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vendredi 7 janvier 2022

La surprenante variabilité d'une étoile observée par TESS


TIC 400799224 est un objet variable vraiment étrange. Ce couple d’étoiles situé à 725 pc a été découvert par hasard avec le télescope chasseur d’exoplanètes TESS (Transiting Exoplanet Survey) par une chute très rapide de luminosité de 25% en seulement quelques heures, suivie de plusieurs variations brutales. On pense aujourd’hui que quelque chose orbite l’une des deux étoiles en dégageant sporadiquement une énorme quantité de poussières, mais on se demande encore de quoi il peut s’agir, même si on a une première idée… L’étude est parue en décembre dernier dans The Astronomical Journal.

Le télescope TESS a été lancé en 2018 dans le but de découvrir des petites planètes autour des étoiles voisines les plus proches du Soleil. TESS a jusqu'à présent découvert 172 exoplanètes confirmées et compilé une liste de 4703 exoplanètes candidates. Sa caméra sensible prend des images qui couvrent un énorme champ de vision, plus de deux fois la superficie de la constellation d'Orion, et TESS a également permis d’assembler un catalogue d’objets variables, le TESS Input Catalog (TIC), contenant plus d'un milliard d'objets. Des études de suivi des objets du catalogue TIC ont révélé qu'ils résultent pour la majorité d’entre eux de pulsations stellaires, de chocs de supernovas, de planètes en désintégration, d'étoiles binaires auto-lentillées, ou d'occultations de disques. Des systèmes d’étoiles multiples à éclipse ont aussi pu être identifié dans ce catalogue comme par un exemple un système sextuple en 2021, mais aussi plusieurs systèmes quadruples et de nombreux triples.

Brian Powell (NASA Goddard Space Flight Center) et ses collaborateurs rapportent le suivi et l’analyse de TIC 400799224 après l’avoir dénichée dans le catalogue TIC à l'aide d'outils de calcul basés sur l'apprentissage automatique et développés à partir des comportements observés de centaines de milliers d'objets variables connus. Les astronomes ont étudié TIC 400799224 à l'aide de diverses installations, dont certaines cartographient le ciel depuis plus longtemps que TESS (ASAS-SN, Evryscope, Global Telescope de Las Cumbres Observatory, le Southern Astrophysical Research Telescope de 4,1 m et aussi le télescope de 1,5 m de l’Inter-American Observatory au Chili). Ils ont découvert notamment par des mesures spectroscopiques, que l'objet est probablement un système d'étoiles binaires séparées d’environ 300 unités astronomiques, et que l'une des étoiles montre une pulsation de sa luminosité avec une période de 19,77 jours.
Ils attribuent cette pulsation à un corps en orbite qui génère périodiquement des nuages de poussière qui viennent occulter l’une des deux étoiles. Mais alors que la périodicité de ces occultations de l'étoile par les nuages de poussière est très bien définie, les creux de luminosité se trouvent être totalement erratiques dans leur forme, leur profondeur et leur durée. Et les occultations ne sont curieusement pas détectables à chaque orbite : on les observe qu’environ un tiers du temps. Il n'existe que cinq autres cas où des occultations sporadiques ont été identifiées comme provenant de la désintégration de gros astéroïdes ou de petites planètes qui produisent des nuages de poussières : KIC 12557548, découvert par Rappaport et al. en 2012 puis compris dans les années qui suivirent, K2-22 (Sanchis-Ojeda et al. en 2015), WD 1145+017 (Vanderburg et al. en 2015), ZTF J0139+5245 (Vanderbosch et al. en 2020) et ZTF J0328-1219 (Vanderbosch et al. en 2021), les trois dernières impliquant une étoile naine blanche.


