Une mesure d'un nouveau type permettant de déterminer la constante de Hubble Lemaitre H0 vient confirmer les mesures obtenues grâce aux Cépéides et aux supernovas Ia, renforçant la grosse tension qui existe en cosmologie. Une étude publiée dans The Astrophysical Journal.
Les mesures se suivent et se ressemblent. Actuellement, il existe deux grandes familles de valeurs mesurées pour le taux d'expansion actuel de l'Univers, qu'on appelle la constante de Hubble Lemaitre (H0). Il y a celles qui sont de l'ordre de 67,5 km/s/Mpc qui ont le point commun d'être déduites à partir de ce qui est observé dans l'Univers très jeune (le fond diffus cosmologique et les oscillations acoustiques baryoniques), et celles, de plus en plus nombreuses, qui trouvent une valeur proche de 73,5 km/s/Mpc et qui ont en commun d'être reliées à l'Univers plus proche de nous, même si c'est de moins en moins le cas (Céphéides, supernovas Ia, délais temporels de lentilles gravitationnelles, ...).
John P. Blakeslee (NOIRLab) et ses collaborateurs ont exploité une toute nouvelle méthode pour déterminer la constante de Hubble-Lemaitre de façon indépendante des méthodes employant les supernovas. Celle-ci utilise, pour mesurer la distance, la fluctuation de la luminosité moyenne en infra-rouge des étoiles dans des galaxies elliptiques géantes.
Dans cette nouvelle méthode, Blakeslee et ses collègues ont mesuré les fluctuations de luminosité de surface de 63 galaxies elliptiques pour en tirer leur distance. H0 est ensuite obtenue en divisant la vitesse (calculée à partir du décalage vers le rouge qui est déterminé de manière intelligente à la fois sur des groupes de galaxies et sur les galaxies seules pour s'affranchir au mieux des vitesses propres des galaxies) par cette distance.
Et les galaxies utilisées dans cette mesure sont relativement lointaines puisqu'elles s'étalent entre 15 et 99 Mpc (donc jusque 320 millions d'années-lumière). La méthode est fondée sur le fait que les galaxies elliptiques possèdent une population cohérente de vieilles étoiles, la plupart des géantes rouges, qui donnent une luminosité moyenne sur leur surface. C'est avec le Wide Field Camera 3 du télescope spatial Hubble que les chercheurs ont enregistré des images à haute résolution dans l'infra-rouge et ont mesuré comment chaque pixel de l'image fluctuait par rapport à la moyenne de la galaxie imagée. Plus ces fluctuations sont douces et plus la galaxie est lointaine. Il faut auparavant effectuer de multiples corrections, comme supprimer de l'analyse les régions de formation stellaire par exemple. Parmi ces 63 galaxies, 43 viennent d'un relevé dédié à l'étude des 100 galaxies proches les plus massives (jusqu'à une distance de 100 Mpc), un relevé qui est bien nommé MASSIVE, et dont le but initial était d'évaluer la masse de leur trou noir supermassif, et les 20 autres sont issues d'un autre relevé de Hubble, focalisé sur des grandes galaxies dans lesquelles avaient été détectées des supernovas.
Les astrophysiciens trouvent une valeur de 73,3 ±2,5 km/s/Mpc.
Rappelons que la valeur de H0 déduite des fluctuations du fond diffus cosmologique en appliquant les équations du modèle cosmologique standard est de 67,4 ±0,5 km/s/Mpc et que la valeur moyenne des autres types de mesures locales est de 73,5 ±1,4 km/s/Mpc. La mesure la plus précise obtenue avec des supernovas de type Ia par le prix Nobel Adam Riess valant 73,2 ±1,3 km/sec/Mpc. Cette nouvelle valeur est donc très proche même si un peu moins précise. La force de la méthode de la fluctuation de luminosité des galaxies, c'est qu'elle est complètement indépendante des supernovas. Par contre, elle n'est pas forcément indépendante des Céphéides, qui sont aussi utilisées dans l'évaluation avec les supernovas. Il faut en effet un moyen de calibrer la distance dans cette nouvelle méthode, avoir un point de repère, un point zéro, comme pour les autres méthodes de détermination de distance. Mais Blakeslee et ses collaborateurs ont utilisé deux moyens de calibration différents pour comparer les résultats : les Céphéides d'une part et ce qu'on appelle l'extrémité de la branche des géantes rouges d'autre part (ou TRGB : Tip of the Red Giant Branch), deux méthodes de détermination de la distance très différentes. La première repose sur la période de pulsation des étoiles Céphéides qui se trouve être proportionnelle à leur luminosité intrinsèque, et la seconde repose sur la luminosité particulière, toujours identique, des étoiles géantes rouges lorsqu'elles arrivent en fin de phase de combustion de l'hélium. Dans les deux cas leur observation permet de déterminer leur distance. Il suffit alors d'avoir en même temps une Céphéide ou une géante rouge du bon âge dans une galaxie elliptique pour relier une valeur de distance de calibration aux fluctuations de luminosité qui sont observées qui donnent une autre valeur de distance, qu'on pourra alors ajuster pour ne plus utiliser qu'elles par la suite.
