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12/05/22

Sagittarius A* enfin dévoilé par l'Event Horizon Telescope


Ca y est ! Il aura fallu attendre 5 ans avant de voir enfin ce que l'on aurait dû voir en même temps que l'image révélée le 10 avril 2019, l'image de l'ombre de l'horizon du trou noir Sgr A* qui trône au centre de notre galaxie. Cela méritait bien 9 conférences de presse simultanées (Münich, Washington DC, Tokyo, Shangai, Taipei, Daejon, Madrid, Mexico, Santiago du Chili). Il y eut le 10 avril 2019 pour la première image de l'ombre de M87*, il y aura désormais le 12 mai 2022 avec enfin cette image de l'ombre de Sgr A*, à la fois similaire et différente de celle de M87*... C'est tout simplement une prouesse scientifique qui est retracée dans pas moins de 10 articles publiés dans la foulée des 9 conférences de presse de cet après-midi dans The Astrophysical Journal Letters. 

Les plus de 300 chercheurs de la collaboration EHT ont réussi à capturer l'ombre de l'horizon de Sgr A* grâce aux données de 2017 (le 7 avril 2017 pour être précis), la campagne d'observation miraculeuse qui avait aussi donné l'image correspondante de M87*. Identifié il y a près de 50 ans comme le plus proche candidat au trou noir supermassif et parmi les objets astrophysiques les plus étudiés, Sgr A* est le laboratoire ultime pour l'astrophysique des trous noirs. Dans ses articles, la collaboration Event Horizon Telescope présente des observations, des images et des analyses qui ouvrent de nouvelles perspectives sur l'accrétion, l'écoulement et la physique gravitationnelle à des échelles qui ne sont accessibles par aucune autre observation. 

L'image de l'ombre de l'horizon de Sgr A* révèle la même structure annulaire et le même type d'ombre que celle observée sur M87*. Le diamètre de l'anneau est précisément prédit par la relativité générale en utilisant uniquement la masse et la distance du trou noir. Le diamètre angulaire observé de l'anneau est de 51,8 ± 2,3 µs d'arc et l'ombre a un diamètre de 48,7 ± 7 µs d'arc. Il ne diffère que légèrement de celui de M87*, qui est 1500 fois plus massif et 2000 fois plus distant.  La théorie dit que l'anneau se trouve près des orbites de photons soumis à une lentille gravitationnelle qui définit la limite de ce qu'on appelle l'"ombre" du trou noir. L'ombre a ainsi un diamètre angulaire d ≈ 10GM/(c² D) , où G est la constante gravitationnelle, c est la vitesse de la lumière, M est la masse du trou noir, et D est la distance du trou noir. La théorie d'Einstein prédit ainsi un diamètre angulaire de 50,8 µs d'arc. Pas mal.

Ensemble, les résultats de Sgr A* et de M87* établissent que les anneaux lenticulaires sont des caractéristiques universelles des trous noirs et que la relativité générale peut les prédire de manière cohérente sur au moins trois ordres de grandeur de masse des trous noirs. Dans les articles II, II et IV de la collaboration, on voit comment la masse plus faible et donc l'échelle dynamique plus courte de Sgr A* ont introduit une complexité significative dans l'imagerie et l'analyse de ces données. La période orbitale au niveau de l'orbite circulaire stable la plus interne est de 30 minutes au maximum! ce qui est nettement plus court que l'observation de 12 heures qui pouvait être idéalement utilisée pour obtenir une image. De plus, les chercheurs expliquent que l'image de Sgr A* est partiellement brouillée par le plasma turbulent le long de la ligne de visée vers le centre galactique, un effet qui empêche la résolution de l'anneau à de plus grandes longueurs d'onde. La collaboration a utilisé un certain nombre de techniques traditionnelles et nouvelles pour évaluer et corriger ces effets. 

Dans l'article V, les chercheurs montrent comment la combinaison des résultats de l'EHT avec les contraintes multi-longueurs d'onde fournit une sonde puissante de la physique de l'accrétion et de l'écoulement autour d'un trou noir supermassif. Mais malgré l'étendue extraordinaire des simulations produites dans les analyses, qui ont nécessité des centaines de milliers d'heures de calculs sur des clusters de superordinateurs, aucun des modèles ne répond pleinement à toutes les contraintes observationnelles. La variabilité apparaît être un critère vraiment difficile à prendre en compte dans les efforts de modélisation. Les modèles les plus performants impliquent un disque à arrêt magnétique à faible angle d'inclinaison.


