Les minimums solaires de 2009 et 2020 ont été caractérisés par des intensités record de rayons cosmiques galactiques (GCR). Les intensités de GCR dans la gamme d'énergie de 70–450 MeV/nucléon étaient notamment de 20% à 26% plus élevées à la fin de 2009 que dans le minimum précédent de 1997–1998, ainsi que tous les minima solaires précédents entre 1957 et 1997. Mais contrairement aux tendances des décennies précédentes, dans lesquelles l'intensité des "rayons cosmiques anormaux" (les ACR), qui sont eux liés au système solaire, et celle des GCR (provenant d'au delà du système solaire), concordaient fortement, cette fois les intensités des ACR n'ont pas atteint des niveaux record aussi élevés. Trois chercheurs se penchent sur cette étrangeté et prouvent la validité d'une solution théorique qui avait été proposée il y a 13 ans pour l'expliquer. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.
Ce qu'on appelle les rayons cosmiques anormaux (ACR) sont à l'origine des atomes neutres interstellaires qui dérivent dans l'héliosphère, deviennent ionisés et sont ensuite captés par le vent solaire et transportés vers l'héliosphère externe où les ions sont accélérés à des centaines de MeV, vraisemblablement au choc de terminaison du vent solaire. Ces ACR interstellaires sont principalement ionisé une fois, bien que des états de charge plus élevés deviennent dominants au-dessus de ∼350 MeV. Leur composition isotopique est semblable à celle du système solaire et différente de celle de des rayons cosmiques galactiques (GCR). Une comparaison de leurs spectres d'énergie avec le flux d'ions de captage circulant dans le choc de terminaison révèle une efficacité d'accélération qui dépend de la masse et favorise les ions plus lourds.
Cet écart entre le comportement des GCR et des ACR observé en 2009 puis en 2020 a été étudié par Roelf Du Toit Strauss (université North-West, Potchefstroom, Afrique du Sud) et ses collaborateurs, en simulant l'accélération et le transport de noyaux d'oxygène dans le flux des GCR et des ACR dans différentes conditions de transport.
Fait intéressant, le minimum solaire de 2009 était dans un cycle de polarité magnétique négative, qui est généralement associé à des niveaux de GCR inférieurs à un cycle à polarité positive similaire. Cela avait conduit Strauss & Potgieter en 2014 et Moloto et al. en 2018 à postuler que des intensités de GCR encore plus élevées seraient observées lors du minimum d'activité solaire de 2020 à polarité positive si des conditions solaires similaires prévalaient. Et cela a été confirmé en 2021, puisque les intensités des GCR étaient ∼ 6 % plus élevées qu'en 2009 et ∼ 25 % plus élevées que le précédent cycle de dérive à polarité positive de 1997 à des énergies de ∼ 50–500 MeV/nucléon. Les chercheurs sud-africains ont utilisé les mesures de moniteurs de neutrons au sol, qui sont principalement sensibles aux flux de protons d'énergie supérieures 500 MeV. Un réseau de détecteurs de neutrons est installé en Afrique du Sud depuis 1957 et permet de remonter dans les archives de l'activité solaire et de suivre l'évolution du flux des rayons cosmiques galactiques et des rayons cosmiques solaires.
En général, on observe que les intensités des rayons cosmiques anormaux (ACR) suivent plutôt bien leurs homologues GCR. Mais lors du minimum solaire de 2009, bien que les GCR aient atteint des intensités record, les intensités des ACR n'ont atteint que 90 % de leurs niveaux de 1997 et cette tendance s'est poursuivie lors du minimum de 2020.
Une interprétation naturelle à la fois des intensités de GCR record et du fait que les ACR étaient plus faibles au cours des cycles solaires récents avait été proposée en 2010 par Moraal & Stoker : les conditions solaires calmes qui prévalaient en 2009 auraient conduit à moins de modulation des GCR en raison de niveaux de turbulence plus faibles, qui ont pour effet d'augmenter les coefficients de diffusion (et donc les libres parcours moyens des particules). Mais pour les ACR, un coefficient de diffusion plus élevé doit conduire à une accélération des particules moins efficace au choc de terminaison du vent solaire. Et comme les ACR sont également moins modulés en 2009 et 2020, leurs intensités peuvent également être inférieures, créant une interaction complexe entre l'efficacité de l'accélération et la modulation.
Strauss et ses collaborateurs ont voulu tester cette hypothèse à partir des données non seulement de 2009 mais aussi de 2020 et en construisant un modèle simulant la modulation des noyaux d'oxygène dans les rayons cosmiques. Les chercheurs ont utilisé des observations récentes pour contraindre tous les paramètres libres restants présents dans le modèle, et ils montrent que des conditions moins turbulentes sont effectivement caractérisées par des flux de GCR plus élevés et des flux de ACR plus faibles, en raison d'une accélération des ACR qui est moins efficace au choc de terminaison du vent solaire. Les simulations suggèrent que les intensités ACR à haute énergie sont plus faibles dans des conditions de minimum solaire très calmes. Mais aux énergies d'ACR les plus basses, cependant, les intensités sont à nouveau plus élevées.
Ces résultats sont conformes à l'explication qui avait été proposée par Moraal & Stoker en 2010, qui est maintenant testée de manière robuste avec des simulations sur la base d'observations. Depuis le minimum d'activité solaire de 2020, le cycle 25 a bien redémarré et les dernières données d'activité dépassent même largement les prévisions qui avaient été faites sur la base de l'activité des cycles précédents. En Janvier 2023, 143 taches sont apparues sur disque solaire, alors que la prévision en donnait entre 38 et 92. Le Soleil reste donc toujours très imprévisible, mais au moins, plus il est est actif, plus il nous protège des GCR et de ACR grâce à son champ magnétique.
Source
The Modulation of Anomalous and Galactic Cosmic-Ray Oxygen over Successive Solar Cycle Minima
R. D. Strauss et al.
The Astrophysical Journal, Volume 944, Number 2 (16 february 2023)
Illustration
1. Evolution du flux de rayons cosmiques (GCR et ACR) depuis 1960, normalisé à la valeur de 2009 (Strauss et al.)
2. Evolution de l'activité solaire depuis 1971 (NOAA)
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