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16/05/20

Bételgeuse, le résultat d'une fusion d'étoiles ?

Alors que la supergéante rouge Bételgeuse a ces derniers mois captivé l'attention de nombreux astronomes amateurs comme professionnels du fait de sa brutale chute puis remontée de luminosité (aujourd'hui attribuée à un obscurcissement partiel par des poussières), une équipe revient aujourd'hui sur une autre anomalie de Bételgeuse : sa trop grande vitesse de rotation. Ils montrent qu'elle pourrait être le signe que Bételgeuse se soit formée par la fusion de deux étoiles massives il y a quelques centaines de milliers d'années seulement. Une étude parue dans The Astrophysical Journal.



Manos Chatzopoulos (Université de Louisiane) et ses collaborateurs reviennent sur le fait que la vitesse de rotation de Bételgeuse qui est mesurée, une vitesse de rotation tangentielle de 5,5 km/s (3 fois plus élevée que celle du Soleil) est anormalement élevée pour une étoile de sa taille. Le rayon de cette étoile supergéante qui est aussi très massive (19 masses solaires) et de l'ordre de 900 fois le rayon du Soleil (ou 4 unités astronomiques si on préfère). Or la physique et la loi de conservation du moment cinétique nous dit que la vitesse angulaire doit décroître lorsque le rayon augmente. Des étoiles qui ont gonflé jusqu'à ce stade devraient donc montrer une vitesse de rotation bien plus faible. Et comme le remarquent Chatzopoulos et ses collègues, Bételgeuse n'est pas la seule supergéante dans ce cas d'ailleurs... de nombreuses supergéantes possèdent une vitesse de rotation très supérieure à la normale, l'une d'entre elle dépassant même 400 km/s (vitesse tangentielle) !
D'autre part, une autre spécificité de Bételgeuse est sa vitesse propre : elle se meut à la vitesse de 30 km/s dans le milieu interstellaire et les astrophysiciens pensent qu'elle a été éjectée il y a quelques millions d'années de son lieu de naissance, le cocon stellaire nommé l'Association Orion OB1.

Ce sont  ces deux particularités dynamiques qui ont mené Chatzopoulos et ses collaborateurs sur la piste du scénario d'une fusion passée. Les chercheurs rappellent un fait observationnel : 60% des étoiles massives vivent en couple avec une autre étoile. Et la plupart des étoiles massives dans de tels systèmes binaires peuvent subir une interaction avec une troisième qui peut les déstabiliser et les mener à une fusion.

A partir de simulations de dynamique et d'hydrodynamique (comportement du gaz stellaire), les astrophysiciens parviennent à un scénario qui permettrait d'expliquer les propriétés anormales de Bételgeuse : Bételgeuse aurait initialement eu une masse de 16 masses solaires et été accompagnée d'une étoile de 3 masses solaires. Le couple aurait été éjecté de l'Association OB1 par interaction gravitationnelle il y a quelques millions d'années. Mais il y a 200 000 ans environ, alors que Bételgeuse avait gonflé jusqu'à un rayon de 300 rayons solaires, les deux compagnes auraient fusionné très rapidement, la petite compagne prise au piège de l'enveloppe de la géante aurait spiralé et se serait disloquée entièrement, transférant au passage son moment cinétique (son énergie de rotation orbitale) à l'enveloppe de Bételgeuse en la faisant gonfler un peu plus.
Les chercheurs démontrent via des calculs à N corps que les jeunes amas d'étoiles comme l'Association OB1 d'Orion peuvent effectivement éjecter un système binaire intact avec une vitesse d'éjection supérieure à 30 km/s. 
Dans le scénario préféré de la fusion stellaire, les astrophysiciens montrent grâce à leurs simulations que la chute en spirale de l'étoile compagne se serait produite très rapidement avant qu'elle n'atteigne le voisinage immédiat du coeur d'hélium de Bételgeuse : il lui aurait fallu que 175 orbites pour entrer en contact et être complètement disloquée, en moins de 5 jours. 
Ce scénario de la fusion d'étoiles et par ailleurs favorisé par l'observation que l'enveloppe externe de Bételgeuse est composée d'une quantité anormale d'azote. Selon Chatzopoulos et ses collaborateurs, cela peut être une trace de l'interaction de l'étoile compagne disloquée au contact du coeur de la géante qui peut faire ressortir une partie de l'azote des couches internes vers les couches externes.
Alors que tout l’enchaînement et les lois physiques mises en jeu permettent de reproduire fidèlement à la fois la vitesse propre de Bételgeuse et sa vitesse de rotation anormale, et que cette piste avait déjà été évoquée en 2016, Chatzopoulos et ses collègues restent néanmoins très prudents car ils ont conscience que leur scénario est bâti sur un modèle fondé sur une hypothèse et des simplifications. Ils notent par exemple qu'une alternative serait que l'étoile compagne de Bételgeuse ait explosé en supernova et Bételgeuse aurait pu accréter la matière résiduelle, un processus lui faisant également augmenter sa vitesse de rotation.  

Les fusions d'étoiles binaires sont des processus communs dans l'Univers et elles apparaissent être une voie de formation raisonnable pour les étoiles à rotation rapide comme Bételgeuse. Chatzopoulos et son équipe veulent poursuivre leurs travaux dans le futur en produisant des simulations en 3D pour mieux évaluer les transferts de moment cinétique et les pertes de masse. Ils pourront également mieux cerner les effets qu'ont de telles fusions stellaires sur la nucléosynthèse en cours dans l'étoile principale et chercher la présence de signatures observables dans son spectre...


Source

Is Betelgeuse the Outcome of Past Merger ? 
Manos Chatzopoulos  et al.
à paraître dans The Astrophysical Journal


Illustrations

1) Simulation numérique de la fusion de deux étoiles massives menant à la Bételgeuse observée aujourd'hui (Chatzopoulos  et al.)

2) Bételgeuse imagée avec ALMA, taille comparée avec notre système solaire (ALMA/E. O’Gorman/P. Kervella - ESO/NAOJ/NRAO)

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