La
collaboration Pierre Auger vient de publier la preuve que les rayons cosmiques
les plus énergétiques qu’ils détectent (jusque 8 1018 électronvolts (eV) ! )
proviennent de galaxies lointaines. Plus aucun doute n’est permis maintenant
qu’une nette anisotropie a été observée dans la direction d’arrivée de ces
particules ultra-énergétiques.
Les
rayons cosmiques galactiques sont des noyaux d’atomes, du plus léger aux plus
lourds, qui sont accélérés jusqu’à des énergies très élevées par des processus
astrophysiques. Etant électriquement chargés, ces noyaux d’atomes voient leur
trajectoire défléchie par les champs magnétiques qu’ils rencontrent durant leur
parcours. Jusqu’à aujourd’hui, la quasi-totalité des rayons cosmiques détectés
par de multiples expériences trouvent des distributions très isotropes (toutes
les directions équiprobables), dû au fait que les champs magnétiques
présents à l’intérieur de notre galaxie
ont pour effet de diffuser les rayons cosmiques dans toutes les directions, et
l’effet est d’autant plus prononcé que l’énergie est faible et le numéro
atomique élevé. Il est donc très difficile, pour ne pas dire impossible, de
déterminer une direction pour la source de ces rayons cosmiques. Quelques
indices d’anisotropie avaient été trouvés dans le passé mais ne s’avéraient pas
très robustes. Il faut également se rappeler que la distribution des rayons
cosmiques que nous détectons, en fonction de leur énergie, est très abrupte :
plus leur énergie est élevée, moins on en trouve. Par exemple, au-dessus de 1019
eV, le flux arrivant sur Terre est de l’ordre de 1 particule/km²/an seulement…
d’où l’intérêt de disposer de détecteurs les plus vastes possibles et d’avoir
un peu de temps devant soi.
L’expérience
Pierre Auger, du nom de physicien français pionnier du domaine, est constituée
de 1600 cuves de 10 m² (12 tonnes d’eau), instrumentées et réparties sur 3000 kilomètres
carrés dans la pampa argentine, qui détectent les particules secondaires crées
dans l’atmosphère par des rayons cosmiques ultra-énergétiques qui impactent la
haute atmosphère. C’est l’effet Cherenkov qui est utilisé dans ces multiples
détecteurs. Le réseau est augmenté d’une pluralité de petits télescopes plus
classiques qui détectent la très faible lumière de fluorescence qui est
produite lorsque des particules chargées excitent les molécules d’azote
atmosphérique, ces derniers ne fonctionnent que la nuit. La détection
simultanée par le réseau de détecteurs de particules secondaires (muons,
électrons, positrons…) permet aux chercheurs de reconstruire la gerbe de
particules qui s’est produite et par la suite les caractéristiques du noyau
atomique ultra-énergétique qui en a été à l’origine. Avec une énergie incidente
de 1019 eV (10 EeV), c’est-à-dire environ 1 Joule, la gerbe produite
peut contenir 10 milliards de particules qui vont s’étaler sur une surface de
20 km².
Le
détecteur Pierre Auger peut ainsi « cartographier » le ciel
concernant les rayons cosmiques, en les triant selon leur énergie. Avec sa très
bonne statistique sur les événements d’énergie de l’ordre du TeV (1012
eV) et de PeV (1015 eV), la répartition à grande échelle de
l’intensité du flux de rayons cosmiques déterminée par Auger montre une forme
dipolaire, avec un point minimum et un point maximum, dont la variation de
quelques pourcents est très significative statistiquement. Ce que les
chercheurs de Pierre Auger montrent dans leur étude que publie Science aujourd’hui, c’est qu’à
l’énergie du niveau du TeV, la direction de l’asymétrie observée coïncide avec
la direction locale du champ magnétique de notre Galaxie, comme ce qui est
attendu si on considère que les rayons cosmiques suivent les lignes de champs.
Mais en revanche, aux énergies plus élevées, au niveau du péta-électronvolt et
au-delà, il existe toujours une distribution dipolaire, mais en revanche, sa
direction est différente de celle observée à plus basse énergie. Cette
observation cruciale indique clairement que les rayons cosmiques les plus
énergétiques ont une origine à l’extérieur de notre Galaxie.
Pour
parvenir à ces conclusions, les chercheurs de la vaste collaboration
internationale Pierre Auger (l’article est co-signé par plus de 450 chercheurs
et chercheuses !), collaboration à laquelle participent quatre
laboratoires français du CNRS/IN2P3 (LPNHE, LPSC, IPNO et SUBATECH), ont
exploité environ 30 000 événements d’énergie supérieure à 8 EeV, collectés
patiemment durant plusieurs années.
Les
physiciens des astroparticules concluent que l’anisotropie observée dans la
direction d’origine des rayons cosmiques les plus énergétiques pourrait être corrélée avec la densité de
population des galaxies proches. Si ce lien se confirme, selon les chercheurs, cela impliquerait qu’une fraction
importante des sources de rayons cosmiques d’énergie supérieure à 8 EeV doive
se situer dans un rayon d’environ 100 Mpc (330 millions d’années-lumière).
Source
Observation of a large-scale anisotropy in the arrival directions of
cosmic rays above 8 × 1018 eV
The Pierre Auger
Collaboration
Science Vol. 357, Issue 6357, pp.
1266-1270 (22 Sep 2017)
Illustrations
1) La distribution du flux
de rayons cosmiques d’énergie supérieure à 8 EeV déterminée par Pierre Auger
(Collaboration Pierre Auger), en coordonnées galactiques. Le centre galactique
se trouve au milieu de la carte.
2) Principe de détection de l'Observatoire Pierre Auger (CNRS/CEA)
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