Pages

19/06/20

A l'origine de l'émission radio des pulsars


Une solution pour expliquer l'origine de l'émission radio si intense des pulsars vient d'être proposée par des physiciens polonais et russes. Cette émission de type 'cohérente' serait liée à des fluctuations dans le plasma produisant des paires électrons-positrons à proximité immédiate de la surface de l'étoile à neutrons. Une étude à lire dans Physical Review Letters.


Les pulsars sont des étoiles à neutrons qui émettent des ondes radio sous la forme d'un faisceau dont la base est décalée des pôles de l'étoile, émanant des pôles magnétiques de l'étoile à neutrons et produisant un balayage de l'espace avec une fréquence égale à celle de la rotation très rapide de l'étoile à neutrons sur elle-même. Et ces rayonnements d'ondes radio ont une très forte intensité, qui n'est théoriquement possible que s'il s'agit d'une émission dite "cohérente", c'est à dire un peu à l'image d'un laser où tous les photons sont synchronisés entre eux. Le processus physique qui serait à l'origine d'une telle caractéristique cohérente de l'émission des pulsars est recherché depuis des années, voire dizaines d'années sans succès. Mais Alexander Philippov (Flatiron Institute, New York) et ses collaborateurs ont peut-être trouvé la solution. Ils ont en tous cas trouvé une solution qui permet d'expliquer l'émission des pulsars grâce à des simulations numériques des phénomènes électromagnétiques qui ont lieu dans le plasma entourant les pulsars.
Il faut préciser que si les pulsars émettaient un rayonnement incohérent de type corps noir, la luminosité en onde radio qui est observée induirait une température délirante de l'ordre de 1030 K... C'est pour cette raison que les astrophysiciens considèrent que l'émission des pulsars ne peut être que de type cohérente.
Un milieu qui est très favorable pour l'émission de rayonnement cohérent est le plasma. Et ça tombe plutôt bien car les étoiles à neutrons doivent être entourées de plasma. Un rayonnement électromagnétique cohérent peut apparaître lorsque des particules chargées du plasma se retrouvent accélérées le long des mêmes trajectoires, ou lorsque les particules forment une population dans laquelle une quantité majoritaire se retrouve dans un état excité (comme c'est le cas dans le processus du laser ou du maser, l'équivalent du laser pour les micro-ondes).
Le plasma qui entoure les pulsars est différent des plasmas que l'on peut rencontrer au niveau du Soleil. Au lieu d'électrons et d'ions, on va y trouver des électrons et des positrons. Ces paires de particules-antiparticules sont produites par des photons énergétiques qui sont eux-mêmes émis par des particules chargées accélérées dans le champ électrique induit par la rotation du champ magnétique du pulsar. Résumons : les étoiles à neutrons, résidus de supernovas, tournent très vite sur elles-mêmes (jusque plusieurs centaines de fois par seconde) et possèdent un intense champ magnétique. La rotation du champ magnétique produit un champ électrique. Ce champ électrique très élevé à pour effet d'accélérer les particules chargées qui passent par là, protons, ions ou électrons. Et ces particules accélérées interagissent avec le milieu environnant en produisant alors des photons gamma qui sont suffisamment énergétiques (plus de 1,022 MeV) pour créer des paires d'électrons et positrons qui forment alors un plasma autour de l'étoile à neutrons. C'est toute cette suite de processus qu'ont simulée Alexander Philippov et ses collaborateurs. 
Et les chercheurs montrent que le processus peut déclencher des réactions en cascade : les photons produisent des paires électrons-positrons (e+-e-) qui rayonnent à leur tour plus de photons, qui vont produire ensuite des paires e+e- et ainsi de suite. Le résultat en est la production d'un plasma e+e- dense avec des paires de particules-antiparticules qui se meuvent le long des lignes de champ magnétique à des vitesses relativistes.
Philippov et ses collaborateurs trouvent dans leurs calculs que ces cascades peuvent avoir lieu non pas de manière lente comme ce que l'on pensait avant mais sur un laps de temps inférieur à la milliseconde. L'un des coauteurs de cette étude, Andrey Timokhin, avait montré il y a quelques années grâce à des simulations à 1D que lorsque les particules sont accélérées par le champ électrique et qu'elles émettent des photons énergétiques, ceux-ci produisent des bouffées de paires e+e-  qui viennent écranter complètement le champ électrique, ce qui a pour effet de stopper l'accélération des particules et donc la production de paires e+e-. Le champ électrique réapparaît ensuite lorsque les paires électrons-positrons se sont échappées de la région, ce qui prend une fraction de millisecondes aux vitesses relativistes considérées. Timokhin avait trouvé que cet écrantage périodique produisait des ondes électrostatiques très fortes. Mais sa modélisation à une dimension ne lui permettait pas de montrer une éventuelle propagation des ondes électromagnétiques induites.
Philippov, Spitkovsky et Timokhin reprennent le problème, en y ajoutant une 2ème dimension orthogonale et en explorant la dynamique du plasma sur une région plus vaste autour des pulsars. Ils trouvent, vous l'aurez deviné, que les ondes électrostatiques qu'avait trouvées Timokhin produisent bien des ondes électromagnétiques qui se propagent. Cette production est donc rendue possible, selon les chercheurs, car le champ électrique n'est pas uniforme au dessus des pôles des pulsars. Comme ces ondes électromagnétiques sont produites par un mouvement collectif du plasma et non par l'émission individuelle des particules, elle est bien de type cohérent. Le mécanisme de production de paires associé à l'écrantage du champ électrique permet ainsi d'expliquer l'émission radio intense des pulsars.
Car Philippov et ses collaborateurs montrent aussi que le spectre des ondes électromagnétiques qui sont produites par ce mécanisme est tout à fait conforme à ce qui observé sur les pulsars. Mais quelques questions restent tout de même en suspend, car le modèle qui est proposé par les physiciens russes et polonais prend en compte des énergies de particules qui sont significativement plus basses que celles existant autour d'un vrai pulsar. Un point surprenant aussi est que le mécanisme proposé pourrait être trop efficace. En effet, les ondes électromagnétiques produites devraient, selon le modèle, participer pour une grande part à la perte d'énergie de rotation du pulsar, qui finit par le ralentir, mais on sait par l'observation que seule une petite portion de la perte d'énergie de rotation des pulsars est convertie en ondes radio... Il est donc fort à parier que ces questions trouveront une réponse en construisant de nouvelles simulations, cette fois-ci en 3 dimensions et couvrant encore de plus vastes zones spatiales au voisinage d'un pulsar numérique.

Malgré ses petits défauts, ce nouveau modèle expliquant l'origine du rayonnement cohérent des pulsars fait bien avancer nos connaissances et ouvre de bonnes pistes sur ces astres extrêmes. Il pourrait même fournir des informations cruciales sur le processus à l'origine des FRB (Fast Radio Bursts), ces sursauts rapides d'ondes radio qui sont aujourd'hui estimés - de plus en plus - provenir des pulsars les plus magnétisés de l'Univers, ceux qu'on appelle des magnétars.


Source

Origin of Pulsar Radio Emission
Alexander Philippov, Andrey Timokhin, and Anatoly Spitkovsky
Phys. Rev. Lett. 124, 245101 (15 June 2020)

Illustration

Vue d'artiste d'un pulsar avec des lignes de champ magnétique autour desquelles se meuvent des particules du plasma, l'émission radio cohérente est figurée en rose (NASA)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Merci !