Le sixième article se penche sur la physique gravitationnelle qui peut être déduite de l'observation, compte tenu de la connaissance préalable de la valeur de la masse du trou noir (grâce à la dynamique des étoiles qui lui tournent autour) et à sa distance, qui sont deux paramètres bien maîtrisés. La conclusion est qu'il existe une belle cohérence avec un trou noir décrit par la métrique de Kerr et comprenant un véritable horizon des événements.

Ils peuvent aussi confirmer une valeur de masse de 4 millions (+1,1/-0.6) M⊙ à partir de la dimension de l'ombre et de la connaissance de la distance, ce qui confirme les valeurs (plus précises) obtenues grâce aux mouvements des étoiles. Concernant l'angle d'inclinaison du disque par rapport à la ligne de visée, les comparaisons avec les modèles défavorisent les scénarios où le trou noir est vu à une inclinaison élevée (i > 50°), ainsi que les trous noirs statiques et ceux avec des disques d'accrétion rétrogrades. 

Même si les simulations de magnétohydrodynamique relativiste réussissent remarquablement bien à prédire la structure de l'image à 1,3 mm de longueur d'onde ainsi que le spectre à large bande de Sgr A*. elles ont cependant tendance à être plus variables que les observations, ce qui peut être lié selon les chercheurs à la modélisation d'un plasma fluide sans collision ou à la négligence du refroidissement radiatif, ce qui fait que seules quelques configurations peuvent satisfaire l'ensemble des contraintes observationnelles, hormis la variabilité. Les résultats favorisent généralement les modèles avec des champs magnétiques dynamiquement forts, un spin modéré (prograde), et un angle d'observation à faible inclinaison, ainsi que des protons et électrons fortement découplés dans la région d'émission. Il est intéressant de noter que ces modèles prédisent également un écoulement de jet raisonnablement efficace (par rapport au taux d'accrétion), ce qui indique des études intéressantes pour l'avenir. Des travaux supplémentaires sont bien sûr nécessaires pour explorer pleinement l'espace des paramètres physiques et pour comprendre la variabilité.

En tant que trou noir supermassif le plus proche, Sgr A* peut être observé d'une manière inédite, ce qui en fait un laboratoire unique pour explorer l'astrophysique des trous noirs et tester les prédictions de la relativité générale. Les chercheurs de la collaboration EHT annoncent d'ores et déjà que des travaux ultérieurs permettront de caractériser la configuration du champ magnétique par des observations polarimétriques, comme cela a été fait pour M87*, et de décrire les changements structurels associés à l'activité d'éruption récente qui a été observée en provenance du centre galactique. Depuis 2017, l'EHT a continué à enregistrer des données une semaine par an en ayant ajouté 3 observatoires pour porter à 11 le nombre d'éléments du réseau interférométrique (le Greenland Telescope au Groenland, NOEMA en France, et le Kitt Peack 12m Telescope aux Etats-Unis) et doubler la bande passante d'enregistrement. Les chercheurs estiment qu'avec les nouvelles données déjà dans la boîte, ils pourront obtenir une meilleure sensibilité qui pourrait permettre une imagerie plus robuste de ce Sgr A* très changeant, ils évoquent même la possibilité de reconstructions cinématographiques des mouvements du plasma sur les échelles de temps orbitales de l'ordre de l'heure.

Source

First Sagittarius A* Event Horizon Telescope Results. I. The Shadow of the Supermassive Black Hole in the Center of the Milky Way

EHT Collaboration

The Astrophysical Journal Letters, Volume 930, Number 2 (12 may 2022)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ac6674


Illustrations 

1. Sgr A* (EHT collaboration)

2. configuration du réseau interférométrie EHT en avril 2017 (EHT)

3 commentaires:

  1. Enorme travail, Enorme image, Enorme nouvelle et si peu de couverture médiatique... Au moins, nous on en profite! Merci pour les explications sur les les différents articles qui découlent de cette image que j'attendais avec impatience depuis celle de M87*

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  2. Vous pouvez écouter La Méthode Scientifique (France Culture) cet après midi à 16h sur le sujet, avec David Elbaz et Françoise Combes.

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Merci !