Avec ces deux types de calibrations très différentes, les valeurs de H0 que trouvent Blakeslee et ses collaborateurs valent respectivement 73,44 et 73,20 km/s/Mpc avec les Céphéides et avec les TRGB. En d'autres termes, par ces mesures, les chercheurs rendent robustes simultanément à la fois les mesures effectuées via les supernovas (qui trouvent la même valeur de H0), les mesures des Céphéides et les mesures des TRGB (qui permettent de trouver une valeur identique), et les mesures de fluctuation de luminosité (qui trouvent la même valeur que les supernovas).
Le résultat est extrêmement intéressant car il fournit une nouvelle preuve observationnelle de la grosse tension qui existe aujourd'hui sur le modèle cosmologique concernant la prédiction du taux d'expansion actuel de l'Univers. Et l'objectif de l'équipe de Blakeslee, en plus d'apporter une nouvelle valeur au puzzle, c'est aussi d'offrir sur un plateau une méthode de détermination de H0 complètement indépendante des supernovas et des Céphéides, afin de pouvoir faire cette mesure toujours plus loin dans l'espace-temps. En montrant qu'ils obtiennent le même résultat lorsqu'ils calibrent leur méthode avec des Céphéides et avec des TRGB, les astrophysiciens montrent que l'on peut utiliser facilement la méthode de la fluctuation de luminosité de surface des galaxies avec juste quelques TRGB pour la calibrer, ce qui permet d'envisager de regarder très loin dans le passé (où l'on ne voit plus de Céphéides et peu de supernovas), notamment avec le télescope spatial Webb, et aussi bien sûr de réduire drastiquement les incertitudes associées à la valeur déterminée de H0 jusqu'à une incertitude comparable à celle obtenue par Planck en observant le fond diffus cosmologique...
Source
The Hubble Constant from Infrared Surface Brightness Fluctuation Distances
John P. Blakeslee et al.
à paraître dans The Astrophysical Journal
Illustrations
1) NGC1453 située à 166 million d'années-lumière, une des 63 galaxies utilisées pour la nouvelle détermination de la constante de Hubble-Lemaitre (Carnegie-Irvine Galaxy Survey)
2) Diagrammes de Hubble et valeur de la pente (H0) obtenus par les auteurs pour deux méthodes de détermination de la vitesse de récession (Blakeslee et al.)
Bonjour,
RépondreSupprimerVous pouvez m'expliquer pourquoi ces 2 valeurs de H0 ne sont pas compatibles entre elles alors qu'on sait que l'univers est en expansion accélérée ?
Dans le passé lointain, on a une faible valeur de H0 puis l'expansion de l'univers s'accélèrant, on a une valeur de H0 plus importante pr l'univers "actuel". Ça me paraît logique donc où est la faille dans ce raisonnement ?
Merci d'avance.
Bonjour. Vous faites l'erreur classique. Ce qui évolue dans le temps et qui montre une accélération, c'est le paramètre H(z): le taux d'expansion en fonction du temps cosmique (en fonction du redshift). H0 est une constante, c'est la valeur de H(z) quand z=0, c'est l'ordonnée de la courbe H=f(z) à l'origine. H0 ne peut pas varier. Les valeurs différentes qui sont obtenues proviennent des façons de la calculer. Dans un cas par une mesure quasi directe : vitesse+distance et dans l'autre en analysant les fluctuations du fond diffus cosmologique et en appliquant les ingrédients de modèle pour en deduire H(z) et donc H(0). J'espère vous avoir éclairé.
