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mercredi 12 octobre 2022

17 coquilles de poussière imbriquées autour d'une étoile binaire imagées par Webb


C'est une image surprenante que nous offre à nouveau le télescope spatial Webb : celle de multiples coquilles de poussière imbriquées les unes dans les autres qui s'étalent autour d'un couple d'étoiles,  à raison d'une nouvelle coquille tous les huit ans. 17 coquilles successives sont nettement visibles dans l'image de Webb. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

WR 140 est une binaire de type Wolf-Rayet  riche en carbone. La période orbitale du couple est bien définie (7,93 ans) et des épisodes de formation de poussière à passage du périastre étaient prévus. Les binaires massives à vent de collision qui hébergent une étoile de Wolf-Rayet (WR) représentent en effet une source potentiellement importante de poussière et d'enrichissement chimique dans le milieu interstellaire. Mais la composition chimique et la survie de la poussière formée à partir de tels systèmes ne sont pas très bien comprises. 
Ryan Lau (NOIRLab) et ses collaborateurs ont obtenu du temps d'observation de WR 140 avec le JWST avec son instrument spectro-imageur MIRI  (Mid-Infrared Instrument) dès sa mise en route, dans l'objectif  de mieux comprendre la production de poussière dans ce type d'étoile. Ils n'ont pas été déçus de leurs observations ! Les images du JWST révèlent les signatures spectrales et spatiales non pas de deux ou trois coquilles de poussière, mais de 17 coquilles imbriquées les unes dans les autres ! 
A chaque fois que les deux étoiles se passent au plus près l'une de l'autre (le périastre), une coquille de poussière est éjectée puis s'étend autour du couple. Les 17 coquilles visibles se sont ainsi formées dans les 130 dernières années environ selon les chercheurs.
Les mesures de spectroscopie de la deuxième coquille et les détections de plus de 17 coquilles formées tout au long du siècle passé confirment la survie des grains de poussière carbonés de WR 140. On pense que certains des premiers grains de poussière carbonée et de matière organique de l'Univers ont pu être produits dans les vents comprimés, chimiquement enrichis, de binaires massives et évoluées à vent de collision, hébergeant une étoile Wolf-Rayet comme WR 140. Dans l'environnement hostile autour de ces étoiles massives et évoluées, de la poussière est produite à partir du gaz comprimé dans la région de collision des vents où le vent stellaire plus fort de l'étoile WR interagit avec le vent stellaire d'une étoile étoile de type OB. La poussière se condense alors dans le vent comprimé par le choc et est transportée dans le milieu circumstellaire, ensemençant le milieu interstellaire avec de nouvelles poussières carbonées. Les binaires à vent de collision avec des nébuleuses de poussière circumstellaires résolubles constituent donc des laboratoires importants pour étudier ce processus de formation de la poussière. Et des observations dans les dernières décennies ont démontré comment la formation de la poussière peut être régulée par l'orbite du système binaire. 
WR 140 est sans doute le meilleur exemple de formation épisodique de poussière dans les vents de collision, générée par une étoile massive évoluée riche en carbone dans une orbite qui est hautement excentrique (e = 0,89). On sait depuis 2009 que WR 140 produit périodiquement de la poussière sur des épisodes de quelques mois et présente une morphologie nébulaire ressemblant à des coquilles segmentées. Étant donné la distance relativement proche de 1,64 kpc de WR 140, l'imagerie infrarouge qui avait été effectuée par des télescopes terrestres avait permis de résoudre l'émission thermique de deux coquilles de poussière imbriquées jusqu'à environ 5 000 au du centre de la binaire. Ces études avaient fourni une comparaison des propriétés de la poussière d'un passage du périastre au suivant. Aujourd'hui, la spectroscopie dans l'infrarouge moyen de l'émission de poussière à résolution spatiale et les observations très sensibles par imagerie du télescope Webb dévoilent les propriétés de multiples coquilles plus éloignées. Ces observations étaient pratiquement impossibles en raison des limites de sensibilité des télescopes au sol et de la faible résolution angulaire des télescopes spatiaux infra-rouge précédents.
Lau et ses collaborateurs ont observé WR 140 dans le cadre du programme scientifique discrétionnaire du directeur du télescope spatial Webb (JWST). Ils avaient pour objectif d'étudier la composition chimique et la survie des poussières formées par les vents de collision des binaires riches en carbone. WR 140 représentait également une cible idéale afin de démontrer les capacités de l'instrument MIRI du JWST pour résoudre et détecter les émissions étendues faibles autour d'une source ponctuelle centrale brillante. 
Ces observations indiquent in fine que les binaires Wolf-Rayet riches en carbone et formant de la poussière peuvent enrichir le milieu interstellaire en composés organiques et en poussière carbonée. Sur la base d'une analyse de la production de poussière avec les modèles Binary Population and Spectral Synthesis, Lau et son équipe calculent que la population de binaires riches en carbone pourrait produire autant de poussière que la population d'étoiles de la branche géante asymptotique, en fonction de l'histoire de la formation des étoiles et des métallicités. La détection de la caractéristique "C1" jusqu'à des coquilles éloignées (par exemple la coquille 17) démontre également que la poussière carbonée persiste dans le champ de rayonnement lumineux et dur du système binaire central pendant au moins 130 ans après l'événement initial de formation de la poussière, et qu'il peut probablement se propager dans le milieu environnant. 
Pour Lau et ses collaborateurs, les binaires formant de la poussière comme WR 140 pourraient donc être considérées comme une source précoce et potentiellement dominante de composés organiques et de poussière carbonée dans notre Galaxie et les autres galaxies. 

Source

Nested dust shells around the Wolf–Rayet binary WR 140 observed with JWST
Ryan M. Lau
Nature Astronomy (12 october 2022)

Illustration

WR 140 imagée par le télescope Webb (NASA/ESA/CSA/STScl/JPL-Caltech )

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