C’est environ il y a 10 milliards d’années (entre 2,5 et 4,5 milliards d’années après le Bg Bang) que les galaxies ont produit environ la moitié des étoiles de l’Univers. Depuis lors, le taux de formation stellaire a chuté d’un facteur 10. Une équipe d’astrophysiciens s’intéressant à cette époque cruciale, vient de détecter directement le gaz neutre à l’origine de ces étoiles, via son émission radio caractéristique à 21 cm, une petite prouesse relatée cette semaine dans Nature.
La compréhension de l’histoire de la formation des étoiles dans les galaxies est sans conteste un grand succès de l’astrophysique de ces dernières décennies, mais les étoiles ne révèlent que la moitié de l’histoire de la formation des galaxies. Le gaz qui en est à l’origine, et le gaz neutre en particulier, y joue un rôle majeur. On estime aujourd’hui que du gaz chaud du milieu intergalactique est attrapé par les régions denses à forte concentration de matière noire. Le gaz se refroidirait alors pour former des nuages diffus d’hydrogène neutre (de l’hydrogène dit « atomique », formé d’un seul atome), puis ces atomes formeraient par la suite des molécules de di-hydrogène dans des nuages plus denses et plus froids (de l’hydrogène dit "moléculaire") qui serait la matière première des étoiles.
Les concentrations d’étoiles qui en résultent sont ce qu’on appelle des galaxies. Malheureusement, on connaît encore assez mal les caractéristiques du gaz atomique ou moléculaire qui était le creuset de ces flambées d’étoiles.
Ce que Aditya Chowdhury (Tata Institute of Fundamental Research, Pune,) et ses collaborateurs ont réussi à faire grâce au radiotélescope indien GMRT (Giant Metrewave Radio Telescope) c’est de détecter l’hydrogène neutre dans des galaxies de cet âge cosmique, en mesurant directement la raie de structure hyperfine de l’atome d’hydrogène, une raie de 21 cm de longueur d’onde. Cette émission est très faible, ce qui rend la détection très délicate. Dans une galaxie « actuelle’, c’est-à-dire proche, la quantité de gaz neutre par rapport à la masse d’étoiles est de l’ordre de 10%. Les chercheurs voulaient savoir si ce ratio était très différent il y a 8,5 milliards d’années, vers la fin de la flambée de formation stellaire dans les galaxies.
Pour contourner la difficulté de la faible intensité du signal, les astrophysiciens ont utilisé une méthode de stacking : ils ont sélectionné un groupe de 7653 galaxies dont ils connaissaient bien la distance à partir de mesures de redshift. Celle-ci s’étalait entre 4,4 milliards et 7,1 milliards d’années après le Big Bang, durant la fin de la période de flambée de formation stellaire, donc. Ils ont ensuite moyenné le spectre d’ondes radio sur toute cette population de galaxies.
Chowdhury et son équipe montrent partir de leurs données que la quantité de gaz, relativement à la masse d’étoiles est 2,5 fois plus élevé il y a 8 milliards d’années qu’aujourd’hui.
La valeur moyenne qu'ils obtiennent pour la masse d'hydrogène neutre vaut 11,9 ± 2,6 milliards de masses solaires. Cela confirme pourquoi le taux de formation stellaire y est bien plus imposant qu’aujourd’hui.
Les chercheurs mesurent ce taux de formation d'étoiles moyen : 7,72 ± 0,27 M☉ par an. Pour comparaison, notre galaxie produit 1 masse solaire en étoiles par an environ. Avec la quantité totale de gaz et le taux de formation d'étoiles, les astrophysiciens calculent ensuite facilement le taux de déplétion du gaz et donc la durée de vie du réservoir. Cette durée ne vaut que 1,54 milliards d'années (en moyenne). Chowdhury s'amusent même à regarder si ce paramètre évolue pour un sous-échantillon de galaxies les plus brillantes, qui sont au nombre de 3499 parmi leur stack de 7653. Pour celles-ci, la masse moyenne de gaz atteint 17 milliards de masses solaires et l'émission de la raie HI indique aussi un taux de formation stellaire plus élevé : 16,37 ± 0,43 M☉ par an. La durée de vie moyenne de ces réservoirs de gaz dans les galaxies les plus brillantes est donc plus courte encore avec à peine 1 milliard d'années.
Les résultats des chercheurs indiens montrent que la consommation de gaz pour fabriquer des étoiles est trop importante si la source était uniquement le gaz neutre en stock. En moins de 2 milliards d’années, l’hydrogène neutre serait épuisé. Cela implique selon eux qu’il doit nécessairement exister à cette époque une accrétion continue de gaz à partir du milieu intergalactique, sans quoi le taux de formation stellaire ne pourrait pas rester à ce niveau, ce qui est très différent pour les galaxies actuelles qui peuvent fabriquer des étoiles tranquillement à leur rythme très faible avec l'hydrogène qu'elles possèdent déjà, avec une perspective de 7 à 8 milliards d'années devant elles.
Mais la méthode de stacking qu’utilisent Chowdhury et ses collaborateurs, même si elle est très efficace, a quelques limitations : elle ne dit rien de la distribution de l’hydrogène, si il se trouve plutôt dans les galaxies massives ou réparti uniformément dans des galaxies très différentes. On ne peut pas non plus savoir si le gaz s’étend beaucoup plus loin que les étoiles dans ces galaxies. Les astrophysiciens aimeraient aussi savoir si l’hydrogène observé est en train de tourner dans les disques galactiques ou bien si il est en train d’affluer vers les galaxies depuis le milieu intergalactique. Mais par leur étude, Chowdhury et ses collaborateurs démontrent que le futur grand radiotélescope SKA (Square Kilometre Array) pourra "voir" ces détails, car il pourra détecter la raie à 21 cm dans des galaxies individuelles à des distances comparables.
Ces premières détections de la raie HI à de telles distances sont très prometteuses et conduiront à mieux caractériser l’autre composante baryonique des galaxies qu'est l'hydrogène sous forme de nuages gazeux.
Source
H I 21-centimetre emission from an ensemble of galaxies at an average redshift of one
Aditya Chowdhury, Nissim Kanekar, Jayaram N. Chengalur, Shiv Sethi & K. S. Dwarakanath
Nature volume 586 (15 october 2020)
Illustrations
Image finale du stack de 7653 galaxies à la longueur d'onde de l'hydrogène neutre HI (21 cm) (Chowdhury et al.)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci !