samedi 12 mars 2022

Des particules accélérées par une nova révélées par des rayons gamma très énergétiques


Les novas récurrentes sont des explosions thermonucléaires répétées qui ont lieu dans les couches externes des naines blanches, dues à l'accrétion de matière provenant d'une étoile compagne. Ces explosions peuvent être à l'origine de très fortes accélérations de particules produisant secondairement des photons gamma. La collaboration H.E.S.S. vient de mesurer pour la première fois des photons gamma de plus de 100 GeV provenant d'une nova, nommée RS Ophiuchi. L'étude est publiée cette semaine dans Science.

RS Ophiuchi est un système binaire qui se trouve à 2,3 kpc, composé d'une naine blanche et d'une géante rouge qui ne sont séparées que par 1,48 AU, où la naine blanche accrète autour d'elle de la matière de sa compagne jusqu'à ce qu'une accumulation trop importante provoque une fusion thermonucléaire localisée. La matière éjectée de la surface de la naine blanche génère alors des ondes de choc qui s'étendent rapidement, formant une forme de sablier. Les particules sont accélérées au niveau de ces fronts de choc, qui entrent en collision avec le vent dense de l'étoile géante rouge et produisent des photons gamma de très haute énergie.
RS Oph est ce qu'on appelle une nova récurrente mais ses explosions thermonucléaires de surface ne sont pas si fréquentes : on en a observé 8 entre 1898 et 2006, avec des intervalles entre 8 et 26 ans. Lorsque la nova a explosé à nouveau le 8 août 2021, c'est un astronome amateur qui a donné l'alerte. Les 5 télescopes de H.E.S.S (4 de 104 m² et 1 de 612 m²) ont pu observer le phénomène dès le lendemain et pour une période de 5 nuits. La Lune ne permit malheureusement pas une observation continue durant les 10 jours suivants mais elles reprirent le 25 août pour 14 nuits d'observations. Le maximum de luminosité gamma visible par H.E.S.S a heureusement pu être observé, trois jours après l'alerte.
Les chercheurs de la collaboration H.E.S.S ont ainsi détecté des rayons gamma de très haute énergie jusqu'à un mois après son explosion de 2021. Et les physiciens des astroparticules observent que cette émission gamma a un profil temporel qui est similaire à l'émission gamma de plus basse énergie (de l'ordre du GeV) qui avait été détectée par le télescope Fermi-LAT durant la même période, indiquant donc une origine commune. Mais à très haute énergie, un retard de deux jours est observé dans le pic de flux par rapport au flux à plus basse énergie. Ces observations permettent de contraindre les modèles d'accélération des particules en fonction du temps. Les physiciens de la collaboration démontrent que ce sont les chocs dans les vents denses de l'étoile compagne induits par l'explosion qui constituent des environnements favorables à une accélération efficace des rayons cosmiques jusqu'à de très hautes énergies. H.E.S.S. a observé les photons gamma d'une nova pour la première fois à des énergies très élevées, plus de 100 GeV. C’est surtout la première fois que ce phénomène peut être suivi en direct, du début à la fin à cette énergie. Les chercheurs qui exploitent les télescopes Cherenkov H.E.S.S. en Namibie, parmi lesquels des physiciens français du CNRS et du CEA, montrent que la nova RS Ophiuchi provoque l’accélération des particules à des énergies qui atteignent la limite théorique, avec une vitesse de choc comprise entre 4000 et 5000 km/s.
L'analyse spectrale et temporelle permet surtout de déterminer de quel type de particules il devait s'agir. Le choix était entre hadrons et leptons (ou plus simplement entre protons et électrons). La première solution invoque l'accélération de protons qui produisent des pions neutres en réagissant avec le milieu environnant, les pions se désintégrant ensuite rapidement en photons gamma, et la seconde solution fait intervenir une accélération d'électrons qui vont diffuser sur des photons de basse énergie en les propulsant à haute énergie par transfert d'énergie cinétique (effet Compton inverse). 

Dans le scénario impliquant des protons, la détection de l'émission de rayons gamma très énergétiques nécessite l'accélération des particules à des énergies >TeV. L'énergie maximale qu'une particule atteint au niveau du choc est déterminée soit lorsque le refroidissement radiatif domine l'accélération, soit lorsque les particules deviennent trop énergiques pour rester confinées dans le système.
Pour RS Oph, les données suggèrent une énergie maximale Emax ≈ 10 TeV, compatible avec les énergies maximales mesurées des photons proches de 1 TeV. Les courbes de lumière des rayons gamma du scénario hadronique sont cohérentes avec un choc en expansion dans un profil de densité décroissant. Avec la distance supposée de 2,3 kpc, les flux de rayons gamma mesurés impliquent des efficacités d'accélération élevées, avec une partie significative de l'énergie du choc qui est convertie en particules relativistes. Le délai entre les pics dans les courbes de lumière gamma de Fermi-LAT et H.E.S.S. (2 jours d'écart) reflèterait le temps d'accélération fini des protons de plus de 1 TeV. 

Dans le scénario impliquant des électrons, l'accélération doit surmonter les fortes pertes radiatives dues au refroidissement Compton inverse dans les champs de photons intenses de la nova, ainsi que les pertes par rayonnement synchrotron. Pour y parvenir, les électrons doivent être accélérés à un taux proche du "taux de Bohm", c'est-à-dire une situation où le taux de diffusion est égal au taux de giration dans le champ magnétique. Les électrons qui rayonnent dans la bande à très haute énergie se refroidissent sur une échelle de temps inférieure à l'âge du système, tandis que les électrons non refroidis de plus faible énergie s'accumulent simplement en aval avec le temps. 

Les chercheurs indiquent que dans le cadre d'un modèle à zone unique dans RS Oph, des paramètres peuvent toujours être trouvés pour décrire les courbes de lumière et les spectres avec les deux scénarios : hadronique et leptonique. Les deux modèles sont cohérents avec une injection continue de particules ayant un spectre de puissance en E-2,2 avec une coupure exponentielle. Mais pour correspondre aux flux mesurés, le modèle leptonique nécessite une efficacité proche de 10% pour la conversion du flux d'énergie choquée en électrons accélérés. Et dans ce cas, le taux d'accélération devrait être au minimum de 20% de la limite de Bohm (sauf si le champ magnétique de l'étoile géante rouge supposé de 1 G est en réalité plus élevé). L'efficacité d'accélération correspondante pour le modèle leptonique dépasse largement les valeurs typiquement déduites des observations de restes de supernova.
A l'inverse, avec le modèle hadronique, les efficacités élevées d'accélération des protons et l'énergie maximale déduite sont tout à fait conformes aux prédictions théoriques sans grosses contraintes sur les paramètres des processus en jeu.  Pour ces raisons, le modèle hadronique est préféré par les chercheurs de H.E.S.S. pour expliquer l'origine des rayons gamma observés. 

Ces observations montrent que l'on peut donc s'attendre à ce que l'accélération des particules à des énergies de l'ordre du TeV se produise dans les vents denses des novas récurrentes. L'énergie totale libérée de la nova est estimée par les chercheurs à ∼ 1043 erg, dont une fraction significative est convertie en protons ou en noyaux plus lourds. Chaque événement de type nova génère donc suffisamment de rayons cosmiques pour remplir un volume d'1 pc3 avec une densité d'énergie de ∼ 1 eV.cm-3, ce qui est comparable à la densité d'énergie locale des rayons cosmiques galactiques, que l'on pense aujourd'hui être entretenue par des supernovas. Dans le cas de RS Oph, l'apport d'énergie des rayons cosmiques se répète environ tous les 15 à 20 ans, ce qui conduit à une injection presque continue de particules énergétiques. Une telle source continue de rayons cosmiques laisse inévitablement une empreinte sur le milieu environnant. Si l'accélération efficace des particules à des énergies de l'ordre du TeV dans les novas récurrentes est monnaie courante, elles pourraient dominer la population locale de rayons cosmiques à haute énergie sur de plus grands volumes et être révélée par l'émission diffuse de rayons gamma à des énergies dans la gamme de 10 à 100 GeV.

La détection ferme de rayons gamma de très haute énergie provenant de RS Oph, dont l'énergie est supérieure de deux ordres de grandeur à toute autre détection antérieure de nova, fournit un exemple unique d'un accélérateur galactique qui fonctionne à sa limite théorique. Si les résultats sont transposables aux conditions des supernovas, cette découverte donne du crédit au modèle prédominant des rayons cosmiques galactiques à l'énergie de l'ordre du PeV qui proviendraient des restes de supernova à effondrement de coeur. Avec RS Ophiuchi, il s'agit ici de la première démonstration claire de l'accélération de protons par un choc dépendant du temps dans une source galactique. Cette nouvelle découverte de l'émission gamma de très haute énergie qui signe ce processus fait de RS Ophiuchi une cible incontournable pour les futures observations.


Source

Revealing time-resolved particle acceleration in the recurrent Nova RS Ophiuchi. 
Collaboration H.E.S.S.
Science (10 mars 2022)


Illustration

1. Vue d'artiste du système binaire naine blanche et géante rouge après l'explosion de la nova. (DESY/H.E.S.S; Science Communication Lab) 
2. Source de rayons gamma de très haute énergie détectée par H.E.S.S quelques jours après l'explosion et 2 à 4 semaines après (H.E.S.S collaboration)

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