Quelle est vraiment la densité d'hydrogène neutre dans le voisinage du Soleil, c'est à dire dans le milieu interstellaire ? C'est à cette question que se sont attaqués des astrophysiciens américains pour départager deux mesures antérieures discordantes. Pour y répondre, ils ont exploité des mesures des flux de particules effectuées par la sonde New Horizons qui explore les confins du système solaire. Ils publient leurs résultats dans The Astrophysical Journal.
Le milieu interstellaire n'est pas vide, il est rempli de photons et de neutrinos comme le milieu intergalactique, mais aussi d'atomes d'hydrogène (proton+électron), avec une densité très faible, mais mesurable avec nos instruments. L'idéal pour mesurer cette concentration serait de sortir complètement de la zone d'influence du Soleil, l'héliosphère, comme l'ont fait les deux sondes Voyager. Mais il est également possible de déduire la densité d'hydrogène interstellaire en mesurant l'hydrogène neutre au fur et à mesure que l'on se rapproche de la frontière immatérielle de l'héliosphère.
Car l'héliosphère est une sorte de bulle magnétique produite par le Soleil qui dévie les particules chargées électriquement et les empêche partiellement d'y pénétrer (protons ou ions lourds), mais les atomes neutres, eux, y sont insensibles et la traversent allègrement. On estime que plus de la moitié du gaz interstellaire dans le voisinage du Soleil se trouve sous forme neutre.
Mais lorsque ces atomes d'hydrogène parviennent de l'autre côté de l'héliopause, ils sont rapidement ionisés soit par la lumière, soit par les protons du Soleil (le vent solaire).
Ce sont ces ions d'hydrogène fraîchement créés et issus des atomes neutres que Pawel Swaczyna (Princeton University) et ses collaborateurs ont mesurés avec l'instrument SWAP (Solar Wind Around Pluto) de New Horizons. Ces ions peuvent être discriminés des protons du vent solaire par leur énergie bien plus élevée. Le nombre d'ions "frais" détecté à une certaine localisation de la sonde est proportionnel à la densité d'hydrogène neutre au delà de l'héliosphère. Les chercheurs calculent la densité d'hydrogène neutre à l'endroit où le vent solaire bute contre le milieu interstellaire, et où il est ralenti brutalement, ce que l'on appelle le "choc de terminaison".
La valeur qu'ils obtiennent pour la densité de l'hydrogène neutre du milieu interstellaire à cette localisation vaut 0,127 atome/cm3, ce qui peut se voir comme une densité de 1 atome d'hydrogène dans un cube d'espace de 2 cm de côté. Ce n'est pas vide, mais ce n'est pas très dense non plus !...
En 2001, une estimation à partir de données de la sonde Voyager 2 sur le ralentissement du vent solaire avait été effectuée et trouvait une valeur très proche pour cette densité d'hydrogène neutre, mais quelques années plus tard, une autre évaluation plus proche du Soleil mais avec une méthodologie plus directe, avec la sonde Ulysses, trouvait cependant une valeur inférieure: de l'ordre de 0,090 atome/cm3. Les nouveaux résultats plus précis issus de New Horizons viennent donc plutôt confirmer les premiers résultats de Voyager 2.
Les données de la sonde Ulysses semblaient sujets il est vrai à de plus fortes incertitudes, ces mesures étant effectuées à une distance du Soleil relativement proche (en deçà de l'orbite de Jupiter), où les protons énergétiques venus des atomes neutres de l'extérieur du système solaire deviennent de plus en plus rares et ont subi une grosse "filtration" dans l'héliosphère, menant à une incertitude importante. Swaczyna et son équipe montrent en effet qu'un des paramètres de l'étude d'Ulysses était en fait sous-estimé de 35%. En corrigeant la valeur de ce paramètre, on retombe sur une valeur de densité de l'hydrogène neutre au niveau du choc de terminaison qui est cohérente entre les trois mesures différentes, environ 0,125 atome/cm3. La localisation très éloignée de New Horizons (aujourd'hui à 49 UA de la Terre), similaire à celle de Voyager 2 par rapport à Ulysses, a fait ici la différence.
A partir de la densité atomique au choc de terminaison, les astrophysiciens peuvent calculer quelle doit être la densité d'hydrogène neutre au delà de l'héliopause, dans le milieu interstellaire et si le Soleil n'existait pas, c'est à dire sans aucune perturbation. Ils trouvent la valeur de 0,195 ± 0,033 atome/cm3, soit 1 atome d'hydrogène dans un volume de 5,1 cm3 (où si vous préférez : 195 atomes dans un litre d'espace interstellaire, une valeur qui se trouve d'ailleurs cohérente avec ce qui peut être observé dans des "nuages" interstellaires à proximité du Soleil. On peut s'amuser à comparer cette valeur de 195 atomes par litre d'espace interstellaire avec le nombre d'atomes dans un litre d'eau sur Terre par exemple (hydrogène+oxygène), qui vaut 1026 atomes par litre (100 millions de milliards de milliards par litre !), une idée du "vide" qui existe entre les étoiles.
Source
Density of Neutral Hydrogen in the Sun's Interstellar Neighborhood
P. Swaczyna et al.
The Astrophysical Journal Volume 903, Number 1 (30 october 2020)
Illustration
Vue d'artiste de l'héliosphère (K. Dialynas et al/Nature)
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