Il fallait y penser, et aussi le démontrer théoriquement. Il existe une autre façon indirecte de détecter la présence de matière noire : par l'observation fine de la dynamique de systèmes binaires compacts de types pulsars binaires. Cette méthode imparable vient d'être proposée par un jeune chercheur théoricien italien du nom de Paolo Pani.
Cette méthode est fondée sur le même principe physique que ce qui est attendu pour le signal de l'interaction directe des particules de matière noire telle qu'elle est recherchée activement dans nos laboratoires souterrains : l'existence d'un "vent" de ces particules lors du trajet de la Terre autour du Soleil, qui induit une différence d'intensité à 6 mois d'intervalle (on parle de modulation annuelle du signal). De la même façon, lorsqu'un système binaire d'étoiles se trouve dans une zone de la galaxie où la densité de matière noire noire est importante, chaque étoile doit ressentir un vent de particules noires différent selon sa position au cours de son mouvement autour du centre de masse du système. Pour être plus exact, ce gaz de particules de matière noire doit produire une friction dynamique sur les deux étoiles.
Alors que pour la Terre ou un couple d'étoiles relativement ordinaires, qui se trouvent tout de même séparées par une grande distance, cet effet devrait rester imperceptible sur la période orbitale du couple, Paolo Pani montre que dans le cas d'un pulsar binaire, un système composé de deux pulsars (étoiles à neutron émettant des ondes radio périodiques) ou d'un pulsar et d'un trou noir, ce n'est plus le cas.
Les pulsars binaires sont des systèmes où les objets sont très resserrés, et la perte d'énergie gravitationnelle qui les caractérise fait qu'ils se rapprochent inéluctablement l'un de l'autre. Leur période orbitale décroit jusqu'à la fusion des deux corps. Mais le phénomène de friction dynamique produit par le gaz de particules noires, qui a été calculé par Pani, produit une perte d'énergie additionnelle pour le système binaire. La friction subie lors de leur rotation peut devenir si importante qu'elle induit une modification de la période orbitale du système; les deux composantes spiralent plus vite l'une vers l'autre. La décroissance de la période orbitale serait alors plus rapide que ce qui est calculé habituellement sans considérer cet effet de la matière noire.
La bonne nouvelle, c'est que les valeurs de ces variations de la période de ce type de pulsars binaires ont été calculées par Pani et se trouvent être tout à fait accessibles à nos instruments de mesure actuels. Il faut rappeler que les pulsars sont, grâce à leur émission périodique intrinsèque, les objets les plus facilement mesurables en terme de mouvement orbital autour d'un compagnon, via la mesure des infimes variations de leur pulsation propre, avec des précisions très fines.
Vue d'artiste de J1713+0747 (B. Saxton (NRAO/AUI/NSF)) |
En revanche, l'étude de Paolo Pani n'a été effectuée que dans des situations pas trop relativistes, c'est à dire pour des pulsars binaires qui ont une période orbitale assez grande (supérieure à un jour). Mais la grande puissance de cette nouvelle méthode est qu'elle s'affranchit complètement de tout modèle sous-jacent pour la matière noire. On considère seulement ici que les particules interagissent par la gravitation du fait de leur masse via leur densité locale. Il s'agit sans doute de la première méthode de détection indirecte totalement indépendante de modèles d'interactions.
Paolo Pani va ainsi jusqu'à calculer une limite supérieure pour la densité de matière dans un cas bien connu de pulsar binaire, appelé J1713+0747 et qui se trouve à 7 kpc du centre galactique, composé d'un pulsar et d'une naine blanche. Il obtient, en observant les données orbitales du système, une densité maximale à cet endroit là de 105 GeV/cm3. Cette valeur implique que si une WIMP a une masse de 100 GeV, il y en aurait au maximum 1000/cm3 (ou 10 000/cm3 avec une masse de 10 GeV) là où se trouve J1713+0747.
L'autre point extrêmement intéressant dans cette méthode est que de nombreux pulsars binaires existent a priori dans la Galaxie , même si on n'en connait que quelques uns aujourd'hui. La densité de matière noire pourrait ainsi être mesurée en différents endroits de la Galaxie, et tout particulièrement vers son centre, là où la densité de matière noire doit être la plus forte. De telles mesures à différentes distances du centre galactique pourrait permettre de tracer un profil de densité du halo de matière noire, outil incontournable pour mieux comprendre ce mystère gravitationnel.
Paolo Pani conclut son article en précisant que le futur radiotélescope Square Kilometer Array (SKA) en cours de conception et qui sera installé en Australie et en Afrique du Sud, devrait multiplier par 10 le nombre de pulsars connus dans les années qui viennent, et donc trouver aussi un grand nombre de pulsars binaires, et pourrait à lui seul améliorer les limites actuelles sur la densité galactique de matière noire d'un facteur 100. Il pourrait ainsi contraindre la valeur de la densité de matière noire à des niveaux sans précédent, et plus seulement avec une limite supérieure.
Source :
Binary pulsars as dark-matter probes
Paolo Pani
Bonjour et bonne année astrophysique !
RépondreSupprimerPani part semble-t-il de l'hypothèse que la RG est exacte (pour le calcul de la perte d'énergie gravitationnelle) ; mais les pulsars binaires sont justement un puissant instrument de test de la RG en champ fort ; un écart à la décroissance attendue de la période orbitale du système ne serait-il pas ambigu?
Petite coquille : l'abstract de l'article cité fait état pour J1713+0747 d'une densité de MN inférieure à 10^5 Gev/cm^3 (et non 105), ce qui est bien moins drastique : cela représente environ 2.10^-17 kg/m^3 (et non 2.10^-20) pour une densité stellaire de l'ordre de 10^-19.
Merci beaucoup d'avoir vu ça ! Effectivement, c'est bien 10 puissance 5 et non 105, au temps pour moi. Ça change pas mal de choses... Je corrige de suite.
RépondreSupprimerSi la RG en champ fort ne se comporte pas comme attendu, effectivement, il y pourrait y avoir ambiguïté. Mais on peut se dire que cet effet de RG serait encore mieux discernable sur des couples de trous noirs.