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samedi 18 décembre 2021

536 sursauts radio rapides (FRB) publiés dans le premier catalogue de CHIME/FRB


On aura encore pas mal parlé de FRB (Fast Radio Burst) cette année, tout d’abord le 26 février avec une étude consacrée au FRB de notre galaxie FRB 200428 (ep 1138) puis le 20 avril avec la découverte d’un FRB observable dans les basses fréquences qui se trouvent être décalées dans le temps (ep 1165 ). Et le 28 mai, je vous relatais la localisation de 8 sursauts radio dans des bras spiraux de galaxies (ep. 1184) puis le 25 août ce fut une détection d’un FRB répétitif avec les fréquences les plus basses jamais observées (ep 1211). Et nous avons poursuivis le 3 octobre avec la découverte du 7ème FRB répétitif (ép 1228 ) puis le 14 octobre avec la publication de plus de 1600 sursauts provenant de la même source, le FRB répétitif le plus productif (FRB 20121102), détectés avec le radiotélescope géant FAST, avec à la clé de nouvelles caractéristiques étonnantes (ép. 1233), et enfin 26 octobre, avec de nouvelles données éclairantes sur le FRB extragalactique le plus proche de nous (ép. 1237).
Pour clore cette année sous le signe de ces mystérieux sursauts radio dont on commence un peu à mieux comprendre l’origine possible, nous allons évoquer la nouvelle publication de la collaboration leader du domaine, j’ai nommé CHIME/FRB. Les chercheurs publient aujourd’hui rien de moins que la détection de 536 sursauts radio rapides durant une année pleine. Cela fait en moyenne plus de 10 par semaine ! Presque 2 par jour...  Ce grand nombre de détections localisées et caractérisées leur permet de construire le premier catalogue détaillé, sur lequel on peut maintenant faire des études statistiques. L’article est paru dans The Astrophysical Journal Supplement Series, et il est accompagné de deux autres articles dédiés à des études statistiques sur la distribution et sur la morphologie des signaux détectés, dans The Astrophysical Journal

Bien que le premier sursaut radio rapide (FRB) ait été découvert il y a près de 15 ans (par Lorimer et al.), la nature de ces sources reste encore non confirmée. Aujourd'hui, on sait avec certitude qu'ils proviennent de galaxies lointaines, généralement à des distances cosmologiques. Les FRBs, de par leur très grande luminosité radio et leur échelle de temps de quelques millisecondes, sont des phénomènes cosmiques forcément portés par des environnements extrêmes. De plus, les taux d’occurrence qui sont calculés indiquent qu’il s’agit d’un phénomène omniprésent.
Or, on possède un indice pour comprendre (ou au moins essayer de comprendre) l’origine des FRBs : c’est que certains se répètent, et on en connaît même deux qui le font avec activité périodique (fenêtrée). La répétition exclut donc les modèles cataclysmiques, de type explosions d’astres, au moins pour les sources de FRB répétitifs. Mais on ne sait pas si tous les FRB seraient en fait des sources répétitives, avec pourquoi pas des temps d'attente très différents entre les répétitions. De plus, les deux FRBs répétitifs localisés dont les galaxies hôtes ont des propriétés qui ont été mesurées (Chatterjee et al. en 2017 ; Marcote et al. en 2020) se trouvent dans des galaxies de type "tardif », c'est à dire à forte formation stellaire, alors que les localisations de FRB non répétitifs (apparents) indiquent que ces sources peuvent parfois résider dans des galaxies avec une formation stellaire modeste ou faible.
L’idée qui est aujourd’hui la plus en vogue pour la source des FRB fait appel à des magnétars jeunes et actifs. Cette idée a été grandement renforcée l’année dernière avec la détection d’un FRB dans notre galaxie, qui se trouvait être en coïncidence spatio-temporelle avec une éruption de rayons X d’un magnétar (SGR 1935+2154). C'était FRB 200428. Cela serait cohérent avec le fait de trouver des FRB dans des régions à forte formation stellaires (formations d’étoiles massives qui explosent rapidement, produisant des magnétars). 
Il serait très intéressant de pouvoir comparer les taux d’occurrence des FRB avec ceux des éruptions de magnétars pour tenter de trouver des corrélations. Mais pour faire de telles études statistiques, il faut connaître un grand nombre de FRB, et c’est là que les travaux de CHIME/FRB apportent une grosse pierre à l’édifice. Des études détaillées d'un grand échantillon de FRBs provenant d'un seul relevé, répétitifs ou non, sont clairement d'une grande valeur. Un tel relevé, combiné avec des relevés de galaxies peut ainsi permettre de rechercher des corrélations, par exemple des variations avec le redshift (le distance cosmique), ou bien d’étudier les effets de la propagation des ondes radio des FRB dans leur environnement. L'analyse des distributions de la mesure de dispersion, notamment en comparant les répétitifs et les non-répétitifs (apparents), peut révéler des localisations et des environnements différents, tout comme la recherche de différences dans les temps de diffusion ou les largeurs de bande. De nombreuses corrélations entre les paramètres peuvent aussi être étudiées avec un échantillon suffisamment grand. Mais jusqu’à présent, toutes les études qui ont été menées n’ont pas pu exploiter un nombre de FRB suffisant.
Les données publiées aujourd’hui compilent les détections de CHIME/FRB (Canadian Hydrogen Intensity Mapping Experiment Fast Radio Burst), une antenne qui est installée en Colombie Britannique, dans l'Ouest canadien, là  même où il a fait 50°C l'été dernier... Ce radiotélescope d'apparence très simple travaille sur la bande de fréquences comprise entre 400 et 800 MHz. Les observations ont été effectuées entre le 25 juillet 2018 et le 1er juillet 2019. Les radioastronomes ont détecté en tout 536 sursauts radio rapides sur cette période. Parmi tous ces sursauts, 474 sont des sursauts uniques et 62 proviennent de 18 sources répétitives précédemment connues. Mention spéciale pour le 19 novembre 2018 qui a vu apparaître 5 FRB dans la même journée, provenant de 5 sources différentes (dont 2 répétitives, parmi lesquelles le très productif FRB20121102).

