Après les premières études dynamiques des étoiles entourant Sgr A* au début des années 2000, une analyse de suivi (par Levin & Beloborodov en 2003) d'un échantillon de 13 étoiles situées à moins de 0,4 pc du centre galactique a révélé une caractéristique déroutante : 10 d'entre elles se trouvent dans un mince disque incliné par rapport au plan galactique. Et peu de temps après, la présence d'un second disque avec des étoiles jeunes supplémentaires et une orientation différente a été suggérée par Genzel et al. Une analyse spectroscopique détaillée a été effectuée par Paumard et al. en 2006 et a confirmé la présence des deux disques, tous deux mal alignés par rapport au plan galactique et avec un rapport d'aspect moyen entre la hauteur et le rayon de ∣h∣/R ≃ 0,14. Le premier disque d’étoiles tourne dans le sens horaire et l’autre dans le sens antihoraire. Le premier système a ensuite été davantage peuplé avec l'identification de 36 étoiles à une distance de seulement 0,04 à 0,08 pc du trou noir. Un second système dont les étoiles tournent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, est moins peuplé avec 12 étoiles, et se trouve à de plus grandes distances, avec un rayon extérieur d'environ 0,5 pc.
Une analyse du mouvement propre, basée sur 11 ans de données du télescope Keck, a ensuite été réalisée par Lu et al. en 2009. Pour leur échantillon comprenant 32 jeunes étoiles dans un rayon de 0,14 pc, ils ont confirmé le mouvement à l'intérieur d'un disque à forte inclinaison tournant dans le sens des aiguilles d'une montre. Leurs données, cependant, n'ont pas révélé la présence significative d'un second disque. Et plus récemment, une analyse détaillée de l'amas d'étoiles central a été présentée par von Fellenberg et al. (2022), qui ont identifié plusieurs caractéristiques cinématiques. Alors que deux d'entre elles ont été identifiées comme les disques tournant dans le sens des aiguilles d'une montre et dans le sens contraire, deux autres surdensités importantes ont été signalées.
En raison d'une combinaison de faible densité moyenne et de fortes forces de marée dans le voisinage de Sgr A*, on ne s'attend pas à ce que des étoiles se forment ici : les nuages de gaz sont étirés par les effets de marée induits par le trou noir supermassif ce qui empêche l’effondrement gravitationnel qui allumera des étoiles. Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer les propriétés de ces disques d’étoiles, depuis la formation in situ à la migration circulaire, en passant par la formation (sous certaines conditions très peu probables) à partir d'un nuage moléculaire en effondrement. Mais aucun modèle n'a été capable d'expliquer naturellement toutes les caractéristiques principales qui sont observées dans ces étoiles. Rosalba Perna (Stony Brook University, New York) et Evgeni Grishin (Monash University, Australie) proposent un nouveau scénario pour la formation in situ de ces nombreuses jeunes étoiles : ils montrent qu’un événement de destruction de marée à jet d'une étoile errante plus ancienne peut déclencher un épisode de rétroaction positive de formation d'étoiles dans le plan perpendiculaire au jet. Ils se fondent sur ce qui avait été démontré par des simulations en 2011 par Gaibler et al. dans le contexte de la rétroaction induite par le jet dans les écoulements galactiques des AGN (noyaux galactifs actifs). Un cocon en surpression entourant le jet comprime les amas de gaz à des densités suffisamment élevées pour résister au champ de marée du trou noir supermassif et provoque la production d’étoiles. Le taux de destructions maréales d’étoiles est de l’ordre de 10-5 à 10-4 an-1 par galaxie, dont seulement quelques pourcents forment des jets. Cela implique donc qu'un événement de ce type potentiellement producteur d’étoiles se produit tous les quelques millions d'années. Or, cette échelle de temps est du même ordre que l'âge des jeunes étoiles qui sont observées en disque autour du trou noir supermassif. Puisque les événements de destruction maréale sont isotropes, le modèle de Perna et Grishin prédit une orientation aléatoire du disque d'étoiles par rapport au plan de la galaxie et, avec un taux relativement élevé de l’ordre de 1 événement tous les quelques millions d’années, le mécanisme peut tout à fait expliquer la présence de multiples disques d'étoiles qui ont des orientations non corrélées entre eux.
Les deux disques désalignés de jeunes étoiles à l'échelle du subparsec autour de Sgr A* trouvent donc une solution élégante à leur origine. C’est la formation de jets jusqu’à une distance de 1 parsec lors d’une destruction maréale d’étoile par Sgr A* qui produirait une compression des nuages de gaz moléculaires proches, contrebalançant leur étirement par l’effet de marée et permettant alors leur effondrement pour produire des nouvelles étoiles. Cette idée présente plusieurs caractéristiques attrayantes. La formation des étoiles en disques apparaît naturelle car les jets sont ionisants et suppriment donc la formation stellaire dans un double cône en chauffant et ionisant le gaz. La compression du gaz par les jets se fait dans la direction orthogonale. Les chercheurs précisent que ce mécanisme doit produire des étoiles de différentes masses jusqu’à des masses particulièrement élevées.
Bien que l’étude de Rosalba Perna et Evgeni Grishin se soit penchée sur le cas particulier de notre centre galactique, la rétroaction des événements de destruction maréale d’étoiles (TDE, Tidal Disruption Event) sur le milieu interstellaire est un problème qui concerne toutes les galaxies. En fait, alors que dans une galaxie typique le taux de TDEs est plus petit que celui d'autres phénomènes explosifs comme les supernovas, le fait que les TDEs se produisent toujours au même endroit dans le centre exact d'une galaxie autour de son trou noir supermassif rend la rétroaction des TDEs potentiellement importante dans l'autorégulation de la formation d'étoiles, et donc le taux de TDEs lui-même… Les deux astrophysiciens remarquent pour finir que comme les TDE sont plus importants autour des trous noirs supermassifs de masse relativement faible, la rétroaction sur la formation d'étoiles dans les régions les plus internes qui est proposée ici pourrait aussi être pertinente pour les trous noirs de masse intermédiaire que l’on pourrait trouver dans les amas globulaires.
Source
Disks of Stars in the Galactic Center Triggered by Tidal Disruption Events
Rosalba Perna and Evgeni Grishin
The Astrophysical Journal Letters, Volume 939, Number 1 (October 31 2022)
https://doi.org/10.3847/2041-
Illustration
Le centre galactique imagé par le télescope Hubble (ESA/NASA R. Cohen)
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