Les comètes sont connues pour être des corps composés d'un mélange de glace et de poussière. Donc si elles sont compactes elles devraient avoir une densité plus grande que celle de l'eau, plus grande que 1. Mais des mesures antérieures ont déjà montré que la densité des comètes était bien plus faible que la densité de l'eau. Ces données indiquent que les comètes devraient être très poreuses.
Différentes vues de Churyumov-Gerasimenko par Rosetta (ESA/Rosetta NAVCAM) |
Cette porosité doit-elle être comprise comme l'existence de vastes cavités au cœur des noyaux de comète ou bien une structure homogène mais de faible densité ? Une réponse vient d'être apportée grâce à l'étude de la comète Churyumov-Gerasimenko/67P par la sonde Rosetta. C'est l'équipe menée par Martin Pätzold du Rheinische Institut für Umweltforschung à l'Université de Cologne qui publie ces résultats dans la revue Nature. Ils démontrent que la comète n'est pas creuse, elle ne contient pas de cavités, mais plutôt une structure homogène de très faible densité.
Une étude précédente effectuée avec l'instrument radar CONSERT de Rosetta avait déjà montré que l'un des deux lobes de Chury apparaissait homogène sur une échelle de l'ordre de la dizaine de mètres.
La méthode employée par Pätzold et son équipe vaut le coup d'être détaillée car c'est une belle prouesse. Afin de déterminer la présence ou l'absence de cavités dans le noyau de Chury, les chercheurs ont mesuré les variations du champ gravitationnel produit par la comète et qui agit sur la sonde Rosetta en lui induisant des variations d'accélération et donc de vitesse. Pour cette mesure, les chercheurs ont donc besoin de connaître avec une extrême précision comment bouge la sonde Rosetta autour de la comète.
Les différences de vitesse de la sonde peuvent être mesurées par l'effet Doppler apparaissant sur les ondes radio que la sonde envoie vers la Terre pour communiquer diverses données, cet effet qui décale les longueurs d'ondes en fonction de la vitesse de l'émetteur ou du récepteur.
La station radio de New Norcia en Australie (ESA) |
Les signaux radio de Rosetta (son instrument RSI) sont recueillis par l'antenne de 35 m de la station de New Norcia en Australie. C'est la première fois que cette méthode est utilisée sur une comète. Les variations de champ gravitationnel à mesurer étaient infimes et les chercheurs ont dû prendre en compte l'effet gravitationnel de nombreux corps du système solaire, même lointains, pour pouvoir isoler que la seule contribution de la comète elle-même. Parmi ces contributions parasites, on trouve bien sûr le Soleil et Jupiter, mais aussi toutes les autres planètes jusqu'aux planètes naines ainsi que les plus grands éléments de la ceinture d'astéroïdes.
Au delà de l'influence des corps du système solaire, d'autres effets comme la pression de radiation du vent solaire ou la pression provoquée par la queue de Chury sur Rosetta ont également dus être pris en considération. Cette dernière donnée ne pouvait être mesurée que in situ par la sonde elle-même, via son instrument dédié appelé ROSINA qui mesure les particules de gaz impactant la sonde.
Pätzold et ses collaborateurs ont ainsi pu mesurer la masse totale de la comète Churyumov-Gerasimenko avec une très grande précision, ainsi que sa structure interne. Elle a une masse de 9,98 millions de tonnes, pour un volume de 18,7 km3. La densité moyenne de la comète vaut donc 0,533.
Au départ de la mission, les chercheurs avaient calculé que Rosetta devait s'approcher à moins de 10 km de la surface de Chury pour pouvoir déterminer sa structure interne, ce qui représentait un vrai challenge surtout quand la comète serait active. Mais cette estimation avait été faite en imaginant un noyau cométaire quasi sphérique. La découverte, une fois Rosetta suffisamment rapprochée, que Chury était composée de deux lobes, facilita grandement la vie de cette belle expérience. En effet, de fortes variations de champ gravitationnel étaient déjà visibles dès une distance de 30 km, à cause de cette forme très particulière. Une fois Rosetta à 10 km de la comète, les données récoltées par l'équipe de Martin Pätzold étaient bien plus claires et nettes que ce qu'ils avait prévu depuis des années.
L'explication la plus probable à cette structure homogène mais de très faible densité est que cette porosité est une caractéristique intrinsèque au mélange glace/poussière. Des mesures antérieures sur d'autres comètes avaient montré que la poussière cométaire n'est pas sous forme solide compacte mais plutôt un agrégat "duveteux", qui lui donne une faible densité. Les instruments COSIMA et GIADA embarqués sur Rosetta ont d'ailleurs trouvé des grains de poussière provenant de Chury qui montrent ses mêmes caractéristiques.
Maintenant, les chercheurs allemands qui exploitent l'instrument RSI (Radio Science Experiment) à l'origine de ces mesures, espèrent pouvoir l'utiliser dans les tous derniers moments de Rosetta en Septembre prochain, lorsque celle-ci frôlera la surface de Chury à quelques mètres avant d'y être "déposée", pour explorer son intérieur avec encore plus de précision, durant un très court instant, le chant du Cygne pour Rosetta.
Source :
A homogeneous nucleus for comet 67P/Churyumov–Gerasimenko from its gravity field
M. Pätzold et al.
Nature 530, 63–65 (04 February 2016)
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