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mercredi 11 janvier 2023

Des oscillations quasipériodiques très rapides observées dans un sursaut gamma de fusion d'étoiles à neutrons


Des oscillations quasi périodiques très rapides ont été détectées dans deux sursauts γ apparus lors de  collisions d'étoiles à neutrons. Un tel signal était prédit par des simulations relativistes qui indiquaient qu'une grosse étoile à neutrons devait se former durant quelques dizaines de millisecondes suite à la fusion, puis osciller avant de sombrer dans le noir d'un trou. L'étude est publiée dans Nature

Cecilia Chirenti (université du Maryland)  et ses collaborateurs ont fait une découverte qui pourrait accélérer notre compréhension de la physique des étoiles à neutrons. Différentes simulations numériques de la relativité générale appliquées à la fusion d'étoiles à neutrons montrent systématiquement de larges caractéristiques spectrales de puissance dans la gamme de 1 à 5 kHz dans le signal d'ondes gravitationnelles post-fusion, qui est inaccessible aux détecteurs d'ondes gravitationnelles actuels mais qui pourrait être vu par les futurs détecteurs terrestres de troisième génération au cours de la prochaine décennie. Or, ce signal quasi périodique à haute fréquence implique la possibilité d'une modulation du même type, mais dans les rayons gamma émis dans un sous-ensemble d'événements dans lesquels une étoile à neutrons se forme peu avant l'effondrement final en un trou noir. C'est ce type de signal que Chirenti et ses collaborateurs ont décelé dans deux sursauts gamma issus de fusions d'étoiles à neutrons :  GRB 910711 et GRB 931101B à partir des données d'archives de la Burst and Transient Source Experiment (BATSE) à bord du télescope Compton Gamma Ray Observatory. Les chercheurs trouvent des oscillations quasi périodiques à deux fréquences très similaires dans les deux différents sursauts gamma : aux environs de 1 kHz et de 2,6 kHz. Ils montrent que ces oscillations du signal gamma apparaissent compatibles avec les prédictions des simulations relativistes.
Les physiciens nucléaires ne peuvent pas calculer exactement comment la matière devrait se comporter pendant et immédiatement après les fusions d'étoiles à neutrons, même avec les ordinateurs les plus puissants. La physique de ce comportement est si bizarre qu'il est même possible que des quarks individuels s'échappent de leurs particules subatomiques et forment une soupe de quarks. Pour de nombreuses fusions d'étoiles à neutrons, les conséquences immédiates impliquent la naissance d'une nouvelle étoile à neutrons dite hypermassive qui éviterait temporairement l'effondrement en trou noir grâce à sa forte rotation différentielle juste après la fusion (une rotation qui pourrait atteindre plus de 1000 tours par seconde). La collision est si violente que cette étoile à neutrons nouvellement née doit subir des oscillations intenses. Mais la preuve de ces oscillations n'avait jamais été trouvée jusqu'alors.
Comme un résidu plus petit ou plus compact d'une fusion d'étoiles à neutrons oscille à une fréquence plus élevée qu'un résidu plus grand et moins compact, la mesure de la fréquence d'oscillation peut donc révéler la compacité de l'étoile à neutrons. Cette compacité est essentielle pour déterminer laquelle des nombreuses expressions mathématiques proposées pour l'équation d'état des étoiles à neutrons, décrit le mieux le comportement de la matière dans une fusion d'étoiles à neutrons. Chirenti et al. ont mesuré la hauteur des oscillations de leurs deux résidus post-fusion et ont constaté qu'elle était cohérente avec les oscillations quasipériodiques trouvées dans les simulations. Malheureusement, il n'est pas possible aujourd'hui d'être plus précis sur les implications physiques de ces résultats, car les masses des étoiles à neutrons en jeu sont inconnues, et cette information est nécessaire pour tirer une conclusion robuste sur l'équation d'état sur la base des fréquences d'oscillation mesurées. 
D'autre part, il est également difficile de savoir à quelle distance ces fusions ont eu lieu. L'expansion implique que les fréquences d'oscillation mesurées diffèrent de celles qui sont émises à la source, on a donc besoin de connaître avec une bonne précision la distance entre la source et le détecteur. Et il est également  impossible de déterminer précisément l'équation d'état sans connaître les fréquences du signal quasi périodique émises. 

Chirenti et ses collègues précisent tout de même que les oscillations quasi périodiques observées pourraient aussi ne pas provenir des oscillations d'une étoile à neutrons hypermassive. Elles pourraient provenir d'une étoile à neutrons de masse inférieure ou même de certaines propriétés d'accrétion sur un trou noir de masse comprise entre 2 et 5  M⊙. Une modélisation plus poussée sera, comme toujours, nécessaire pour en savoir plus, en attendant d'autres observations. 
S'il s'agit bien d'une oscillation d'étoile à neutrons post-fusion, selon Chirenti et son équipe, il est possible d'en déduire le rayon que devrait avoir une étoile à neutrons type de 1,6 masses solaires, grâce à une relation phénoménologique obtenue à partir de simulations de fusions de deux étoiles à neutrons de 1,35 M ⊙. Le résultat du calcul dépend du redshift du sursaut gamma, si z=0, ils trouvent R= 13 km, si z=0,1 : R=12,5 km et si  z=0,2 : R=12 km. Ce qui paraît sûr, c'est qu'un sursaut gamma aussi brillant que GRB 910711 a dû se produire à un faible décalage vers le rouge.

La détection de ces oscillations quasi périodiques à haute fréquence fournit un nouvel outil potentiellement puissant pour étudier la dynamique et la gravité des étoiles à neutrons fusionnant. Evidemment, des observations d'ondes gravitationnelles fourniraient les détails qui manquent à l'étude de Chirenti et ses collaborateurs. Les observatoires d'ondes gravitationnelles mesurent un signal qui permet d'estimer à la fois la distance à la source et les masses des étoiles à neutrons avant leur collision. Bien que la première fusion binaire d'étoiles à neutrons observée par les ondes gravitationnelles (GW 170817) ait été incroyablement "forte", elle ne l'était pas assez pour que les ondes gravitationnelles quasi périodiques  post-fusion soient détectables. Ce signal post-fusion, selon les chercheurs, devrait être observable par des observatoires dédiés de nouvelle génération, tels que le tout nouveau Neutron Star Extreme Matter Observatory australien , ou des détecteurs d'ondes gravitationnelles de troisième génération, comme le Cosmic Explorer américain, ou le télescope européen Einstein

Source

Kilohertz quasiperiodic oscillations in short gamma-ray bursts
Cecilia Chirenti et al.
Nature (9 january 2023)

Illustrations

1. Vue schématique de la fusion d'étoiles à neutrons menant à une étoile à neutrons hypermassive temporaire (Nature) 
2. Spectres  de puissance des  deux sursauts gamma étudiés (puissance en fonction de la fréquence) (Chirenti  et al.) 

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