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mardi 8 février 2022

Saturne : des aurores générées par le vent


Une équipe internationale de chercheurs viennent de découvrir que certaines aurores polaires de Saturne sont générées par les vents tourbillonnants à ses pôles et pas uniquement par la magnétosphère. Un phénomène jamais vu auparavant. L'étude est publiée dans Geophysical Research Letters.


Sur toutes les autres planètes observées, y compris la Terre, les aurores naissent par de puissants courants de particules chargées qui s'écoulent dans l'atmosphère depuis la magnétosphère environnante. Ces particules peuvent provenir du Soleil ou de satellites d'où émane de la matière (volcanique ou geysers, comme c'est le cas avec Jupiter et Saturne).
 Lors de son arrivée autour de Saturne, la sonde Cassini a tenté de mesurer la vitesse de rotation globale de la planète, en suivant les "impulsions" d'émission radio de l'atmosphère de Saturne. À la grande surprise des planétologues qui ont effectué ces mesures, ils ont constaté que ce taux semblait avoir changé au cours des deux décennies qui ont suivi le passage de la dernière sonde à avoir survolé Saturne en 1981, Voyager 2. Par ailleurs des caractéristiques périodiques indépendantes dans les hémisphères nord et sud sont également observées et elles varient elles-mêmes au cours d'une saison sur la planète.
La physique des intérieurs planétaires dit que le taux de rotation réel de Saturne ne peut pas changer aussi rapidement, et que donc quelque chose doit se produire dans l'atmosphère de Saturne. Plusieurs théories ont été évoquées depuis la mission Cassini pour tenter d'expliquer les mécanismes à l'origine de ces périodicités observées. Encelade et ses geysers d'eau a été incriminée, ainsi que des interactions avec l'épaisse atmosphère de la lune Titan, ou encore des interactions avec les anneaux. Mais ce n'est que récemment que la possibilité que ce soit la haute atmosphère de Saturne qui soit à l'origine de cette variabilité a été imaginée. L'une des théories proposées prédit qu'un système météorologique à deux cellules polaires serait à l'origine de cette variation, produisant des différences observables dans les flux au sein de l'ionosphère de Saturne.


C'est pour creuser cette question que Mohammad Chowdhury (Université de Leicester) et ses collaborateurs ont observé de près Saturne avec le télescope hawaïen Keck de 10 m. Ils ont mesuré les émissions infrarouges de la haute atmosphère de la géante gazeuse à l'aide du spectrographe proche infrarouge NIRSPEC et ont cartographié les flux variables de l'ionosphère de Saturne, bien en dessous de la magnétosphère, pendant un mois en 2017. Les chercheurs dérivent des cartes de vitesse des ions dans la ligne de visée après avoir regroupé les spectres en quadrants de rotation correspondant aux phases du champ magnétique planétaire.
La carte des émissions infrarouges obtenue, signant la vitesse des ions H+, comparée à l'impulsion radio connue des aurores de Saturne, a montré qu'une proportion significative des aurores de la planète était générée par le système tourbillonnant de son atmosphère, et que c'est ce système turbulent qui est responsable du taux de rotation variable qui est observé sur Saturne. Les chercheurs pensent que le système est alimenté par l'énergie thermique de Saturne, produisant des vents dans l'ionosphère ayant des vitesses comprises entre 0,3 et 3,0 kilomètres par seconde. Les particules responsables de l'ionisation du gaz qui se désexcite ensuite en émettant de la lumière visible formant les aurores ne proviennent donc pas de l'extérieur de Saturne mais de son ionosphère, la partie la plus externe de l'atmosphère où le gaz est en partie ionisé. Le vent a pour effet de générer des courants d'ions qui peuvent ensuite se retrouver dans la magnétosphère et venir interagir sur d'autres atomes dans la haute atmosphère qui s'ionisent puis se désexcitent en émettant de la lumière pour nos beaux yeux... 
Ces observations confirment par ailleurs qu'il est impossible de déterminer la vitesse de rotation de Saturne à partir du signal radio périodique qui n'est pas périodique mais fortement perturbé par la circulation atmosphérique. Mais heureusement, les chercheurs exploitant la sonde Cassini avaient trouvé une parade un peu plus subtile pour trouver la valeur de ce paramètre. Ils avaient utilisé une méthode exploitant les perturbations gravitationnelles induites dans le système complexe d'anneaux de Saturne. Cette technique a permis de déterminer en 2019 la période de rotation de Saturne qui vaut 10 heures, 33 minutes et 38 secondes.
En résumé, après avoir exclu toutes les autres théories sur la façon dont le système de courant périodique planétaire est généré, les flux observés par Chowdhury et ses collaborateurs correspondent très bien aux flux prédits par les modèles utilisant un double tourbillon non détecté auparavant dans la thermosphère de Saturne, qui entraînent des courants dans la magnétosphère et produisent une impulsion radio. Les variations temporelles de la période de rotation observées dans l'émission radio, et dans toute la magnétosphère de Saturne, doivent résulter de variations localisées à long terme de la vitesse de rotation de ce double tourbillon atmosphérique. Malheureusement, ces observations ne permettent pas de conclure sur l'emplacement en altitude des tourbillons moteurs, car on n'en sait pas encore assez sur la dynamique de la thermosphère de Saturne.
La source de chauffage à l'origine des vents tourbillonnaires semble se trouver à proximité de la région des aurores les plus brillantes, ce qui laisse peut-être entendre que ces flux peuvent être auto-entretenus. Mais une telle modélisation prédit des vents ioniques beaucoup plus faibles que ceux qui sont observés... 

Des observations ont montré que les planètes proches de leur étoile subissent un échauffement atmosphérique intense, qui se traduit par des vents neutres puissants, comme par exemple HD 189733b, une Jupiter chaude qui a une basse atmosphère en super-rotation à 3 km s-1 qui devient un écoulement neutre vertical de 40 km s-1 au sommet de sa haute atmosphère (Seidel et al., 2020). Ces auteurs évoquaient la super-rotation des ions dans la haute atmosphère à travers le champ magnétique pour expliquer le flux atmosphérique sortant. Une interaction aussi intense des vents neutres serait beaucoup plus forte que les vents ioniques observés ici sur Saturne, et entraînerait donc des courants auroraux proportionnellement plus forts. Ces flux peuvent donc aider à expliquer la détection d'aurores qui a été obtenue sur la planète chaude GJ 1151b (Mahadevan et al., 2021), dont la production ne peut pas être expliquée par les théories actuelles de génération d'aurores. Le mécanisme observé pour la première fois sur Saturne à plus petite échelle pourrait indiquer que les aurores des planètes chaudes sont dominées par des interactions atmosphériques fondées sur les vents, plutôt que par des courants de particules provenant de leur environnement radiatif.

Source

Saturn's Weather-Driven Aurorae Modulate Oscillations in the Magnetic Field and Radio Emissions
M. Chowdhury et al.
Geophysical Research Letters (28 December 2021)


Illustration

1. Vue d'artiste d'une aurore polaire sur Saturne (NASA/JPL-Caltech) 


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