMA (NRAO/ESO/NAOJ);
D. Hunter and A. Schruba, VLA (NRAO/AUI/NSF);
P. Massey/Lowell Observatory and K. Olsen (NOAO/AURA/NSF)
Comme l’observation directe des molécules H2 n’est pas facile, les astronomes préfèrent observer un traceur qui se trouve très souvent mélangé avec l’hydrogène, le monoxyde de carbone, qui est la deuxième molécule la plus abondante de l’Univers derrière le H2. Et comme lui, cette molécule peut être facilement dissociée par une lumière un peu intense et est donc trouvée préférentiellement là où se trouve de la poussière protectrice (les grains de poussière sont des gros assemblages de molécules de carbone, oxygène et silicium).  
Le monoxyde de carbone émet des raies d’émission dans les longueurs d’ondes radio (de l’ordre du millimètre). Plus le taux de métaux est faible, plus l’émission du CO sera faible aussi. 
La galaxie naine explorée par Rubio et al. est nommée WLM (Wolf-Lundmark-Melotte), elle fait partie du groupe Local, l’amas de la Voie Lactée et est située à seulement 3 millions d'années-lumière. La métallicité de WLM est estimée être 10 fois plus faible que celle de la Voie Lactée. Les chercheurs ont montré que l’émission du CO de ses régions de formation d’étoiles était bien plus faible que celle d’autres traceurs de formation d’étoiles, ce qui indique que le CO dans cette galaxie fournit une trace de la partie la plus dense et la plus opaque de la  nurserie d’étoiles.

Grâce à l’exploitation du réseau de radiotélescopes ALMA, l’équipe de Monica Rubio parvient maintenant à imager directement ces régions dans WLM. Ils peuvent ainsi en mesurer précisément la taille (10 années-lumières), et l’énergie cinétique du nuage de gaz grâce à l’effet Doppler mesuré sur les raies d’émission. Ils arrivent à déduire de ces différents paramètres des propriétés physiques pour ces nuages d’hydrogène contenant du CO, comme la densité, la pression et la gravité.
Et ces propriétés ressemblent étonnamment à celles de nuages de gaz de même taille mais de métallicité beaucoup plus importante, comme ce que l’on trouve par exemple dans notre Galaxie dans les environs du Soleil.

Le réseau ALMA (European Southern Observatory)
Les auteurs de cette étude essayent d’apporter une explication à cette similitude dans les propriétés physiques malgré cette grande différence en métaux. Le manque de métaux impacterait en fait la visibilité du CO, qui serait confiné dans le cœur du nuage d'hydrogène, les molécules de CO ayant été détruites dans les couches externes, peu protégées par les autres métaux.  Le meilleur traceur de H2 serait donc enfoui au plus profond du nuage de gaz et le comportement du H2 ne serait peut-être pas si différent de ce qu’il est dans des galaxies plus normales. Le CO en serait simplement un moins bon traceur en situation de faible métallicité...
Les auteurs avancent même une petite spéculation suite à leurs observations : la petite taille des zones comportant du CO pourrait expliquer la faible proportion d'amas d'étoiles de grande masse qu'on observe dans les petites galaxies...

La question fondamentale de connaître la quantité de dihydrogène présente dans les systèmes à faible métallicité reste toujours vive, surtout maintenant que l'on sait que le monoxyde de carbone peut en peupler seulement de très petites zones, où se forment les étoiles.
Pour mieux appréhender la structure des nuages de gaz pauvres en métaux, des observations à haute résolution devront être effectuées sur d'autres gaz traceurs, notamment le carbone ionisé ou le carbone neutre, ainsi que sur la poussière, via son émission infra-rouge et l'absorption de la lumière qu'elle produit. Monica Rubio et ses collaborateurs ont commencé à étudier ces nouveaux traceurs, mais seulement à faible résolution, encore insuffisante pour le moment
L'étude d'autres spécimens de galaxies du même type devrait apporter également beaucoup d'informations.


Source :

Dense cloud cores revealed by CO in the low metallicity dwarf galaxy WLM
M. Rubio et al.
Nature 525, 218–221 (10 September 2015)

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