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lundi 7 février 2022

Explorer les galaxies ultra-diffuses par leurs amas globulaires


Une équipe d'astrophysiciens cherche à mieux comprendre comment se forment les galaxies ultra-diffuses (UDG), ces galaxies naines comportant très peu d'étoiles et pour la plupart beaucoup de matière noire. Ils ont pour cela analysé six galaxies ultra-diffuses (UDG) sous l'angle de leurs amas globulaires. L'étude de la nature des amas globulaires dans ces galaxies permet de fournir des contraintes sur les modèles de formation des UDG et offre des éléments intéressants sur les amas globulaires dans d'autres environnements galactiques que le nôtre. Ils publient leur étude dans Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Les galaxies ultra-diffuses, nommées ainsi par Pieter Van Dokkum en 2015 sont une sous-classe de galaxies à faible luminosité de surface, qui ont un grand rayon effectif ( > 1,5 kpc) et une vraiment très faible luminosité de surface. Elles ont commencé à faire parler d'elles à la fois en raison de leur nombre de plus en plus important dans les relevés d'amas de galaxies, et de leurs propriétés parfois déroutantes, comme certains spécimens qui apparaissent dépouillées de leur matière noire, alors que de nombreuses estimations de masse par différentes méthodes (cinématique stellaire, dynamique des amas globulaires, cinématique du gaz, lentilles gravitationnelles, relations d'échelles, émissions de rayons X...)  indiquent que la plupart des UDG sont des galaxies dominées par la matière noire. avec des masses de halo similaires à celles des galaxies naines et des rapports masse/luminosité qui couvrent une large gamme entre quelques dizaines et quelques milliers. Les UDGs les plus massives ont une masse totale de 100 milliards de masses solaires, comparable aux galaxies naines les plus grosses comme le Grand Nuage de Magellan.
Depuis 2018, les observations d'UDG ont mis en évidence qu'elles ont tendance à héberger deux à trois fois plus d'amas globulaires que les galaxies naines de même masse stellaire, mais certaines sont en revanche très pauvres en amas globulaires et d'autres très riches... En novembre 2021, Jonah Gannon et al. avaient étudié 5 UDG de l'amas de Persée, dont deux ne possèdent qu'un seul amas globulaire, tandis qu'une d'entre elle (nommée S74) en possède 30. Pour comparaison, la Voie Lactée en possède 150 mais est 10 fois plus massive que ces petites galaxies.
L'échantillon de galaxies que Teymoor Saifollahi (Université de Groningen) et ses collaborateurs ont exploité est constitué d'UDGs qui sont toutes situées dans l'amas de galaxies de Coma et qui ont un grand rayon effectif, en moyenne 3,6 kpc. Ils ont combiné de nouvelles observations profondes et des observations d'archives du télescope spatial Hubble pour identifier tous les amas globulaires jusqu'aux  plus faibles atteignables. 
L'idée d'utiliser les amas globulaires pour explorer les propriétés des UDG n'est pas nouvelle. Elle a notamment été utilisée pour faire des estimations de masse à partir des vitesses des amas globulaires dans ces galaxies. Et puis, ces UDG si faiblement brillantes ne permettent pas vraiment d'observer directement le champ de leurs étoiles. Les petites boules compactes de dizaines ou centaines de milliers d'étoiles que sont les amas globulaires sont ainsi très utiles.