Puisque le catalogue comporte des FRB répétitifs et des FRB non répétitifs, il est intéressant d’essayer de trouver des différences entre ces deux classes. Les chercheurs de la collaboration montrent que les deux classes de FRB ont des positions dans le ciel et des mesures de dispersion (l’étalement du signal en fonction de la fréquence) qui sont cohérentes avec le fait d'être tirées de la même distribution. Mais, les sursauts répétitifs diffèrent des non répétitifs apparents par leur largeur temporelle intrinsèque et leur largeur de bande spectrale. Tiens tiens… intéressant ! A partir de l’analyse du taux de détection qu’ils obtiennent et connaissant la sensibilité de leur radiotélescope, les chercheurs peuvent estimer la valeur du nombre de FRB qui doivent apparaître quotidiennement dans tout le ciel (au-dessus d’une fluence de 5 Jy et à la fréquence de 600 Mhz) : 820 ±200 par jour !
C'est donc le plus grand échantillon de FRBs jamais réalisé, augmentant l'échantillon précédent par un facteur 4. Pour chaque burst, les chercheurs de CHIME/FRB fournissent les propriétés détaillées de l'impulsion ainsi que sa localisation. Cet échantillon a également permis une comparaison directe entre les sursauts de sources répétitives et les sursauts de sources dont on n'a pas observé la répétition jusqu'à présent. On constate que les signaux répétitifs et les non-répétitifs apparents présentent des caractéristiques (distributions de mesures de dispersion, diffusion, localisation dans le ciel et intensité du signal) qui sont cohérentes avec le fait qu'ils proviennent tous de la même population sous-jacente. Mais, les chercheurs peuvent aussi affirmer qu'il existe des différences dans la morphologie temporelle et spectrale intrinsèque entre les deux populations. Pour les chercheurs de la collaboration, cela pourrait suggérer que les FRB uniques et répétitifs pourraient en fait former des populations distinctes, ou peut-être que le taux de répétition est fortement corrélé avec la morphologie des signaux.

Le riche ensemble de données fournies par le catalogue 1 de CHIME/FRB a commencé à être exploré dans des études détaillées par l'équipe canadienne. Les deux premières à être publiées concernent tout d'abord les statistiques de la morphologie spectro-temporelle des sursauts, sources répétitives et non répétitives (Pleunis et al. 2021).  La seconde se penche sur la distribution des FRBs dans le ciel par rapport au plan galactique (Josephy et al. 2021). La collaboration a également déjà soumis deux autres articles pour publication : une analyse de corrélation croisée des sources du catalogue avec les catalogues de galaxies, et une étude détaillée de la distribution conjointe de la mesure de dispersion et de la diffusion. Et de nombreux autres sont déjà planifiés. 

Il ne reste plus maintenant à la communauté astrophysique qu'à utiliser ce premier catalogue de FRB pour produire de nouvelles interprétations des premiers résultats, et pour d'autres finalités. La collaboration CHIME/FRB profite d'ailleurs de la publication de ce catalogue pour mettre en place un système d'alerte en temps réel pour donner l'info à la communauté dès qu'un FRB est détecté, afin qu'un suivi rapide en multiples longueurs d'ondes puisse être effectué, toujours dans un effort continu pour parvenir à déterminer l'origine de ces sources énigmatiques.

Source

The First CHIME/FRB Fast Radio Burst Catalog
The CHIME/FRB Collaboration, 
The Astrophysical Journal Supplement Series, Volume 257, Number 2 (7 december 2021)


Illustrations

1. L'antenne de CHIME/FRB (Collaboration CHIME)
2. Carte de localisation des 536 FRB détectés par CHIME/FRB (Collaboration CHIME)

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