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerMerci pour l'explication, c'est très clair.
Par contre, savez-vous où je peux trouver cette courbe de variation du taux d'expansion en fonction de z? (juste par curiosité)
Je vous propose le petit exercice de construire cette courbe par vous même à partir de l'équation de Friedmann :
RépondreSupprimerOn a H(a) = H0 * racine[Omega_r/a^4 + Omega_M/a^3 + Omega_k/a^2 + Omega_Lambda ]
avec le facteur d'échelle a qui peut s'exprimer en fonction du redshift par : a = 1 /(1+z), et pour les constantes, prenez les valeurs suivantes :
Omega_r = 0.001 (radiation)
Omega_M = 0.27 (matière)
Omega_k =0 (courbure)
Omega_Lambda = 0.73 (constante cosmologique)
(le signe ^ dénote la puissance)
J'adore votre réponse :)
RépondreSupprimerJ'ai fait l'exercice cependant j'ai quelques doutes sur le résultat car j'ai trouvé une courbe (http://www.astrosurf.com/luxorion/cosmos-expansion-hubble.htm) mais la mienne ne correspond pas... cependant quel H0 utilisé? celui à ~67 ou celui à ~73? j'ai testé avec les 2 et ça ne change pas la forme générale de la courbe.
Si on est bien d'accord que le terme Omega_k/((1/1+z)^2) vaut zéro pour une courbure nulle, J'arrive à l'équation suivante :
H(1/(1+z))=H0*RACINE((0,001/((1/(1+z))^4))+(0,27/((1/(1+z))^3))+0,73)
J'ai créée la courbe en partant de z=0 (aujourd'hui) à z=1100 (valeur de z au CMB, trouvée sur le net) et j'obtiens une courbe en banane (z=0 donne ~H0 et Z=1100 donne ~3.000.000).
Je sais pas si je suis très clair mais je suis un peu déçu d'avoir raté l'exercice... Je vais continuer à chercher, doit y avoir un histoire de logarithme quelque part, non?
Votre courbe m'a tout l'air d'être correcte. Environ 3 millions au moment du CMB. Et vous devez avoir une valeur environ 5% plus grande que H0 pour z=0.1.
RépondreSupprimerPour la valeur de H0 à utiliser, c'est à votre convenance puisqu'il y a 2 écoles ;-) Ma préférence personnelle va à 73,2 km/s/Mpc (j'aime les modèles mis en défaut).
Alors la courbe qu'on peut voir sur la page dont vous mettez le lien, ça ne représente pas le taux d'expansion H(z), mais ça représente la vitesse d'expansion (il y a une petite confusion dans le terme utilisé), c'est à dire la dérivée du facteur d'échelle a : da/dt, qui peut se tracer facilement à partir de votre courbe H(z) en multipliant H par a (la définition de H c'est H=(da/dt)/a). Dans cette figure attention aussi l'abscisse n'est pas le redshift mais l'âge (distance lumière). La fonction qui relie âge et redshift est un peu complexe (je vous l'épargne, mais vous pouvez retrouver cette fonction ici : https://www.ca-se-passe-la-haut.fr/2015/12/en-quete-des-toutes-premieres-galaxies.html). En laissant l'abscisse en redshift, vous verrez que la courbe passe par un minimum vers z=0.6 ce qui correspond à il y a environ 6 milliards d'années. A noter que la figure d'astrosurf couvre un redshift qui va seulement jusqu'à 2 (10 milliards d'années). Ce minimum correspond au début de l'accélération de l'expansion, quand lambda devient dominante...
Merci pour toutes ces explications.
RépondreSupprimerJe retrouve effectivement la même courbe qu'Astrosurf en multipliant H par a avec un minimum vers z=0,6.
A-t-on une idée de pourquoi la vitesse d'expansion a diminué comme ça avant de repartir à la hausse?
PS : je me suis bien amusé avec votre réponse, il y a peut être quelque chose à creuser pour stimuler/attirer les lecteurs et nous rendre encore plus accroc à votre blog ;)