La recherche de Saifollahi et ses collaborateurs a fourni un nombre suffisant d'amas globulaires pour mesurer la distribution radiale de leur nombre dans les galaxies ultra-diffuses. En moyenne, chaque UDG possède 21 amas globulaires, ce qui implique une masse totale moyenne des galaxies de l'échantillon de 100 milliards de 𝑀⊙ lorsqu'on applique la relation existante entre le nombre d'amas globulaires et 𝑀total. C'est une masse équivalente à celle des plus grosses UDG, 10 fois moins massive que la Voie Lactée. Saifollahi et son équipe précisent par ailleurs que cela implique un ratio 𝑀total/M* élevé (donc beaucoup de gaz et/ou de matière invisible). Cela signifie que ces galaxies sont relativement inefficaces pour former des étoiles de champs alors que pourtant elles forment des amas globulaires au taux standard.
Cette valeur du nombre d'amas globulaires trouvés dans chaque galaxie ultra-diffuse se situe à l'extrémité supérieure de la gamme qui est observée dans les galaxies naines de même masse stellaire. Et il est plus grand d'environ un facteur deux par rapport à la moyenne pour les galaxies naines. Mais la fonction de luminosité, le profil radial et la couleur moyenne des amas globulaires qui sont observés ici par Teymoor Saifollahi et son équipe apparaissent être plus cohérents avec ceux observés dans les galaxies naines que ceux observés dans les galaxies plus massives. Les distributions radiales et azimutales des amas globulaires suivent en tous cas de près celles des étoiles de la galaxie hôte.
Les chercheurs constatent également que le rayon de demi-nombre des amas globulaires (le rayon qui contient la moitié des amas) par rapport au demi-rayon de lumière (le rayon qui contient la moitié de la luminosité), le ratio 𝑅GC/𝑅e, est de 1,09 (+0,13 -0,14) alors qu'il est d'environ 1,5 pour les galaxies naines normales. D'autre part, les amas globulaires apparaissent ici alignés le long du grand axe de la galaxie. Cette distribution spatiale est importante à bien comprendre car l'évaluation du nombre total d'amas comprend une correction pour ceux qui sont à de grands rayons et difficiles à distinguer des contaminants.


Saifollahi et son équipe concluent que ces observations, en particulier le nombre d'amas globulaires et leur distribution autour de ces six UDG, posent des défis pour plusieurs des modèles de formation d'UDG, pourtant actuellement privilégiés. Selon eux, la relation 𝑁GC-𝑀total doit notamment être confirmée en priorité par des mesures supplémentaires de la masse cinématique des UDGs. Par ailleurs, le rapport 𝑅GC/𝑅e plus faible qui est trouvé ici pour ces UDGs (∼ 1) par rapport aux galaxies naines (∼ 1,5) suggère que le processus qui est responsable du plus grand 𝑅e des UDGs n'a pas la même influence sur la distribution des amas globulaires : soit il a un effet plus faible, soit aucun effet. Dans ce dernier cas, un processus secondaire pourrait aussi jouer un rôle dans l'augmentation du 𝑅GC des galaxies ultradiffuses. Lequel ?
Les astrophysiciens expliquent que leurs résultats défavorisent les modèles d'UDG qui font appel à une redistribution des étoiles vers des rayons plus grands pour réduire la luminosité de surface de la galaxie. Ils suggèrent plutôt un déclin de l'efficacité de la formation d'étoiles. Mais alors, ce déclin devrait se produire après la formation des amas globulaires, car l'efficacité de la formation des amas globulaires, elle, semble avoir été normale. Cela défavoriserait aussi les modèles de formation qui font appel à une rotation élevée, selon Saifollahi et ses collaborateurs. Les histoires complexes, avec de multiples formations d'étoiles ou d'événements dynamiques sont également difficiles à concilier avec l'alignement spatial étroit des amas globulaires et des étoiles de champ dans les ces UDGs...
 
Il va falloir maintenant chercher à élargir l'échantillon d'UDGs avec des mesures d'amas globulaires, à même de tester et d'étendre ces résultats, pour comparer toujours plus précisément les propriétés des amas globulaires qui sont observés avec ce que prédisent les modèles de formation d'UDG... ou bien de réviser d'ores et déjà ces modèles Les galaxies ultra-diffuses n'ont pas fini de faire parler d'elles. 

Source

Implications for galaxy formation models from observations of Globular Clusters around Ultra-Diffuse Galaxies 
Teymoor Saifollahi et al.
Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (07 February 2022)


Illustrations

1. Les 6 UDGs étudiées (Teymoor Saifollahi et al.)
2. Repérage des amas globulaires dénombrés dans les 6 galaxies ultra-diffuses (Teymoor Saifollahi et al.)

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