mardi 20 avril 2021

FRB répétitifs : découverte de sursauts de fréquences plus basses et décalés dans le temps


C'est encore de FRB dont nous allons parler aujourd'hui. L'équipe canadienne de CHIME/FRB, celle-là même qui a découvert le sursaut de FRB 20200428 provenant d'un magnétar dont nous parlions hier, publie aujourd'hui une découverte plus qu'intéressante : la mesure d'un FRB répétitif à la fréquence la plus basse jamais détectée, ainsi qu'une dépendance temporelle entre les différentes fréquences.  Une étude publiée dans The Astrophysical Journal Letters.

Il s'agit du FRB numéroté 20180916B qui avait été le tout premier FRB découvert par CHIME/FRB le 16 septembre 2018. Et ce sursaut rapide s'est très vite montré fort intéressant car il était répétitif, ce qui a permis de le localiser assez précisément par la suite en 2020 grâce à des mesures en interférométrie à très longue base. C'était la deuxième localisation d'un FRB après celle de FRB121102. Il a été montré qu'il se trouve dans le bras d'une galaxie spirale située à 150 Mpc (500 millions d'années-lumière). 
Ziggy Pleunis (Université McGill à Montréal) et ses collaborateurs ont étudié de près les pulsations répétées de  FRB 20180916B et pas uniquement avec leur radiotélescope spécialisé. Ils ont également fait appel au radiotélescope européen LOFAR (Low Frequency Array) situé aux Pays-Bas. Ce qu'ils ont découvert risque de bousculer un peu les théoriciens qui cherchent à mettre le doigt sur le processus physique qui produit ces sursauts radio très courts. Pleunis et ses collaborateurs ont trouvé que les sursauts radio contiennent des ondes radio qui ont des fréquences bien plus basses que toutes celles qui avaient été mesurées jusque là.  
Jusqu'à aujourd'hui, les sursauts radio de FRB avaient détectés à une fréquence qui descendait jusqu'à 300 MHz. Pleunis et ses collaborateurs de CHIME et de LOFAR ont détecté 18 sursauts dont certains sont visibles jusqu'à 110 MHz (la plage de détection de LOFAR est comprise entre 110 et 188 MHz). Les chercheurs estiment que ces émissions doivent même descendre plus bas encore.

Cela va à l'encontre de certaines théories qui prédisaient que toutes les basses fréquences devaient être absorbées très vite par le milieu environnant. Il n'en serait donc rien et la région entourant la source de ces sursaut serait donc transparente aux émissions à basse fréquence.
Comparées aux plus hautes fréquences, les basses fréquences montrent une largeur temporelle de sursaut plus grande (~40–160 ms à 150 MHz) et des plus faibles fractions de polarisation linéaire. Ces effets pourraient être produits par de la diffusion. La valeur des variations de la mesure de rotation de Faraday (la rotation de la polarisation des ondes électromagnétiques sous l'effet du champ magnétique), de l'ordre de 3 rad/m² peut être corrélée avec le cycle d'activité de la source selon Pleunis et ses collaborateurs. 
Mais il y a mieux et encore plus étonnant ! Les chercheurs ont comparé les temps d'arrivée des sursauts détectés par LOFAR avec 38 sursauts précédemment détectés par CHIME (entre 400 et 800 MHz) et un autre radiotélescope (uGMRT, entre 200 et 450 MHz)) ainsi que 22 nouveaux sursauts. Résultat : les sursauts ne coïncident pas ! Pleunis et ses collaborateurs observent l'existence d'un délai temporel systématique d'environ 3 jours entre les plus hautes fréquences (détectées par CHIME) et les plus basses fréquences (détectées par LOFAR).  Cette découverte surprenante d'un délai systématique de plusieurs jours entre différentes fréquences radio remet complètement en question les explications imaginées jusqu'à aujourd'hui pour expliquer les activités périodiques de ce FRB répétitif, qui ne prédisent pas une telle dépendance en fréquence. Ce FRB semblait montrer en effet une activité de ces sursauts (groupés) avec une périodicité de 16,35 jours (et dont nous avions parlé en juin 2020).

Les chercheurs proposent une solution pour expliquer le comportement des sursauts rapides qui sont observés. Il pourrait s'agir selon eux d'un système binaire composé d'une étoile à neutrons fortement magnétisée (pulsar ou magnétar) et d'une étoile massive en interaction. Le vent stellaire ionisé produit par l'étoile massive compagne viendrait interagir dans la magnétosphère de l'étoile à neutrons et y produirait des reconnexions magnétiques engendrant les brusques sursauts radio. La périodicité d'activité de 16,3 jours qui est observée correspondrait à la période orbitale du couple. 
Dans ce modèle, les sursauts seraient seulement visibles dans une ouverture où le vent du pulsar vient percer le vent de la compagne, qui reste sinon opaque à l'émission FRB. Le délai temporel entre les différentes fréquences correspondrait à une zone un peu différente du vent de particules entourant le pulsar ou du vent de la compagne. Les fenêtres d'activité des sursauts dans le cas de FRB 20180916B durent entre 4 et 5 jours. Elles correspondraient aux moments où la trouée du vent stellaire et les lignes de champs magnétiques du pulsar (ou magnétar) se trouvent pointées vers la Terre. 
De tels systèmes binaires impliquant un pulsar et une étoile massive sont nombreux (ces objets sont nommés des HMXB : High Mass X ray Binary), on en connaît environ 200 dans notre galaxie. On pourrait alors se dire qu'on devrait voir de nombreux FRB répétitifs comme FRB 20180916B. Mais Pleunis et ses collaborateurs montrent que la géométrie très particulière qu'ils décrivent pour l'émission de FRB dans une HMXB rend de fait très rare la visibilité de ces sources de sursauts radio depuis la Terre. Il faut en effet une coïncidence avec la ligne de visée entre l'ouverture des vents stellaire et la queue magnétique du pulsar. 
Le modèle proposé par Pleunis et ses collaborateurs semble expliquer toutes les caractéristiques qui sont observées pour les sursauts rapides de FRB 20180916B mais les auteurs notent tout de même dans la partie 'discussion' de leur article qu'il existe toujours d'autres modèles qui ne font pas intervenir un système binaire et qui expliquent la période de 16,3 jours comme étant la période de rotation d'un magnétar sur lui-même (ou une période de précession) et non une période orbitale au sein d'un couple. Dans ce cas, la dépendance en fréquence de l'activité des sursauts serait interprétée comme un effet de mappage rayon-fréquence dans un cône d'émission qui parcourrait lentement la ligne de visée et qui peut-être "balayé" vers l'arrière à des altitudes plus élevées, produisant un délai temporel à des fréquences différentes...
Une image semble se dessiner à partir de cette découverte : les FRB qui se répètent avec une activité périodique pourraient bien être produits par des objets un peu différents de ceux des autres FRB...


Source

LOFAR Detection of 110–188MHz Emission and Frequency-dependent Activity from FRB 20180916B
Z. Pleunis et al.
The Astrophysical Journal Letters, Volume 911, Number 1 (9 april 2021)


Illustrations

1) Image de SDSS J015800.28+654253.0, galaxie hôte de FRB180916B (Gemini Observatory)

2) Fréquence des sursauts détectés en fonction du cycle d'activité pour les différents radiotélescopes (Pleunis et al.) 

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