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dimanche 17 avril 2022

Confirmation de l'émission gamma de la nova RS Ophiuchi et de son pouvoir d'accélération de protons


Il n'aura fallu qu'un mois pour que la découverte publiée en mars dernier (voir épisode 1307) d'une émission gamma provenant de la nova RS Ophiuchi soit confirmée indépendamment. C'est aujourd'hui la collaboration MAGIC qui publie ses résultats dans Nature Astronomy et ils mènent à la même conclusion que ceux de H.E.S.S : les novas accélèrent des protons à haute énergie.

Les novas classiques sont des systèmes d'étoiles binaires cataclysmiques dans lesquels la matière d'une étoile compagne est accrétée sur une naine blanche. L'accumulation d'hydrogène dans une couche finit par provoquer une explosion thermonucléaire à la surface de la naine blanche, augmentant brutalement la luminosité de la naine blanche à environ 100000 luminosités solaires et déclenchant l'éjection de la matière accumulée. 
Une nova symbiotique peut se former lorsque l'étoile compagne de la naine blanche est une géante rouge. Les éjectas des novas symbiotiques s'étendent dans le vent dense de l'étoile compagne. Les explosions de nova durent généralement de quelques semaines à quelques mois. Elles peuvent se répéter des centaines de fois, et l'intervalle entre deux événements consécutifs peut atteindre des centaines de milliers d'années. Mais il existe une sous-classe d'objets appelés novas récurrentes qui permet d'observer ces explosions répétées sur une durée de vie humaine. C'est le cas de RS Ophiuchi. Dans notre galaxie, on connaît dix novas de ce type dans lesquels la répétition des explosions a été observée en un siècle. Les chercheurs ont compris pour que la nova symbiotique devienne récurrente, la naine blanche doit être massive (≥1,1 M⊙).
RS Ophiuchi est une nova symbiotique récurrente dont l'intervalle moyen entre deux éruptions majeures est de 14,7 ans. L'explosion la plus récente, en août 2021, a été rapidement signalée en optique et en rayons gamma de haute énergie (100 MeV < E < 10 GeV) par Fermi-LAT. L'émission optique a montré un comportement similaire à celui du sursaut de 2006. Suite à ces alertes, MAGIC a commencé les observations de RS Oph dans le cadre de son programme de suivi des novas, le 9 août 2021 à 22:27 UT, c'est-à-dire environ 1 jour après les premières détections optiques et gamma, et au même moment que la collaboration H.E.S.S. annonçait dans un "télégramme" la détection de rayons gamma de très haute énergie ( ≳100 GeV) en provenance de RS Oph. 
Les observations du double télescope Cherenkov MAGIC installé aux Canaries révèlent une émission de photons gamma d'énergie allant jusqu'à 250 GeV qui est contemporaine du signal détecté par Fermi-LAT et des maxima optiques, puis une diminution en dessous de la limite de détection deux semaines plus tard. Les 4 premiers jours d'observations de MAGIC (9-12 août 2021) donnent un signal gamma avec une signifiance statistique de 13.2σ, s'étendant de 60 GeV à 250 GeV, bien ajusté par une seule loi de puissance.
Victor Acciari (Université de La Palma) et ses collaborateurs constatent qu'alors que l'émission d'énergie de l'ordre du GeV diminue de moitié dans une échelle de temps de 2,2 jours, le flux total mesuré par MAGIC sur les 4 premiers jours reste constant. Cela suggère selon eux une migration de l'émission gamma vers des énergies plus élevées, en accord avec une augmentation des énergies maximales des particules primaires. On se souvient que H.E.S.S avait vu un décalage de 2 jours entre les gamma de basse énergie et ceux de haute énergie, ce qui donc tout à fait en accord.
Par ailleurs, comme l'ont fait les physiciens de H.E.S.S dans leur analyse, les chercheurs de MAGIC utilisent la mesure du spectre de protons qui est nécessaire pour expliquer l'émission de rayons gamma de RS Oph  pour faire des estimations de la contribution des novas aux rayons cosmiques galactiques (GCR). En utilisant l'énergétique des rayons cosmiques dérivée pour RS Oph (~4,4 × 1043 erg), les chercheurs calculent qu'un taux de 50 novas par an conduirait à environ 0,1% de la contribution énergétique des rayons cosmiques provenant des supernovas, qui sont plus rares que les novas (2 par siècle) mais beaucoup plus énergétiques (~1050 erg). Selon eux, malgré sa faible contribution au flux total de GCR, une nova augmenterait considérablement la densité de GCR dans son environnement proche. Et la densité d'énergie provenant de la nova domine celle des CR dans la Voie lactée (~1,8 eV cm-3) dans une région de rayon 0,5 pc, de l'ordre de la distance à l'étoile la plus proche dans notre Galaxie. Dans le cas particulier des novas récurrentes, les protons accélérés pendant 100000 ans, en supposant un taux de récurrence de tous les 15 ans, s'accumuleront dans une bulle de ~9 pc avec une densité de GCR accrue.

