L'astrophysique consacrée deux années consécutives par le prix Nobel de Physique, c'est donc possible ! Après le cosmologiste James Peebles et les astronomes Didier Queloz et Michel Mayor l'année dernière, c'est aujourd'hui la physique et l'astrophysique des trous noirs qui est couronnée.
Le théoricien britannique Sir Roger Penrose est récompensé pour moitié du prix Nobel pour avoir montré théoriquement que "la formation d’un trou noir était une prédiction robuste de la théorie de la relativité générale" ce dès le milieu des années 1960.
Et l'astrophysicien allemand Reinhard Genzel, et l'américaine Andrea Ghez se partagent l'autre moitié du prix pour "la découverte d’un objet compact supermassif dans le centre de notre galaxie". On notera la pudeur des académiciens suédois à ne pas dire que Sgr A* est un trou noir, alors que le fait même de lier les travaux de Penrose avec ces observations de Genzel et Ghez par le même prix insinue fortement la nature de ce mystérieux "objet compact supermassif".
On ne présente plus Roger Penrose, âgé aujourd'hui de 89 ans, et toujours professeur émérite à Oxford. Le prix Nobel récompense ses travaux datant de 1965 (il y a donc 55 ans...) dans lesquels il a démontré que l'effondrement gravitationnel d'une étoile massive en relativité générale ne pouvait que déboucher sur l'apparition d'une singularité de type trou noir. Les trous noirs étaient une conséquence de la Relativité Générale. Il a par la suite continué à travailler sur les trous noirs jusqu'au début des années 1970, notamment avec Stephen Hawking, et a conjecturé le concept de "censure cosmique" stipulant que les singularités gravitationnelles des trous noirs sont nécessairement masquées par un horizon des événements pour nous protéger des violations de causalité qu'elles induisent.
On peut penser que si Stephen Hawking avait encore été en vie aujourd'hui, il aurait pu partager le prix Nobel avec son ami Penrose, par exemple pour sa découverte de l'évaporation des trous noirs...
Reinhard Genzel et Andrea Ghez, quant à eux, sont les leaders de deux équipes différentes qui ont travaillé sur le même sujet : la dynamique des étoiles du centre de notre galaxie, et ce depuis le début des années 1990. Les européens avec le Very Large Telescope de l'ESO au Chli et les américains de UCLA avec le télescope Keck à Hawaï.
Genzel et son groupe ont traqué les mouvements des étoiles les plus proches du centre géométrique de la galaxie pendant 27 ans et ont réussi à déterminer les orbites elliptiques de nombreuses étoiles, dont la fameuse étoile S-02 qui s'approche du centre massif et invisible à une distance de seulement 120 unités astronomiques. Le périastre de S-02 en mai 2018 a d'ailleurs permis à Genzel et son équipe de mesurer des effets relativistes comme le redshift gravitationnel ou bien la précession de Schwarzchild, induits par la courbure de l'espace-temps générée par Sgr A*.
Car c'est le mouvement de ces nombreuses étoiles du groupe S dans le centre galactique qui a permis à Genzel ainsi qu'à Ghez et leurs équipes, indépendamment, de déterminer quelle devait être la masse de l'objet compact invisible autour duquel elles gravitent. Ce sont leurs observations qui nous ont permis de savoir que derrière la source radio Sgr A* se cache un objet compact de 4,2 millions de masses solaires qui ne peut pas être autre chose qu'un trou noir.
Les observations de Andrea Guez et ses collaborateurs ont notamment été rendues célèbres par l'animation qu'ils ont produite, montrant l'évolution de la position des étoiles du groupe S autour du trou noir supermassif sur plus de 15 ans, où l'on voit les étoiles tourner autour de ... rien. Andrea Guez est donc la première femme à recevoir le prix Nobel de Physique dans le domaine de l'astronomie (et seulement la 4ème depuis que le Nobel existe...)
Les radioastronomes de l'Event Horizon Telescope savent maintenant ce qu'il leur reste à faire (imager l'ombre de l'horizon de Sgr A*) et ils savent aussi qu'ils devront attendre encore quelques longues années avant de recevoir à leur tour leur jolie médaille en or...
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