Comment ai-je pu passer à côté d'un article pareil ? Je ne vois qu'une chose... comme il a été publié le 29 juillet, j'avais l'esprit bien ailleurs, sur la dune du Pila en train de scruter le rayon vert/bleu/violet sur l'horizon atlantique... Bref, dans cette étude théorique, Abhay Ashtekar, l'un des fondateurs de la théorie de la gravitation quantique à boucles, accompagné de quelques autres physiciens théoriciens, vient juste de montrer que la gravitation quantique à boucles permet de réduire des anomalies qui sont présentes dans les données du fond diffus cosmologique mesuré par les satellite Planck (par rapport au modèle standard), alors que le modèle standard n'y apporte pas de solutions viables, ou si on préfère, peut seulement y apporter des solutions qui engendrent des tas d'autres problèmes... L'article est paru dans Physical Review Letters cet été, donc... (désolé pour le retard).
Tout remonte à novembre 2019, date à laquelle paraît une article dans Nature Astronomy, dont nous n'avions pas parlé à l'époque, jugeant le résultat trop... trop impossible. Et pourtant, cette étude avait fait son petit bruit et peut encore en faire ici ou là. Le titre de cette étude de novembre 2019 par des chercheurs italiens et français donnait il est vrai le tournis : Planck evidence for a closed Universe and a possible crisis for cosmology. On y voyait que face à une anomalie connue de longue date dans les données de Planck concernant l'amplitude d'effet de lentille gravitationnelle, il était possible de la faire quasi disparaître en ajoutant de manière ad hoc (ou phénoménologique) une courbure non-nulle à l'Univers. L'Univers serait dans ce cas "fermé", à courbure positive. Une révolution en cosmologie qui considère depuis un bon moment que l'Univers est à courbure nulle (une métrique plate)... mais aussi une grave crise comme l'annonçait les auteurs Eleonora Di Valentino, Alessandro Melchiorri et Joseph Silk. Une grave crise en effet car en injectant dans les équations du modèle standard un terme de courbure non nulle à même de résoudre le problème de l'amplitude de lensing, on détraque plusieurs autres paramètres du modèle, et notamment le plus connu d'entre eux qu'est la constante de Hubble Lemaitre, qui passerait alors d'une valeur de 68 km/s/Mpc dans le modèle standard à courbure nulle à une valeur beaucoup plus faible de 54 km/s/Mpc. Or, on rappelle qu'il existe déjà une forte tension entre les valeurs déduites des mesures du fond diffus par Planck (avec courbure nulle) et celles déduites de mesures astrophysiques locales sur les supernovas ou encore sur des effets de lentilles gravitationnelles de quasars. qui trouvent une valeur de H0 proche de 73 km/s/Mpc.
Voilà donc que les physiciens théoriciens adeptes de la gravitation quantique à boucles tombent sur cet article au titre tapageur et se posent la question : et que donnerait le modèle de cosmologie quantique à boucles (fondée sur la gravitation du même nom, qui tente d'unifier relativité générale et mécanique quantique) ? Le raisonnement de Abhay Ashtekar (Pennsylvania State University) et ses collaborateurs est simple : plutôt que d'ajouter une valeur ad hoc à un paramètre du modèle cosmologique (la courbure), et si on s'intéressait plutôt au fondement du modèle ?
L'énorme différence qu'introduit la théorie de la gravitation quantique à boucles lorsqu'elle est appliquée à l'Univers dans son ensemble, c'est que le Big Bang du modèle standard et sa singularité initiale n'existent plus : à la place a lieu un Big Bounce, un grand rebond qui apparait après une contraction d'un Univers précédent jusqu'à avoir atteint une densité limite qui est la densité de Planck. Dans ce modèle de cosmologie quantique à boucles (LQC), la phase d'inflation existe toujours, mais ces caractéristiques sont légèrement différentes du fait que la courbure de l'espace-temps n'était pas infinie au départ.
Il faut se rappeler qu'il existe plusieurs anomalies dans les données du fond diffus cosmologique (la répartition des fluctuations de températures, qui correspondent aux fluctuations de densité de cette époque 380 000 ans après la "singularité" et qui reflètent les fluctuations quantiques de l'Univers primordial avant la phase inflationnaire. La première anomalie qui apparaît entre les observations et le meilleur ajustement du modèle ∧CDM concerne le spectre de puissance, qui trace les variations de température infimes en fonction de leur taille angulaire. Plus précisément, ce qui cloche est le paramètre appelé S 1/2 qui est la valeur de la fonction de corrélation angulaire entre deux points, intégrée pour les angles compris entre 60 et 180° : en gros, il n'y a pas assez de fluctuations entre deux endroits très distants angulairement sur le ciel par rapport à ce que prédit ∧CDM. La valeur mesurée par Planck vaut 1209,2 alors que le modèle standard ∧CDM donne une valeur de 42496,5...
La deuxième anomalie concerne l'amplitude de lensing, un paramètre du modèle appelé AL, qui exprime jusqu'à quel degré la lumière du CMB (le fond diffus cosmologique) a été soumise à des effets de lentille gravitationnelle au cours de son trajet jusqu'à nous. Cet effet de lentille gravitationnelle est directement lié aux fluctuations quantiques primordiales via la distribution et la densité de la matière peuplant l'Univers. Et c'est l'anomalie de ce paramètre qui pourrait être résolue par l'introduction d'une courbure de l'Univers, comme l'ont fait Di Valentino et collaborateurs en novembre 2019, aux dépens de nombreux autres paramètres du modèle...
Le fait que, en cosmologie quantique à boucles, au moment du rebond, la valeur de la courbure de l'Univers est déterminée (et grande), cela influe directement sur la distribution des fluctuations du CMB aux grands échelles angulaires. Cette très grande courbure au moment du rebond produit une population de fluctuations dans le CMB qui ont une échelle même plus grande que l'Univers observable, et qui sont donc inobservables, mais elles se corrèlent également, et heureusement, avec des modes de longueur d'onde plus petites qui elles sont discernables dans le CMB!
L'effet crucial qui entre en jeu ici c'est le fait que le spectre de puissance primordial du CMB n'est plus un invariant d'échelle, mais peut varier. La dynamique de la cosmologie quantique à boucles et les conditions initiales font ensuite le reste, produisant alors naturellement une suppression de puissance dans le spectre aux plus grandes échelles angulaires (pour des moments multipolaires l<30) : en gros, la courbe du spectre en LQC s'infléchit plus que dans le modèle standard dans cette région des petits moments multipolaires. (le moment multipolaire l est une fréquence angulaire : par exemple, l=10 correspond à environ 10 degrés sur le ciel, l=100 correspond à environ 1°). Mathématiquement, les moments multipolaires apparaissent lors de la décomposition angulaire des fluctuations en harmoniques sphériques.
Et ce sont justement ces structures à "basse fréquence angulaire" qui apparaissent anormales dans le modèle standard ∧CDM par rapport aux observations. Ashtekar et ses collaborateurs montrent comment le modèle impliquant la gravitation quantique à boucles donne justement un spectre de puissance différent aux grandes échelles angulaires, de plus basse amplitude, ce qui a pour effet de réduire le paramètre S 1/2 et à le rendre plus compatible avec les observations : il fournit une valeur 3 fois plus faible que le modèle cosmologique standard : 14308,05
au lieu de 42496,5. C'est bien plus près de la valeur mesurée de 1209,2.
Concernant l'anomalie de l'amplitude de lensing (le paramètre AL), elle se réduit elle aussi naturellement du fait de la diminution d'intensité dans le spectre de puissance aux grandes échelles angulaires, en rapprochant la valeur de 1, ce qui ne nécessite plus du tout d'ajouter une courbure de manière ad hoc. Elle passe de 1,072 dans le modèle standard à 1,049 en LQC.
Ashtekar et ses collègues sont taquins, ils s'en prennent non seulement à Di Valentino et collaborateurs
pour moquer leur prétendue "crise de la cosmologie" introduite par une courbure de l'Univers, mais ils citent aussi dans le texte la collaboration Planck qui a écrit dans un article récent : "Si une de ces anomalies a une origine primordiale, alors leur nature à grande échelle suggère une explication fondée sur la physique fondamentale. Il faudrait donc explorer tout modèle qui pourrait expliquer cette anomalie (et mieux, plusieurs anomalies en même temps) de façon naturelle ou bien avec très peu de paramètres."
Ashtekar et ses collaborateurs viennent de fournir une réalisation concrète de cette idée... Pour conclure en beauté leur article, les physiciens à boucles montrent que la LQC donne d'autres prédictions observables sur le CMB !
La première est une valeur de la profondeur optique (transparence) de l'époque de réionisation qui devrait être 9,8% plus élevée que ce que prédit le modèle standard, un paramètre qui pourra être observé par des futurs relevés à grands redshifts de la raie à 21 cm pouvant atteindre une précision du %.
La seconde autre prédiction de la LQC concerne les modes de polarisation de la lumière du CMB, les modes B dont la dépendance vis-à-vis des échelles doit montrer une forme particulière, différente de celle que prédit le modèle standard. Ces modes de polarisation doivent être étudiés avec précision par des prochains instruments de cosmologie observationnelle comme LiteBIRD, Cosmic Origins Explorer ou PICO (Probe Inflation and Cosmic Origins). L'avenir de la gravitation quantique à boucle et du Big Bounce sont en marche...