Mais TIC 400799224 a aussi d’autres caractéristiques qui diffèrent de ces spécimens. Pour les chercheurs, la nature du corps en orbite apparaît déroutante car la quantité de poussière produite est très importante. Ils ont étudié les trois solutions pour eux les plus plausibles pour expliquer ces obscurcissements qui vont de 37% à 75% selon l’étoile du couple qui est considérée comme l’hôte : (i) une désintégration par sublimation, (ii) des collisions avec un objet mineur de type planète produisant des nuages de poussière sporadiques, et (iii) le guidage d’un nuage de poussière par une planète. On peut penser qu’il pourrait s’agir de la désintégration d’un gros astéroïde comme Cérès par exemple, mais dans ce cas, le corps en question ne produirait que 4 tonnes de poussières par seconde selon les calculs de Powell et son équipe, alors qu’il faudrait une production de 1 million de tonnes par seconde pour expliquer ce qu’on voit. Cette première hypothèse de la désintégration d’une planète naine par sublimation est donc très difficile à soutenir. De même, l’hypothèse d’un guidage de débris par une planète, à l’image de ce que peut produire Neptune sur la ceinture de Kuiper, s’avère elle aussi peu probable : les occultations se produiraient avec des fréquences égales à des multiples entiers de la fréquence orbitale de la planète, elles seraient également très étendues en phase orbitale et ne produiraient que des modulations faibles de l’extinction, inférieures à un pour cent.
Powell et son équipe en arrivent donc à la conclusion que le scénario le plus probable est le deuxième, en raison principalement des contraintes de masse, de la périodicité persistante de l'objet sur une durée de six ans, et des profondeurs d'occultation très variables. D’après l’estimation de Powell et ses collaborateurs, la masse du nuage de poussière est d'environ 10 000 milliards de tonnes, soit 100 millions de fois moins que la masse de la Terre. Cette solution de collisions multiples sur un gros astéroïde a été imaginée par Jackson et al. en 2014 dans le contexte d'impacts géants dans des disques de débris optiquement minces en orbite autour de jeunes étoiles. Le scénario, qui est aussi mentionné par Vanderbosch et al. (2021) comme pouvant être pertinent pour la production de poussière dans ZTF J0328-1219, implique des collisions catastrophiques entre de grands corps dans un disque de débris. Une cohérence de phase à long terme (au moins des années), comme ce qui est observé ici dans les creux de luminosité nécessite un corps principal qui subit des collisions avec des corps mineurs, c'est-à-dire des collisions qui d’une part ne le détruisent pas, et d’autre part ne modifient pas sa période orbitale de base. Les collisions doivent être assez régulières (au moins 20 à 30 au cours des 6 dernières années) et se produire à la même phase orbitale que celle du corps principal. Les chercheurs considèrent, par exemple, qu'il y a un astéroïde de 100 km sur une orbite de 20 jours autour de TIC 400799224. Il faudrait alors qu’il y ait de nombreux autres astéroïdes importants, mais plus petits (par exemple, ≲ 1/10e du rayon), sur des orbites proches et croisées. Cette condition aurait pu être créée en premier lieu par une collision massive entre deux corps plus grands. Une fois qu'une telle collision a eu lieu, tous les débris reviennent sur l'orbite dans presque la même région de l'espace. Cette forte concentration de corps conduit naturellement à des collisions ultérieures à la même phase orbitale. Chaque collision produit ensuite un nuage de débris, contenant une quantité considérable de poussière et de petites particules, qui s'étend au fil du temps. Cela peut être suffisant pour que le nuage effectue un ou deux transits poussiéreux avant de se dissiper. Une nouvelle collision est alors nécessaire pour effectuer un nouveau transit poussiéreux. C’est le scénario que proposent Brian Powell et ses collaborateurs pour tenter d’expliquer ce mystère. 

Ce qui est intéressant, c’est que TIC 400799224 est un objet suffisamment brillant, une magnitude de 12,6, pour être surveillé par des télescopes de taille modeste afin de rechercher des transits ultérieurs dont la profondeur peut atteindre au moins 25%. Il pourra être suivi par de nombreuses équipes. Outre les observations futures, Powell et son équipe fondent aussi beaucoup d’espoir sur la recherche dans de vieilles archives pour détecter l’évolution de la luminosité de cet objet encore un peu mystérieux, des précieuses données qui peuvent remonter à plusieurs décennies dans le passé...


Source

Mysterious Dust-emitting Object Orbiting TIC 400799224
Brian P. Powell et al.
The Astronomical Journal 162, 299, (8 december 2021)


Illustrations

1. TIC 400799224 (croix au centre de l'image) (Powell et al.)
2. Exemple de variation du flux de lumière observé (Powell et al.)

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