En 1958, Eugene Parker avait démontré qu'une couronne solaire à plusieurs millions de degrés devait nécessairement produire une émission de particules qu'on appelle aujourd'hui le vent solaire. Il ne se doutait certainement pas que soixante ans plus tard, une sonde spatiale irait s'approcher au plus près du Soleil pour étudier ce même vent solaire, et bien d'autres phénomènes. Les premiers résultats de la sonde Parker Solar Probe (PSP) ont été publiés la semaine dernière dans un supplément spécial de The Astrophysical Journal : 52 articles de pointe issus des données enregistrées durant les deux premières orbites de la sonde.
Malgré les nombreuses avancées obtenues dans l'étude du Soleil depuis six décennies, ce qui nous manque toujours cruellement est la connaissance des processus physiques qui sont responsables de l'échauffement intense de la couronne solaire et de l'accélération des particules chargées formant le vent solaire. Nous avons aujourd'hui de bonnes images de la couronne solaire dans de nombreuses longueurs d'ondes, allant des ondes radio aux rayons X, qui nous permettent, grâce à l'ajout de la spectroscopie, de connaître la structure, la composition et la température exactes de la couronne jusqu'à une distance de 3,9 rayons solaires (0,018 unités astronomiques) du centre de notre étoile. Et on sait que la grande majorité de l’accélération des particules a lieu en dessous de 0,3 unité astronomique. Mais on ne sait pas bien ce qui se passe entre la couronne et le vent solaire. C'est pour explorer ces phénomènes d'échauffement et d'accélération de particules qu'a été imaginée PSP par les scientifiques de la NASA, en cherchant à aller voir au plus près, jusqu'à 10 rayons solaires (0,046 UA, soit à peine 7 millions de km du Soleil).
En 2019, une série de résultats avaient été publiés dans Nature, montrant notamment la découverte surprenante de l'existence de plusieurs centaines d'inversions intermittentes de champs magnétique à petite échelle, accompagnées d'augmentation de la vitesse du vent solaire. De nombreux articles du supplément spécial de The Astrophysical Journal révèlent aujourd'hui des détails et de nouvelles propriétés de ces inversions, ces "swithbacks". D'autres articles s'intéressent à la vitesse du vent solaire, aux ondes de plasma et aux turbulences de plasma, avec une résolution spatio-temporelle jamais atteinte, ou encore aux éjections de masse coronale ou à la production d'événements de particules énergétiques.
Le choix a été difficile parmi cette foison d'études plus intéressantes les unes que les autres mais j'ai choisi de vous parler d'une étude qui se focalise sur l'observation d'un événement de particules énergétiques (SEP en anglais) qui a été enregistré par PSP le 4 avril 2019.
Richard Leske (Caltech) et ses collaborateurs américains ont en effet exploité les données de la suite d'instruments ISIS de PSP (Integrated Science Investigation of the Sun). C'était moins de 1 jour avant le passage de la sonde à son deuxième périhélie, à une distance de 0,17 UA, ils ont eu l'opportunité d'enregistrer un très faible SEP, très directionnel, qui a duré environ 15 heures et qui leur permet d'explorer le mécanisme d'accélération des particules et leur transport au plus près de la source. L'émission de protons (majoritairement, mais pas que) qui est observée est fortement anisotrope, avec une intensité de seulement 0,3 protons par cm² par stéradian par seconde et par MeV. La majorité du flux est constitué de protons de 1 MeV, celui-ci devenant quasi nul à une énergie de 10 MeV. Cette émission de SEP n'a pas été détectée à une distance de 1 UA (en orbite autour de la Terre).
Mais les chercheurs observent une association temporelle entre l'augmentation du flux de particules et des sauts de luminosité dans l'extrême UV observés par le satellite STEREO (qui observe toujours le Soleil), et également en coïncidence avec une autre mesure de PSP, une émission radio détectée par l'instrument EFI (Electromagnetic Fields Investigation).
Leske et ses collègues en déduisent que la source de l'événement est une région active située 80° à l'Est du point magnétique de référence de PSP. Cela induit selon eux que les lignes de champ étaient étendues sur une très longue distance longitudinale entre la région active de la photosphère et la couronne.
Les chercheurs notent qu'aucun électron ou ion plus lourd que l'hélium n'est détecté dans cette mini-éruption. Et aucun noyau d'hélium-3 non plus (peut-être dû à la très faible intensité globale de l'événement). La composition moyenne des SEP inclue normalement une fraction de noyaux plus lourds que l'hélium. L'événement du 4 avril 2019 semble déplété en éléments lourds. Mais le ratio He/H qui est mesuré par ISIS vaut 0,052, ce qui est plus élevé que la valeur typique des SEP. mais en revanche plus proche de ce qui est mesuré en moyenne dans la photosphère et la couronne.
L'existence d'un tel événement apparaissant durant un minimum d'activité solaire et totalement indétectable au niveau de la Terre, indique la possibilité que ce type d'événements soit bien plus fréquent que ce qu'on pense. Il est possible selon les auteurs qu'ils peuvent fournir les particules sources disponibles ensuite pour être accélérés dans des plus gros événements de type SEP. Cette observation du 4 avril 2019 donne en tout cas un avant-goût aux spécialistes du Soleil de ce que PSP permettra d'explorer lorsqu'elle s'approchera toujours plus près de notre étoile durant ses 21 prochaines orbites et les 6 prochaines années, qui coïncideront avec la remontée de l'activité solaire du cycle 25. Et elle sera très vite rejointe, d'un peu plus loin, par Solar Orbiter qui est désormais en route.
Source
Observations of the 2019 April 4 Solar Energetic Particle Event at the Parker Solar Probe
R. A. Leske et al.
The Astrophysical Journal Supplement Series, 246, (February 2020)
Illustration
Vue d'artiste de Parker Solar Probe en orbite rapprochée du Soleil (NASA/John Hopkins APL)
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