La sonde Juno a déterminé il y a quelques mois le champ gravitationnel de Jupiter avec une bonne précision. Ce dernier a ensuite été exploité pour obtenir des informations sur la composition de la géante et la structure de ses couches internes, avec une surprise : le coeur de Jupiter apparaît de grande taille avec un caractère "dilué". Aujourd'hui, une équipe sino-américaine revient sur ces résultats et montre par simulation que ce coeur singulier pourrait provenir d'un impact géant qu'aurait subi Jupiter dans sa prime jeunesse, il y a plus de 4 milliards d'années... Une étude parue dans Nature.
D'après les mesures de Juno, la masse totale d'éléments "lourds" dans Jupiter (plus lourds que l'hélium) serait de 10 à 30 fois la masse de la Terre, soit entre 5 et 15% de la masse totale de Jupiter, et ces éléments se répartiraient jusqu'à un demi-rayon de la planète gazeuse.
Mais les modèles de formation des planètes gazeuses stipulent que la plupart des éléments lourds sont accrétés dans les premiers instants de la planète pour former un coeur compact, et qu'aucun solide n'est ensuite accrété durant la phase d'accrétion de gaz. Jupiter avec ces caractéristiques questionne les modèles de formation des planètes.
C'est pour y répondre que Shang-Fei Liu (Université de Sun Yat-sen, Zhuhai, Chine) et ses collaborateurs ont étudié divers mécanismes et processus par simulation. Une première explication possible évaluée a été l'érosion d'un coeur d'élements lourds initialement compact, mais Liu et ses collègues montrent que l'efficacité d'une telle érosion est incertaine et qu'en plus elle dépend à la fois de l'immiscibilité de matériaux lourds dans l'hydrogène métallique et des mélanges convectifs u cours de l'évolution de la planète.
Un deuxième mécanisme évalué par les auteurs, permettant d'expliquer la composition interne observée indirectement par Juno est l'enrichissement par des planétésimaux et leur vaporisation durant le processus de formation de Jupiter. Mais les chercheurs montrent que les modèles associés ne permettent pas de produire le coeur étendu et dilué de la géante.
Mais Shang-Fei Liu et ses collaborateurs sont ensuite allés plus loin. Ils ont imaginé une collision entre la Jupiter naissante, alors qu'elle n'avait accrété que la moitié de son gaz, et un embryon planétaire de grande taille, et plutôt ce qu'on appelle un "impact géant", c'est à dire un impact frontal. Les astronomes montrent qu'un tel impact impliquant un planétésimal 10 fois plus massif que la Terre, tout de même, aurait été suffisamment énergétique pour avoir fragmenté fortement le coeur initialement compact de la jeune Jupiter. Qui plus est, la collision aurait eu pour effet de mélanger les éléments lourds dans les couches internes de l'enveloppe. Le modèle qu'ils ont développé fournit un scénario parfait aboutissant à une structure interne qui est cohérente avec un coeur dilué persistant pendant plusieurs milliards d'années.
Shang-Fei Liu et ses collaborateurs estiment par ailleurs que de telles collisions entre protoplanètes géantes et planétesimaux de plus ou moins grande taille devaient être courantes dans le jeune système solaire, et que donc Saturne devrait avoir connu le même sort, ce qui pourrait expliquer certaines différences structurelles entre les deux planètes géantes. De nouvelles mesures in situ seront tout de même nécessaires pour tenter de valider ce modèle cataclysmique prompt à enflammer les imaginations...
Source
The formation of Jupiter’s diluted core by a giant impact
Shang-Fei Liu, Yasunori Hori, Simon Müller, Xiaochen Zheng, Ravit Helled, Doug Lin & Andrea Isella
Nature vol. 572 (14 august 2019)
Illustrations
1) Vue d'artiste de la collision de la jeune Jupiter avec un planétesimal de grande masse (K. Suda & Y. Akimoto, Mabuchi Design Office / Astrobiology Center, Japan)
2) Vue schématique de la structure interne de Jupiter dans ses différentes phases avant impact, juste après impact et aujourd'hui (Nature)
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