RS Oph est la nova dont le flux gamma et l'énergie sont les plus élevés à ce jour. Pour les chercheurs de la collaboration MAGIC, la non-détection des novas précédentes dans la gamme des très hautes énergies pourrait être expliquée par le manque de sensibilité aux éruptions plus faibles, sans qu'il soit nécessaire d'invoquer une différence fondamentale dans la distribution spectrale d'énergie de RS Oph.
La détection de rayons gamma atteignant 250 GeV provenant d'une nova symbiotique récurrente permet d'obtenir un aperçu profond de la population de particules relativistes accélérées par de tels objets. La modélisation du spectre des rayons gamma qu'on effectuée les chercheurs de MAGIC favorise fortement l'explication de l'émission par l'accélération des protons dans un choc de nova, de la même façon que ce qu'avaient obtenu les chercheurs de H.E.S.S. dans leur analyse. Les preuves de l'accélération des protons sont ici basées premièrement sur la forme déduite de la distribution d'énergie des particules injectées, deuxièmement par la meilleure description de la distribution d'énergie du spectre des rayons gamma par le modèle des protons et enfin par les preuves obtenues de l'augmentation des énergies maximales des particules au cours du temps, ce qui est cohérent avec l'absence de refroidissement important. Les protons dans le choc de la nova subissent un refroidissement lent, ils peuvent donc éventuellement s'échapper du choc, en emportant une fraction substantielle d'énergie. Ces protons viendront alors s'ajouter à la population des rayons cosmiques galactiques, mais principalement dans le voisinage immédiat de la nova.

L'observation de l'explosion d'août 2021 de RS Oph introduit ainsi une nouvelle classe de sources émettant des rayons gamma de très haute énergie : les novas symbiotiques récurrentes. On sait aussi maintenant que les nova classiques émettent également des photons d'énergie de l'ordre du gigaelectronvolt, il reste à savoir maintenant si la détection de RS Oph émettant dans la gamme des rayons gamma de très haute énergie est due à sa nature symbiotique récurrente, ou bien si c'est simplement le premier signe d'une telle émission d'une classe plus large de novas classiques. La comparaison des mesures de rayons gamma dans les domaines du GeV et des rayons gamma 100 fois plus énergétiques avec les précédentes novas détectées par Fermi LAT ne révèle aucune particularité dans l'émission de RS Oph, à l'exception de sa luminosité. Il est donc probable que les futures télescopes gamma plus sensibles seront aussi des détecteurs de novas.

Source

Proton acceleration in thermonuclear nova explosions revealed by gamma rays
Victor Acciari et al. 
Nature Astronomy (14 april 2022)


Illustrations

1. Schéma des processus d'accélération d'électrons et de protons dans un choc consécutif à une éruption de nova dans RS Ophiuchi
2. Les télescopes MAGIC (Max Planck Institute/R. Wagner)

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