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30/01/22

Résolution record pour l'imagerie d'un jet de blazar issu d'un couple de trous noirs supermassifs


Une équipe européenne a cartographié dans la gamme radio la galaxie active OJ 287 avec une résolution angulaire record de 12 microsecondes d'arc ! Ils ont utilisé la technique de l'interférométrie à très longue base, incluant cette fois un télescope spatial (Spektr-R/RadioAstron), de quoi produire un télescope virtuel d'un diamètre de 193 000 km... On découvre sur les images des détails inédits sur le jet relativiste qui émane d'un couple de trous noirs supermassifs. L'étude est publiée dans The Astrophysical Journal.

12 microsecondes d'arc, c'est actuellement la résolution la plus élevée qui a été obtenue avec des observations astronomiques. Ça correspond à distinguer une pièce d'1 euro posée sur la surface de la Lune... Le réseau interférométrique de radiotélescopes utilisé en avril et mai 2014 comportait en tout 12 observatoires du réseau terrestre Global Millimeter VLBI array (GMVA) et le satellite russe Spektr-R qui a une orbite très allongée offrant une apogée à 15 diamètres terrestres (190 000 km) et muni du radiotélescope RadioAstron de 10 m de diamètre. Il aura fallu 8 ans d'analyse des données pour publier ces résultats... 
La galaxie OJ 287 a été choisie comme cible car elle montre des jets relativistes et on sait qu'elle contient non pas un trou noir supermassif, mais deux (voir ici et ). Cette galaxie active est située à une distance de luminosité de 5,1 milliards d'années-lumière en direction de la constellation du Cancer. C'est ce qu'on appelle un noyau actif de galaxie ou quasar. Les images interférométriques obtenues à quatre longueurs d'onde différentes que décrivent José Gomez (Instituto de Astrofísica de Andalucía) et ses collaborateurs européens montrent clairement plusieurs nœuds d'émission dans le jet un peu courbé d'OJ 287. De plus, la courbure du jet augmente avec l'augmentation de la résolution angulaire et dans la direction de l'origine du jet. 
Ces caractéristiques soutiennent l'hypothèse d'un jet qui est influencé par les deux trous noirs supermassifs au centre de la galaxie : il subirait une précession. Une rotation systématique de l'axe du jet avait déjà été observée par Cohen et al. en 2017 puis par Britzen et al. en 2018, décrivant un cycle de rotation de 24 à 30 ans d'un jet hélicoïdal, expliqué soit par l'effet Lense-Thirring introduit par l'oscillation du disque d'accrétion autour du trou noir primaire, soit par la précession induite par le compagnon binaire.
L'analyse des propriétés de polarisation du rayonnement radio montre également un champ magnétique à prédominance toroïdale, quasi en forme de beignet. De là, les chercheurs en concluent que la région d'émission radio la plus interne est traversée par un champ magnétique hélicoïdal – en accord avec les modèles de formation du jet. 
Rappelons que certains modèles théoriques suggèrent que les jets relativistes de noyaux actifs de galaxies peuvent être entraînés par de forts champs magnétiques ancrés sur le disque d'accrétion des trous noirs. Et d'autres scénarios suggèrent que les jets sont entraînés par la conversion de l'énergie de rotation du trou noir en flux de Poynting via les lignes de champ magnétique ouvertes, qui sont attachées à l'ergosphère du trou noir. Mais la superposition des deux mécanismes est également possible. A proximité du moteur central, le flux de plasma est accéléré et collimaté sous la présence d'un champ magnétique "bobiné". Dans ces conditions, la dynamique et la stabilité du flux de plasma relativiste peuvent être fortement influencées par des perturbations du flux d'accrétion, des décalages de pression entre le jet et le milieu ambiant, ainsi qu'au sein du jet lui-même, ce qui peut conduire à la formation de particules mobiles, des chocs et donc des instabilités dans l'émission radio du jet.

Les propriétés spectrales du rayonnement radio que détectent Gomez et son équipe avec leur résolution inégalée sur un objet aussi éloigné suggèrent que le jet de plasma est constitué d'électrons et de positrons dont l'énergie cinétique est approximativement en équilibre avec l'énergie du champ magnétique. Les astrophysiciens déterminent à partir des images que des injections répétées de particules plus énergétiques dans le jet de plasma perturbent cet équilibre et provoquent l'évasement de certaines parties du jet interne. Il faut préciser aussi que le jet de OJ 287 se trouve quasi dans notre ligne de visée, ce qui classe ce quasar dans la famille des blazars.
On estime que OJ 287 est l'un des meilleurs candidats pour étudier un couple de trous noirs supermassifs tournant l'un autour de l'autre (même s'il se trouve quand même à 5 milliards d'années-lumière...). Il semblerait que le trou noir secondaire de ce système se trouve sur une orbite elliptique très étroite et traverse le disque d'accrétion du trou noir primaire deux fois tous les douze ans. Cela produit à chaque fois de fortes éruptions de rayonnement. L'une des questions les plus importantes liées à l'évolution des trous noirs supermassifs est de savoir comment la paire peut éventuellement fusionner. Une fois que les deux trous noirs ont complètement nettoyé la région autour d'eux en déplaçant les étoiles et le gaz, la théorie dit que la distance entre les trous noirs pourrait cesser de se réduire. Mais ce serait alors le rayonnement gravitationnel qui ferait que les deux trous noirs se rapprochent de plus en plus jusqu'à la fusion. Dans le cas d'OJ 287, les partenaires du système binaire sont déjà si proches qu'ils devraient émettre des ondes gravitationnelles, et qui pourraient être détectables dans un futur proche.
La structure fine et détaillée observée de la région du jet interne est parfaitement adaptée pour tester la validité du modèle de trou noir binaire. De plus, les chercheurs vont pouvoir étudier si la courbure du jet qui est observée peut également être causée par d'autres effets, tels que la forme des champs magnétiques ou la déformation de l'espace-temps en rotation près des trous noirs. Ils annoncent dans leur conclusion que d'autres observations d'OJ 287 ont été effectuées avec RadioAstron en 2016, 2017 et 2018, toujours en combinaison avec des observations millimétriques interférométriques au sol à très longue base et quasi simultanées, et notamment avec l'Event Horizon Telescope (en 2017 et 2018), ainsi qu'avec le Global Millimeter VLBI Array (GMVA), y compris ALMA. Ces observations, ainsi que la couverture multi-longueurs d'onde qui les accompagne devraient avoir le potentiel soit de résoudre spatialement le système binaire de trous noirs supposé dans le OJ 287, soit d'imposer de fortes contraintes sur le modèle de trous noirs supermassifs binaire et sur les modèles alternatifs qui prédisent l'angle changeant du jet le plus interne et l'activité de torchage périodique qui caractérisent cette source singulière. Rendez-vous dans quelques années pour admirer ces prochaines images ultra-résolues... 

Source

Probing the Innermost Regions of AGN Jets and Their Magnetic Fields with RadioAstron. V. Space and Ground Millimeter-VLBI Imaging of OJ 287
José L. Gómez et al.
The Astrophysical Journal, Volume 924, Number 2 (19 january 2022)


Illustration

Image du jet interne de OJ 287 à trois résolutions différentes et différentes longueurs d'onde (Eduardo Ros/MPIfR/Gomez et al.)

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