La collaboration IceCube vient de mettre en évidence pour la première fois l'existence d'un antineutrino électronique d'origine astrophysique avec une énergie égale à 6,3 PeV. Cette détection unique est fondée sur un processus physique prédit il y a 60 ans, la résonance de Glashow, et elle conforte au passage le modèle standard de la physique des particules. Une étude parue dans Nature.
Le physicien Sheldon Glashow, qui fut nobélisé en 1979 pour sa contribution à la théorie unifiant les interactions faible et électromagnétique (en compagnie de Abdus Salam et Steven Weinberg), avait prédit dès 1960 l'existence d'un phénomène de résonance lorsqu'un antineutrino électronique ayant une énergie bien particulière rencontre un électron. L'échange d'un boson, le médiateur de l'interaction faible doit alors produire des muons via une désintégration hadronique. Dans son article de 1960, Glashow ne connaissait pas le boson W- que l'on connaît aujourd'hui. Il n'avait pu faire qu'une hypothèse sur le type de médiateur entre antineutrino électronique et électron, et donc une hypothèse sur sa masse. Il avait ainsi considéré que la masse du boson impliqué dans cette résonance était de l'ordre de celle du méson K (ou kaon) et avait trouvé une énergie résonante de 2 TeV. On n'apprit que bien plus tard, en 1983, que le boson W- avait une masse de 80,38 GeV, bien plus élevée que les 493,7 MeV du méson K. Les équations du processus de Glashow donnaient alors une énergie de résonance dans le référentiel au repos de l'électron, de 6,3 PeV, environ 500 fois plus élevée que l'énergie maximale atteignable au LHC actuellement. Autant dire qu'aucune expérience terrestre pouvait prouver le processus résonant de Glashow des antineutrinos électroniques sur les électrons...
Mais pourtant il existe des neutrinos ultra-énergétiques... Ce sont ceux qui sont produits dans des Pevatrons, des accélérateurs astrophysiques naturels comme le voisinage proche des trous noirs. Et le grand détecteur IceCube situé en Antarctique doit pouvoir détecter ces très rares neutrinos. L'article publié dans Nature apporte cette découverte fondamentale. Les physiciens des astroparticules ont en effet analysé un signal singulier détecté en 2016 qu'ils ont surnommé (comme à leur habitude pour les événements de ce type) Hydrangea . Ils montrent que la gerbe de particules secondaires produites dans la glace avec sa morphologie particulière ne peut provenir que de muons négatifs avec une énergie totale égale à 6,05 ± 0,72 PeV. Exactement l'énergie de résonance du processus de Glashow, à l'incertitude près, et les particules secondaires attendues. Cette détection, outre que c'est la première fois que l'on observe cette résonance particulière entre antineutrino et électron, indique également avec une absolue certitude l'origine astrophysique de cet antineutrino, et montre également avec 100% de certitude qu'il existe des antineutrinos électroniques dans le flux des neutrinos et antineutrinos produits par les Pevatrons. Cette preuve observationnelle du processus de Glashow est une jolie preuve supplémentaire de la robustesse du modèle standard de la physique des particules, qui l'avait prédit depuis des décennies.
L'astronomie des neutrinos va pouvoir bénéficier de cette découverte, car cette signature unique permet de distinguer clairement des antineutrinos (si ils ont la bonne énergie) de neutrinos, de quoi faire le tri parmi les processus physiques qui les produisent dans les grands accélérateurs cosmiques. IceCube avait détecté ses premiers neutrinos astrophysiques dès 2013, seulement 2 ans après sa mise en service et a pu depuis identifier deux sources astrophysiques pour des neutrinos ultra-énergétiques (ou antineutrinos, car ils étaient non discernables) : un blazar et une destruction d'étoile par un trou noir. Ce neutrino de Glashow détecté en 2016 est le troisième plus énergétique attrapé par IceCube (avec une énergie supérieure à 5 PeV) et le premier dont on peut affirmer sans se tromper qu'il s'agit d'un antineutrino et non d'un neutrino.
L'objectif des chercheurs de IceCube, avec la prochaine amélioration de leur détecteur géant (un volume de détection multiplié par 10), est maintenant de détecter toujours plus de spécimens de ultra-haute énergie, et pourquoi pas d'autres antineutrinos de 6,3 PeV dans le lot. Ils veulent surtout pouvoir mieux caractériser le flux de neutrinos qui arrive sur Terre, et notamment connaître le ratio antineutrinos/neutrinos. Ce paramètre crucial devrait permettre d'étudier les propriétés des accélérateurs cosmiques que sont les Pevatrons, comme leur taille ou la puissance de leur champ magnétique par exemple, et les mécanismes de production et d'accélération des protons qui sont à l'origine de ces (anti)neutrinos. Un point très intéressant qui est également notable dans ces détections de IceCube, c'est qu'elles permettent une bonne détermination de la direction d'incidence du neutrino détecté, ce qui ouvre la voie à des détections en coïncidence spatiale, temporelle (ou les deux) de photons, voire d'ondes gravitationnelles. L'astrophysique du 21ème siècle...
Quant à Sheldon Glashow, aujourd'hui professeur émérite à l'Université de Boston et âgé de 88 ans, qui n'imaginait certainement pas voir un jour ce qu'il avait trouvé théoriquement lorsqu'il était en postdoc à Copenhague il y a 60 ans, a simplement dit en apprenant la nouvelle : "Pour être absolument sûr, il faudra voir un autre événement avec exactement la même énergie que celui-ci. Pour l'instant il y en a un et un jour il y en aura d'autres..."
Source
Detection of a particle shower at the Glashow resonance with IceCube
The IceCube Collaboration
Nature volume 591 (10 march 2021)
Illustrations
1) Forme de l'événement Hydrangea, produit par résonance de Glashow d'un antineutrino sur un électron (Collaboration IceCube)
2) La partie émergée du laboratoire IceCube (John Hardin, ICECUBE/NSF)
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