Source
Alleviating the Tension in the Cosmic Microwave Background Using Planck-Scale Physics
Abhay Ashtekar, Brajesh Gupt, Donghui Jeong, and V. Sreenath
Physical Review Letters 125, 051302 (29 July 2020)
Illustrations
1) Le fond diffus cosmologique cartographié par Planck (ESA. Planck Collaboration)
2) Abhay Ashtekar
3) Le spectre de puissance déterminé par les données de Planck, comparé avec le modèle LambdaCDM et le modèle de la cosmologie quantique à boucles (Ashtekar et al.)
Ouch! je vais relire une 2ème fois et sûrement une 3ème fois pour essayer de bien comprendre tout cela... Mais je comprends qu'avec un sujet comme celui-là, l'effort de vulgarisation n'est pas aussi évident que ça si on veut donner toutes les infos :)
RépondreSupprimerSi j'ai bien compris, les auteurs du premier article suppriment deux anomalies en supposant une seule valeur, positive, du paramètre de courbure constante de l'univers. Là où l'application cosmologique de la LQG ne fait que les réduire, et dont l'une reste considérable même après réduction des deux tiers. On ne peut pas comparer !
RépondreSupprimerPar ailleurs, tous les modèles cycliques fidèles au schéma FLRW de la cosmologie relativiste sont contraints de supposer que, toujours, la densité est inférieure à la densité critique de façon à générer un Big Crunch, et donc à raisonner sur un univers fini se contractant en un seul méga trou noir fini, en CQB jusqu’au quasi-point ou il se transforme en trou blanc. Mais cette hypothèse de densité infra critique est elle aussi "ad hoc", tout aussi arbitraire.
Je corrige la grosse coquille du post précédent : la contraction de l'univers est bien sûr produite en FLRW par une densité à grande échelle supérieure (et non inférieure) à la densité critique.
RépondreSupprimerOn peut aussi se demander, sans rentrer dans la théorie de la Cosmologie Quantique à Boucle, comment elle peut concevoir sans contradiction ce principe d'univers cyclique trou-noir-rebond-trou-blanc alors que nous constatons que l'expansion de notre univers actuel...accélère ! Comment le supposé univers qui précéderait le notre a-t-il pu finir en contraction, si le notre - sa phase suivante - s'expanse à l'infini ? Quant à la théorie du rebond en CQB, j'invite les personnes intéressées à lire attentivement et le crayon à la main la présentation vulgarisée qu'en fait Martin Bojowald dans L'Univers en rebond. Il y trouvera de quoi (re)bondir.
La cosmologie quantique à boucles ne parle pas d'Univers cyclique, juste de rebond. Celui-ci peut n'avoir lieu qu'une seule fois, à la manière d'un trou noir qui serait juste un effondrement suivi d'un rebond (un seul).
RépondreSupprimerOui, mais c'est bien ce qui me parait problématique. Dans le cadre FLRW, l'univers précédent le notre qui rebondit à l'échelle de Planck pour donner naissance à notre univers avait une densité supérieure à la densité critique pour pouvoir se contracter. Comment dans la phase suivant le rebond, dont l'histoire devrait être symétrique, l'histoire du rapport d/dc durant les deux phases peut-il avoir changé ? Il me semble que la CQG doive au moins abandonner le cadre FLRW pour éviter la cyclicité de l'univers qui sinon est une conséquence implicite de la CQG, qu'elle le reconnaisse ou pas.
RépondreSupprimerBonjour Jean-Paul,
RépondreSupprimerIl ne faut pas confondre courbure et évolution de l'univers : la première est déterminée par la densité totale, alors que la seconde l'est principalement par la valeur de lambda ; ainsi, un big crunch a lieu quelque soit k si lambda est négatif
La métrique FLRW est fondée sur la RG "naïve", clairement en défaut à l'ère de Planck (et dans les TN); elle est donc abandonnée par les cosmologies quantiques, en particulier par la LQC
Quelle était la valeur de lambda et des autres paramètres cosmologiques avant la traversée de la phase quantique avec son caractère aléatoire, je l'ignore (et j'ignore si quelqu'un le sait) mais le "rebond" pourrait bien être asymétrique, ne serait-ce qu'en raison de l'inflation, d'ailleurs prévue par la LQC.
Pour l'heure l'expansion semble accélérer, mais il y a seulement 25 ans bien peu de cosmologistes auraient parié un kopeck là-dessus, et vu notre ignorance sur "l'énergie sombre", ce n'est peut-être pas le dernier mot de l'histoire !