Pages

jeudi 14 mai 2020

Des fusions d'étoiles à neutrons détectables avant leurs ondes gravitationnelles


Lorsque deux étoiles à neutrons entrent en collision, des rayonnements dans à peu près toutes les longueurs d'ondes sont produits, en plus des ondes gravitationnelles liées à la coalescence. C'est ce qu'avait très bien montré l'événement GW170817 il y a trois ans. Aujourd'hui, une équipe d'astrophysiciens montrent que des signes avant coureurs d'une telle fusion/collision pourraient être détectés avant l'apparition des ondes gravitationnelles, sous le forme d'ondes radio très particulières. Une étude parue dans The Astrophysical Journal Letters.



Entre le moment de la collision des deux étoiles à neutrons de l'événement gravitationnel GW170817 et les mois qui ont suivi, des centaines d'observatoires partout dans le monde ont suivi et enregistré quantité de signaux, depuis les rayons gammas très peu de temps après jusqu'aux ondes radio un peu plus tard. Mais il ne faut pas oublier que les étoiles à neutrons sont les objets qui possèdent les champs magnétiques les plus intenses que nous connaissons. Et lorsque deux étoiles à neutrons ayant leur propre champs magnétique orienté d'une certaine manière commencent à se rapprocher, l'interférence des deux systèmes magnétiques peut faire des "étincelles"... C'est ce que Elias Most et Alexander Philippov (Université de Francfort) ont exploré : la possibilité que les étoiles à neutrons très proches l'une de l'autre puissent produire des éruptions de rayonnement liés à leurs champs magnétiques. 
Les astrophysiciens étudient ce qu'on appelle la magnétosphère des étoiles à neutrons, c'est à dire leur environnement magnétique proche et comment cette magnétosphère interagit peu de temps avant la fin de la spirale infernale menant à la collision. 
Pour étudier le phénomène, les deux chercheurs ont développé des simulations numériques relativistes de paires d'étoiles à neutrons qui possèdent chacune un intense dipôle magnétique. Les simulations tracent l'évolution des champs magnétiques, comment ils sont modifiés dans l'espace et le temps lorsque les deux étoiles à neutrons spiralent l'une vers l'autre.
Most et Philippov montrent que d'énormes quantités d'énergie magnétique sont dissipées quand les étoies à neutrons sont suffisamment proches pour que leur magnétosphères entrent en interaction. Cette énergie magnétique est stockée dans des tubes de flux magnétique qui relient les deux étoiles à neutrons et qui se retrouvent constamment tordus dans la rotation rapide des deux astres moribonds l'un autour de l'autre.

La luminosité des éruptions de rayonnement radio qui en découle dépend directement de la distance qui sépare les deux étoiles à neutrons : plus elles sont proches, plus la luminosité est importante.
Les tubes de flux magnétique très déformés qui connectent les étoiles à neutrons et les décharges d'énergie associées apparaissent avec le mouvement orbital des champs magnétiques désalignés, le maximum apparaissant lorsque le désalignement vaut 45°.
Lorsque la vitesse de rotation des deux étoiles à neutrons augmente, les boucles de champ magnétique qui se forment entre les deux se tordent de plus en plus, transférant de l'énergie de rotation en énergie magnétique, jusqu'à parvenir à une brutale disruption conduisant à une éjection importante d'énergie. Most et Philippov montrent dans leur étude que même si les deux étoiles à neutrons n'avait aucune rotation propre (ce qui n'existe pas), le phénomène de stockage d'énergie magnétique et de torsion des tubes de flux apparaît quand même, uniquement induit par le mouvement orbital des deux étoiles à neutrons, à la seule condition que les deux champs magnétiques soient désalignés.
Et cette libération d'énergie se traduit par plusieurs rayonnements électromagnétiques qui peuvent être détectables selon les chercheurs. En effet, la bulle magnétisée, lorsqu'elle est éjectée des boucles torsadées doit produire derrière elle une émission résiduelle d'ondes radio caractéristique lors de la reconnexion magnétique. Et une seconde émission radio (une émission synchrotron) apparaît par la suite lorsque la bulle magnétisée entre en collision avec le plasma environnant. Les astrophysiciens ont montré qu'une telle collision de plasmoïdes dans l'environnement d'un pulsar, pour produire une émission radio cohérente, nécessite un champ magnétique de 106 à 108 Gauss. De telles valeurs correspondent à un champ magnétique 100 fois plus intense à la surface des étoiles à neutrons (108 à 1010 Gauss).
Le processus peut donc mener à des émissions d'ondes radio répétitives mais pas forcément périodiques. Le premier flash d'ondes radio lié à la reconnexion magnétique ne peut pas être suffisamment intense pour produire un signal de type FRB (Fast Radio Burst) d'après Most et Philippov. Le second flash non plus, même si la structure quasi-isotrope de la bulle magnétisée choquant le plasma environnant est favorable et est une piste actuellement étudiée de près pour expliquer les FRB mais dans le cas particulier des magnétars, les étoiles à neutrons qui ont un champ magnétique démesuré.

Ces émissions radio d'étoiles à neutrons en cours de rapprochement pourraient en tous cas être théoriquement détectables peu de temps avant la phase finale de la coalescence du couple, de quoi donner une alerte à tous nos interféromètres gravitationnels pour qu'ils soient bien fonctionnels au temps T, ainsi qu'à tous les autres observatoires, pour qu'ils soient près à observer dans toutes les longueurs d'ondes en complet direct le feu d'artifice cataclysmique donnant naissance à un trou noir...


Source

Electromagnetic Precursors to Gravitational-wave Events: Numerical Simulations of Flaring in Pre-merger Binary Neutron Star Magnetospheres
Elias R. Most and Alexander A. Philippov 
The Astrophysical Journal Letters 893 L6 (8 avril 2020)


Illustrations

1) Vue d'artiste d'une étoile à neutron et son champ magnétique dipolaire (ESO/L.Calçada)

2) Le tube de flux subissant une torsion causé par le mouvement orbital de champs magnétiques désalignés de 45° et l'éruption d'énergie résultant (Most et Philippov).

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci !